Jacques Levallois finit par s’apaiser. Les quatre flics se répartirent les tâches, environ sept employés par personne à rencontrer et sur lesquels se renseigner, en se disant que le responsable de la disparition de Camille serait probablement absent.
C’était jouable, ça pouvait fonctionner, vite et bien. Nicolas voulait y croire.
— Au moindre souci ou doute, on s’appelle immédiatement. On vérifie les alibis sur place autant que possible, et on ne contacte pas les suspects potentiels s’ils ne sont pas là, histoire de ne pas alerter notre CP. Tout le monde est prêt ? Bonne chance.
Ils se séparèrent dans la minute.
Nicolas s’était gardé Christophe Poirier, celui qui avait un casier judiciaire pour violences. Aussi, il se rendit prioritairement en rééducation et se renseigna à l’accueil. Montrer la carte de police et expliquer de quel service on venait — la Criminelle du 36, quai des Orfèvres — ouvrait immédiatement les portes. On l’orienta donc dans les cinq minutes vers le chef de service. Manque de bol, Poirier était en congé depuis quinze jours et reprenait la semaine suivante.
— Je sais qu’il a réservé une location une dizaine de jours dans le Sud, fit le responsable, mais impossible de vous dire si c’est au début ou à la fin de ses congés. Vous voulez que j’essaie de le joindre ?
— Non, surtout pas.
Le médecin expliqua que Poirier habitait à quelques kilomètres d’Orléans et que, à sa connaissance, il ne portait pas d’alliance. Un bon employé, sérieux, sans problèmes particuliers.
Oui, il avait accès aux ordinateurs du service, comme beaucoup de monde. Oui, il travaillait également la nuit, avec des horaires variables. Nicolas sortit la photo de la tête coupée (Lucie, Jacques et Pascal en avaient une copie également) et la montra au médecin.
— Serait-il, à votre avis, capable de faire une chose pareille ?
L’homme déglutit et secoua vivement la tête.
— Jamais de la vie. Enfin, je ne vois pas comment il pourrait…
Et bla, et bla, et bla. Nicolas posa encore quelques questions et finit par laisser tomber. Il n’y avait plus rien à tirer de cette entrevue.
Ça commençait mal.
Le capitaine de police eut davantage de chance pour la suite. Sur les sept employés restants — lui s’en était octroyé huit au départ —, quatre étaient arrivés à l’heure à leur poste, avaient un alibi pour la veille, que Bellanger avait pu vérifier assez rapidement, et ne trahissaient aucune nervosité particulière. Deux autres étaient partis en famille à l’étranger sur la totalité de leurs congés, et le dernier était aussi en vacances, mais c’était un handicapé qui avait perdu l’usage d’une jambe et qui ne pouvait se déplacer sans une béquille.
Décidément, sur les huit, seul ce Christophe Poirier posait encore problème.
Il était presque midi lorsque les quatre flics se regroupèrent auprès de leurs voitures. Bilan des courses : aucun employé qui devait se présenter en ce lundi matin n’avait manqué à l’appel. Il demeurait, après ce premier tour, une incertitude sur quatre employés en congé, dont on ignorait les activités durant leur période de repos. Les policiers disposaient de leurs adresses personnelles.
— Très bien, dit Nicolas en déployant une carte sur le capot de la voiture de Lucie. Les quatre habitent tous dans le coin. Notre homme est forcément parmi eux et doit être à cran. Je propose qu’on reste en groupe pour éviter toute prise de risques. On commence par Poirier.
— Et toujours pas de commission rogatoire, je suppose ? demanda Levallois.
— Toujours rien. Mais je dois vous dire que Lamordier m’a appelé il y a peu, quand il a vu que l’ open space était vide. Il est chaud bouillant, prêt à me péter à la figure. Vous êtes avec moi ou pas ?
— On te suit, répliqua Robillard.
