— Il ne faudra rien dire ! décida Sauvage. Comment cela s’est-il passé ?
— En allant à ma leçon de violon, je me suis aperçue que j’avais oublié ma partition. Je suis revenue la chercher. Vous étiez déjà là… J’ai assisté à tout…
— C’est-à-dire ?
— Héléna vous a demandé si vous l’aimiez au point de mourir avec elle. Vous avez répondu que oui. Alors, elle vous a tendu le revolver en vous disant : « Tuez-vous d’abord et je me tuerai ensuite. » Sans hésiter, vous avez saisi l’arme et l’avez portée à votre tempe. Vous alliez tirer. Elle l’a compris. Elle a crié : « Non, François, je vous aime ! », et elle a ajouté que c’était un test. Elle vous a embrassé longuement et vous a demandé de partir. « Dès ce soir, je parlerai à mes parents et j’irai vous rejoindre. Nous partirons, François. Je vivrai avec vous. Nous achèterons des poireaux ensemble, et nous prendrons des trains ensemble. » N’est-ce pas, qu’elle vous a dit cela ?
— Elle me l’a dit.
— Vous êtes reparti. Comme vous sembliez heureux, transformé ! Vous ne touchiez pas terre. Moi, je suis entrée. Héléna se trouvait sur le canapé. Elle jouait avec le revolver. Elle aussi paraissait heureuse.
« Tu t’imagines que le clan va te laisser partir, Héléna ? », me suis-je écriée… Nous avons eu une discussion. Elle m’affirmait qu’elle ne pouvait plus vivre sans vous et qu’elle préférait se tuer plutôt que de vous perdre… Alors, je ne sais pas ce qui s’est produit…
On entendait les pas pesants des hommes, au premier, en train de placer Tonton dans son lit.
— Vous étiez jalouse d’elle ?
— Oui. Elle me défiait. Elle me disait : « Mais, ma parole, tu l’aimes aussi, petite crétine ! » Et alors, il y a eu le coup de feu, comme vous l’avez décrit tout à l’heure, à peu de chose près. Héléna était morte ! J’ai été incrédule un moment avant de réaliser l’horrible vérité. Je ne voulais pas que mes parents sachent. Pas pour moi, pour eux… Comment vous faire comprendre ?
— Mais je comprends très bien, Clémentine ! s’étonna le peintre.
— J’ai essuyé l’arme, je suis montée chercher ma partition et je suis repartie. Il y avait un autre élève avant moi dont la leçon a dépassé le temps prévu. Mon professeur est un vieux bonhomme qui ne marchande pas son temps. C’est lui qui s’est excusé de m’avoir fait attendre.
Il y eut un silence. Henrico et Angelo firent gémir les marches du haut.
— Il faut que je dise tout ? demanda-t-elle.
Il lut son effroi et secoua la tête.
— Mais non, Clémentine, puisque je vous dis que c’est mieux ainsi. Désormais, votre châtiment, ce sera de devoir vous taire, vous taire à tout prix, vous taire pour toujours…
Elle se mit à pleurer.
*
L’inspecteur Moussy arriva une heure plus tard. Sa peau grasse luisait à la lumière électrique. Il semblait rance. En apercevant Sauvage couvert d’ecchymoses et de sang, son visage s’éclaira.
— Tiens donc ! On dirait que j’avais vu juste !
— Je vous avais menti parce que je tenais à lui arracher moi-même son aveu, déclara Henrico.
— Je n’aime pas beaucoup ça, grinça l’Arabe. Qui vous a permis de mentir à la police et de la suppléer ? Si vous n’étiez pas le mari de la victime, je…
Angelo lui tendit la confession de Sauvage.
— Ne nous emmerdez pas, inspecteur. C’est vous qui aviez démasqué le meurtrier, après tout, c’est la seule chose qui importe. Voici ses aveux écrits de sa main. Emmenez-le, j’ai besoin d’aller me coucher !
Moussy empocha le document après l’avoir lu. Puis il fit claquer les menottes sur les poignets de Sauvage.
— Je vous reverrai demain ! avertit le policier.
— C’est ça ! demain, répondit Tziflakos.
Moussy entraîna Sauvage vers la jeep rangée devant le perron. Avant de sortir, François se tourna vers les trois personnages alignés devant le canapé.
— Ecoutez, balbutia-t-il.
— Non ! trancha durement Angelo. C’est pas la peine ! Nous n’aurons jamais plus rien à nous dire.
Un peu plus tard, Elisabeth revint, très surexcitée. Elle se calma en apercevant sa fille.
— Ah ! bon, tu es là ! s’exclama-t-elle, soulagée. J’ai croisé une jeep en revenant, poursuivit-elle. Il m’a semblé que c’était celle de la police.
— Tu ne t’es pas trompée…
— Alors ?…
Elle reniflait, cherchant des odeurs de poudre et examinait le plancher pour s’assurer qu’aucune flaque de sang…
— Nous avons préféré cette solution, dit Angelo.
— Vous avez bien fait.
Elle s’approcha de sa fille et lui mit la main sur l’épaule.
— Et toi, où étais-tu passée ?
Clémentine demeura prostrée.
— Laisse-la ! conseilla Tziflakos. Il y a des moments où les filles ont besoin qu’on leur foute la paix !
Henrico haussa les épaules et monta se coucher sans dire bonsoir.
FIN