Pour Bernard HALLER
Alain CHEVALLIER
Alain MALLET
les trois mousquetaires d’une folle équipée dardienne.
Avec tendresse et reconnaissance.
San-A.
Après mûres réflexions, je crois pouvoir affirmer que le plus court chemin d’un cul à un autre, c’est ma bite !
— Tu sais ce que c’est que le rodéo sexuel ? demande Béru.
— Oui, lui dis-je.
— Non, tu sais pas !
— Si !
— Ben dis, qu’on voye.
— Tu enfiles une dame par-derrière, tu lui annonces que tu as le sida et tu essaies de tenir dix secondes.
Il renfrogne.
— Mouais, dans les grandes lignes c’est ça, mais je la raconte mieux.
Là-dessus, l’huissier nous prie d’entrer.
Achille est en tenue de chasse. Une gravure de Vogue . Tellement époustouflant qu’on n’ose pas y toucher. Il sent le neuf. Son fusil dans un étui gainé de toile attend, accroché au dossier de son fauteuil, de participer à l’apocalypse chez les garennes solognots. Chilou porte une veste dans laquelle le tissu écossais marron se marie avec le daim beige, et un chapeau façon tyrolien, orné d’une plume verte. Sa gibecière (mot que je préfère à carnassière qui me fout la gerbe) lui bat déjà le flanc.
— Vous avez failli me faire attendre, fait le Dirluche de sa voix la plus polaire.
— Nous sommes venus aussi rapidement que nous l’avons pu, objecté-je.
Il sort de sa poche à soufflet un petit pulvérisateur de bouche et se vaporise les muqueuses (mal de gorge ou lutte contre une haleine vieillissante, je l’ignore).
— Ou o essez e eutenant or imer ? demande notre Vénéré en cours d’opération gargante.
— Je vous demande pardon, monsieur le directeur ?
— Et moi je vous demande si vous connaissez le lieutenant Mortimer, vous êtes sourd ?
— Mortimer, de la C.I.A. ?
— Il n’en existe pas d’autre !
Ce qu’il est bougon, le tartarin, ce morninge ! J’espère que ses battues à travers champs le défouleront un brin. D’ici qu’il zingue l’un des participants, l’ancêtre ! Faut dire qu’il n’a plus l’âge de ses artères ! Côté du scoubidou, l’enragé du trou normand colimaçonne, par contre il devient duret de l’écoutille, et si tu mates un moment ses paluches d’aristo, tu t’aperçois qu’elles commencent à sucrer.
Son regard bleu Delft s’assombrit.
— J’ai reçu un coup de fil de lui en pleine nuit ; ce veau, le décalage horaire, connaît pas ! Il avait une voix inaudible ; il était ivre, ou bien il nous fait un cancer de la gorge. Il m’a parlé de Bérurier, qu’il appelle Biroutier, soit dit en passant. C’est lui qu’il souhaite rencontrer d’extrême urgence à propos d’une affaire « top secret ». Je lui ai promis que Bérurier partirait le plus vite possible pour Washington en votre compagnie, San-Antonio. Je préfère que vous soyez deux.
Il m’adresse un clin d’œil signifiant qu’il tient Alexandre-Benoît pour un débile profond.
— Vous ne connaissez rien de ce qui motive ce voyage, patron ?
— Rien, mais je connais Mortimer et cela me suffit. S’il réclame la présence de Bérurier, c’est qu’elle lui est indispensable.
Il consulte sa montre et bondit :
— Misère ! Je suis là à papoter et je dois me trouver dans quarante-cinq minutes chez les Dubois de la Branche, en Sologne. Bon voyage, messieurs !
Il nous écarte avec brusquerie pour quitter son bureau.
— Il oublie son fusil ! s’exclame le Gros.
— Ça fera peut-être une ou deux vies humaines d’épargnées, réponds-je.
* * *
Grâce à Concorde « on y est déjà ».