Lucie acquiesça dans la foulée, ce fut plus difficile pour Jacques Levallois qui finit par se ranger du côté du groupe. Ils se mirent en route et se rendirent à Fleury-les-Aubrais. Christophe Poirier habitait une petite maison du centre-ville. Façade rectangulaire bloquée entre un coiffeur et une autre mitoyenneté, vieilles fenêtres, briques poreuses. Nicolas Bellanger frappa à la porte, la gorge serrée. Il était accompagné de Jacques Levallois, tandis que Robillard et Henebelle étaient restés un peu en retrait, à quelques mètres seulement, sur le qui-vive.
Ce fut une jeune femme qui ouvrit. Parfaitement bronzée, elle devait avoir vingt-cinq ans. Nicolas montra sa carte, gardant l’autre main pas très loin de son arme.
— Police nationale…
Derrière elle, un homme avec un bras dans le plâtre et en pyjama se présenta.
— La police ? Qu’est-ce qu’il y a ?
Nicolas fixa le bras figé dans son moule blanchâtre et griffonné de petits dessins. Ses certitudes s’évaporèrent instantanément. Il sut immédiatement qu’il faisait fausse route.
— On a quelques questions à vous poser, dit-il néanmoins.
Christophe Poirier remarqua Levallois et les deux autres flics, en arrière-plan. Son visage se crispa.
— Et c’est grave ?
— On mène une enquête en rapport avec le CHR d’Orléans, on recherche un suspect. Dites, votre plâtre, de quand date-t-il ?
La femme prit les devants :
— On a fait du VTT en montagne lundi dernier, expliqua-t-elle. Une descente du côté de Serre-Ponçon. Christophe est tombé et s’est fait une fracture du poignet, ça aurait pu être bien plus grave. On est rentrés hier mais, le plâtre, il le porte depuis mardi.
— On peut voir les papiers médicaux qui atteste de cette blessure ? Ensuite, on ne vous ennuie pas plus longtemps.
Elle leur apporta ce qu’ils réclamaient. Nicolas sentit la déception au fond de ses tripes. Lucie, quant à elle, soupira lorsqu’ils regagnèrent leurs véhicules.
— Je commence à douter, fit-elle. Peut-être qu’on se plante depuis le début.
— Restons confiants, répliqua Bellanger en lorgnant encore sa montre, bien conscient que chaque seconde comptait. C’est juste qu’on est en plein dans la loi de l’emmerdement maximum. On va finir par l’avoir.
Seul un des trois interrogatoires qui suivirent demanda un peu plus de temps, car l’homme, infirmier et célibataire, n’avait pas d’alibi pour dimanche soir : il avait affirmé s’être endormi sur son canapé aux alentours de 23 heures. Mais il avait été capable de raconter le contenu de l’émission de variété en détail, programme préféré de la femme de Robillard, qui avait pu confirmer. De plus, une rapide visite de l’habitation (sans le moindre papier officiel) ainsi que le comportement plutôt coopératif de l’individu n’avaient rien indiqué de suspect.
Harassés, les policiers reprirent la route de Paris vers 14 heures. L’ambiance était morose, limite électrique. Bellanger ne tenait plus en place.
— Ce n’est pas possible, fit-il d’un ton exaspéré à Lucie. Six heures d’interrogatoires, et on n’a que dalle. Tu es bien certaine de n’avoir rien loupé au CHR ?
— Absolument. Les alibis étaient fiables. On est tous arrivés par surprise, le kidnappeur aurait forcément été nerveux, ça se serait vu dans son comportement. Or là, rien. Celui qui a envoyé le mail ne fait peut-être pas partie du personnel, finalement. Un patient, un proche d’un membre qui bosse au CHR…
Bellanger n’y croyait pas, il avait besoin de se répéter qu’ils n’avaient pas fait fausse route. Lucie repéra une aire d’autoroute et s’y engagea. Son indicateur de réservoir clignotait depuis un bout de temps. Levallois et Robillard poursuivirent leur route sur l’A10.
La lieutenant sortit faire le plein puis se gara devant la boutique.
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