Sharko y alla franco :
— Que tu me lances une comparaison dans le FNAEG.
— Rien que ça. (Un léger soupir.) Bouge pas, je démarre la bête. Voilà… Explique.
Sharko avait déjà vu comment le fichier fonctionnait. Un logiciel permettait la recherche de profils : on saisissait un « code-barres », et les serveurs informatiques, basés à Écully, près de Lyon, le comparait avec les millions d’empreintes stockées sur les disques durs. Pour être fiché dans le FNAEG, il fallait avoir été mis en examen, gardé à vue ou avoir commis des infractions qui allaient de l’agression au meurtre. On y intégrait aussi, progressivement, les professionnels au contact de scènes de crime, dont l’ADN était dit « contaminant ». Sharko savait que son propre profil génétique, comme celui de Lucie, se trouvait dans le fichier.
— Je te dicte les quinze nombres du profil que j’ai en main, tu es prêt ?
— Vas-y, répliqua Boulard. Mais pas trop vite, OK ?
Muni de sa feuille imprimée, Sharko dicta clairement la totalité des informations.
— C’est parti, fit Boulard, ta trace tourne dans le fichier. Je te rappelle d’ici quelques minutes, au pire, si on n’a pas de bol et que la trace se trouve en fin de base de données, dans une heure. Quel numéro ?
— Celui qui s’est affiché sur ton écran. Laisse un message si je ne suis pas là.
— À tout à l’heure.
Angoissé, Sharko en profita pour foncer à pied vers les laboratoires de la police scientifique, dans le département des « Documents et traces ». Yannick Hubert était encore là, assis devant un passeport ouvert et éclairé par une lampe à ultraviolets.
— Encore un faux ? fit Sharko dans son dos.
Hubert se retourna, il avait l’air fatigué. Les deux hommes se saluèrent sans grand entrain.
— Oui. Il y en a pas mal de ce type qui circulent en ce moment. Ils sont très bien imités et se comportent comme des vrais sous les ultraviolets. Ils passent presque tous les tests de sécurité, mais… (il sourit) la Marianne en filigrane est à l’envers. Tu te rends compte de la connerie ? Les mecs imitent tout à la perfection, jusqu’à la double couture, et font une erreur aussi grosse que celle de prendre une autoroute en sens inverse. Ils finissent tous par faire ce genre de conneries, tôt ou tard.
— Énorme… Pour ma feuille imprimée, avec le message bizarre, tu as eu le temps de jeter un œil ?
— J’ai laissé un message sur ton portable. Tu ne l’as pas eu ?
— Mon téléphone a pris un peu l’eau, pour tout te dire. J’ai un nouveau numéro.
— C’est assez fragile, ces choses-là. Bon… Le papier est de qualité standard, comme on en trouve dans toutes les papeteries, de même que la colle utilisée à l’arrière. Mais on a de la chance, l’imprimante est une laser couleur.
— Et alors ?
— Viens voir.
La feuille que Sharko avait retrouvée collée sur la glacière était située sous une grosse loupe binoculaire et éclairée avec une ampoule électroluminescente de couleur bleue. Le commissaire plaqua ses yeux contre les viseurs. Il remarqua alors une mosaïque de points jaunes imprimés dans une grille de quinze colonnes de large et huit lignes de haut.
— Qu’est-ce que c’est ?
— C’est un marquage invisible à l’œil nu, situé en bas de chaque document imprimé, et révélé uniquement sous une LED à lumière bleue. Toutes les imprimantes laser couleur du commerce agissent de cette façon, même celles que tu achètes en tant que particulier. Il s’agit initialement d’un système pour déjouer la contrefaçon de billets ou de documents administratifs, mis en place par la majeure partie des fabricants d’imprimantes. Chaque grille est unique et caractéristique d’une imprimante bien particulière. Déchiffrés, ces points jaunes permettent d’obtenir une suite de chiffres hexadécimaux de type : F1 8C 32 80… Il est impossible de déchiffrer ce numéro sans disposer du fichier détenu par les fabricants. Fichier auquel nous avons accès, évidemment.