Je crois te l’avoir déjà dit, je ne voyage qu’avec un bagage à main : valise de cuir aux dimensions réglementaires qui contient un costume de rechange taillé dans un tissu infroissable, du linge de corps, ma trousse de toilette et la photo de Félicie. Le Mastar, quant à lui, s’est muni d’un simple sac en plastique célébrant la gloire du B.H.V., dans lequel il a placé un caleçon dépenaillé, un saucisson à l’ail, un kil de rouge ordinaire, et un rasoir Gillette dont il n’a jamais changé la lame depuis qu’il en a fait l’emplette (et d’ailleurs la chose serait désormais impossible, le modèle n’existant plus depuis une vingtaine d’années).
C’est nantis de ces vade-mecum que nous débarquons au Connos Hotel , aimable building de marbre noir situé à quelques encablures du musée de l’Aéronautique.
Deux belles chambres nous y sont réservées.
La magie du supersonique et des « fuselages aurifères » comme dit Béru (pour fuseaux horaires) fait que nous sommes à Washington avant d’être partis de Paris (au plan de la montre, du moins).
Une fois mon costar bis accroché dans une penderie capable d’en héberger cent quatre-vingt-quatre (en les serrant un peu), je tube au lieutenant Mortimer :
— Voilà, lieutenant, nous sommes à votre disposition.
— Merveilleux ! Je passe vous prendre dans une demi-heure !
Béru profite de cette rémission pour craquer quelques louises. Il explique que les vols supersoniques le font toujours loufer ; il accompagne cette assertion d’un commentaire scientifique un tantisoit fumeux ; avec lui, les lois de la physique sont aussi malmenées que les règles grammaticales.
J’écoute sa démonstration d’un intestin distrait. Dire qu’il me pompe l’air serait impropre, en réalité il me le pollue. Ecœuré, je branche la téloche et me mets à zapper comme un fou, mais vite j’abandonne devant la pauvreté niaise de ce qui m’est proposé. Et pour finir, le père Bush, avec sa tronche de clergyman qui se fait turluter le pollux pendant son prêche par une enfant de Marie placardée derrière son lutrin.
— Je me demande bien ce qu’un membre éminent de la C.I.A. peut attendre de toi, répété-je pour la énième fois.
Philosophe, Sa Majesté hausse ses plantureuses épaules de déménageur de pianos (à queue).
— On va le savoir, me calme-t-il ; y a pas de problèmes insalubres, mec.
Il zieute par la fenêtre la ville largement aérée, aux vastes étendues verdoyantes.
— J’m’demande si qu’on trouv’ra du cheptel dans c’patelin, anxieuse le Mammouth ; j’f’rais volontiers un p’tit engag’ment dans l’rond central ! Moi, l’avion, ça m’file l’tricotin.
Je maugrée :
— Ça te fait loufer, ça te fait triquer, et quoi d’autre encore ?
— Ça m’donne faim.
Et il se coupe une tranche de sauciflard large comme une roue de formule 1.
— Tu briffes encore, après tout ce qu’on t’a fait claper dans le zinc ?
— Dans l’zinc, c’tait en l’air, slave n’a rien à lavoir ; ici on est sur terre, mon pote. La bouffe en jet, c’est d’la distrayance ; au sol, c’est d’la nécessité.
Il est en pleine mastication lorsque le concierge du Connos nous annonce Mister Mortimer.
Quand j’ai déclaré au Vieux que je le connaissais, je me suis un peu avancé. De réputation, oui. Il passe pour l’un des piliers de cette mystérieuse maison, Mortimoche. Le genre de gazier qui assume davantage de prérogatives que son grade ne le laisse supposer.
Drôle de bonhomme. Ricain jusqu’au bout du zob ! Pas grand, massif, la cinquantaine. Un costar marine, froissé pire que du faf à train après usage. Une limouille à carreaux qui ferait exploser un caméléon. Il est large de partout : cul, poitrine, tronche. Mais pas gros. Le muscle domine. Ses biceps, espère, c’est de l’engin pour travaux publics ! Quand il participe à une castagne, c’est pas de l’énervement de danseur mondain ! Le visage un peu plat, la paupière lourde par-dessus un regard verdâtre comme deux belons sur une assiette, le nez tubercule, des cratères en veux-tu en voilà ! Le cheveu court, gris et rêche, favoris bas frisés : sa seule « élégance ».
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