Il poussa un papier vers Sharko.
— Voici le modèle et la marque de ton imprimante, identifiée de manière certaine grâce à cette grille. Une Xerox, commandée par Internet sur le site de Boulanger. Cette imprimante est du très bon matos, elle n’est pas donnée.
— C’est une info géniale.
— Pas mal, en effet. Je t’ai mâché le boulot et ai appelé Boulanger. Une facture a bien été établie en 2007 à un certain Raphaël Flamand. J’ai vérifié, ce type et l’adresse fournie n’existent pas. L’identité est donc complètement bidon.
— Mince.
Il tendit un papier à Sharko.
— Tiens, c’est l’adresse de livraison, une supérette qui sert de relais dans le 1 er arrondissement. Ça m’étonnerait fort qu’ils se souviennent du type, là-bas, mais tu pourras toujours essayer d’y faire un tour.
— Merci. Tu crois que le type savait, pour les codes cachés ?
— Ça m’étonnerait, c’est très confidentiel. Je pense qu’il a menti sur son identité parce qu’il ne voulait pas fournir ses coordonnées personnelles, tout simplement. D’ailleurs, tu as vu, il ne s’est pas fait livrer à son domicile. Ce genre de paranos qui détestent être fichés existent, malheureusement.
Sharko récupéra une copie de la facture et la fourra dans sa poche. Celui qu’il traquait était extrêmement prudent et zonait du côté du 1 er arrondissement de Paris. Y habitait-il ? Il avait acheté une imprimante couleur, en 2007. Du matériel coûteux. Un type avec une bonne situation professionnelle ?
Des questions, toujours des questions.
Hubert n’avait plus d’informations supplémentaires à fournir. Tracassé, le commissaire le salua et retourna au 36, le pas lourd, la tête pleine d’interrogations. Au bureau, le répondeur du téléphone clignotait. Sharko écouta le message. « C’est Boulard. J’ai ta trace. Rappelle-moi… »
Ça se précisait : le propriétaire du sperme avait été trouvé dans le FNAEG. Le flic déglutit et composa le numéro de son collègue.
Boulard décrocha.
— Le profil que tu m’as donné a matché avec une empreinte génétique. L’individu en question s’appelle Loïc Madère.
Sharko fronça les sourcils. Loïc Madère, Loïc Madère… Il n’avait jamais entendu parler de ce type. À demi rassuré qu’on n’ait pas prononcé son propre nom, il demanda :
— Qu’est-ce qu’on a sur lui ?
— Né le 12/07/1966, il a fait l’objet d’un prélèvement biologique à la suite d’un braquage ayant entraîné la mort d’un bijoutier à Vélizy, procédure 1 998/76 398 en date du 06/08/2006, prélèvement effectué par l’OPJ Hérisson, SRPJ de Versailles. J’ai jeté un œil dans le STIC [9] Système de traitement des infractions constatées.
et le fichier prison.
Sharko réfléchissait aussi vite qu’il pouvait. Le propriétaire du sperme avait aujourd’hui quarante-cinq ans. Ces noms, ces données ne lui disaient strictement rien. Un braquage de bijouterie ? Qu’est-ce qu’il avait à voir avec une telle affaire ?
Il en revint aux propos de Boulard.
— Le fichier prison, tu dis ? Et Madère est sorti quand ?
— Il n’est pas près de sortir. Petit séjour à Meaux jusqu’en 2026.
— T’es sûr de ça ?
— C’est le fichier qui le dit.
Sharko en resta sans voix. Comment le sperme d’un homme incarcéré avait-il pu se retrouver dans une cabane, au fond d’une glacière ?
Il dit, finalement :
— Envoie-moi des infos, si tu veux bien. Et j’ai une dernière chose à te demander : arrange-moi un parloir avec lui, demain matin, 9 heures.
Читать дальше