Après qu’elle fut sortie, Hadès posa la main sur la poignée extérieure.
— Petit speech dans quelques minutes. Sinon, on se voit demain matin. Reposez-vous bien cette nuit, vous aurez besoin de tous vos esprits pour la partie.
Il ferma. Sans poignée, Ilan ne pouvait plus sortir pour le moment. Et cette fois, le système de fermeture n’était pas comme dans la salle d’expérimentation. Il s’agissait juste d’une serrure.
Ilan l’ausculta et eut soudain une idée : il sortit de sa poche la clé qu’il avait trouvée chez la fausse flic et essaya de la glisser dans la serrure, en vain. Il se dit qu’elle devrait forcément lui servir, à un moment donné.
Il défit la chaîne en argent autour de son cou et y glissa la clé, avant de la remettre en place.
Troublé, il fit le tour de la pièce. À côté du lit, il y avait une petite commode sur laquelle reposait un réveil à quartz et des stylos. Ilan ouvrit le tiroir et découvrit quatre cartes : des huit d’un jeu de tarot divinatoire.
Il se laissa choir sur le lit, stupéfait. Dans son cauchemar, il y avait aussi un jeu de tarot. Ce personnage avec la taie d’oreiller sur la tête avait même retourné la lame représentant le Pendu.
Il dut admettre l’improbable : ou son esprit inventait complètement, au fil des minutes, ou il avait fait un véritable rêve prémonitoire. Il leva les yeux au plafond et fut à demi rassuré lorsqu’il vit le néon et non pas une ampoule protégée par une petite grille comme dans le cauchemar.
Ses yeux se plantèrent sur l’armoire, en face de lui. Il se redressa et entreprit de jeter un œil à l’intérieur. Il y avait du savon, des produits pour la toilette, une brosse à dents neuve, des serviettes, des sous-vêtements blancs en coton et un tas de tenues toutes identiques : des pulls à col roulé en laine, des pantalons ainsi que des surchemises bleus. Ilan en retira une de son cintre.
Il s’agissait à l’évidence de vêtements dont on habillait les patients, les malades mentaux.
Ilan jeta un œil à son plateau-repas. Il laissa le plat principal — du porc et de la purée — et mangea la crème brûlée devant la fenêtre grillagée donnant sur l’extérieur. Il ne distingua que la nuit noire et les flocons qui venaient s’écraser sur la vitre. Il resta là en songeant aux candidats qui patientaient aussi dans les autres pièces. Quelles épreuves avaient-ils subies pour arriver jusqu’ici ? Il imagina leur état de tension, leur excitation. Il y avait une sacrée somme à la clé. Naomie Fée faisait-elle partie de la sélection ? Hadès avait parlé d’une candidate arrivée dans la matinée. Au fond de lui-même, il espéra que c’était cette garce. La compétition n’en serait que meilleure.
Au moment où il finissait son dessert, la petite enceinte crépita.
— Bonsoir à tous, ici Virgile Hadès. Tout d’abord, félicitations. Vous êtes la crème des chasseurs de trésor. Des joueurs acharnés, intelligents, qui chercheront à aller jusqu’au bout, j’en suis certain. Comme vous avez pu le constater, Paranoïa dispose de plusieurs strates de sélection, vous les avez franchies avec succès, et vous voici à présent aux frontières du jeu pour une course à trois cent mille euros minimum. Cet hôpital est votre aire de jeu. Ses moindres recoins, ses salles les plus reculées vous appartiennent le temps de la partie. Il a été construit en 1870, sa structure est admirable. Vu du ciel, il ressemble à une chauve-souris géante aux ailes déployées. Il a été abandonné depuis plus de cinq ans et accueillait des adultes des deux sexes. Les femmes se trouvaient dans une aile, et les hommes dans l’autre. Chaque aile était divisée en quatre zones, de A à D. Une zone à chaque étage. L’aile D, au troisième, accueillait les cas extrêmes : psychotiques, déments, hystériques, schizophrènes. Vous vous situez dans la zone A de l’aile des hommes, qu’on appelait « la dure-mère », allez savoir pourquoi. En sous-sol, la structure possède également de nombreux tunnels, dont je crois que personne, en ce bas monde, ne connaît le réseau exact, tant il est vaste. Leur existence demeure un mystère…
De mieux en mieux. Tu le fais exprès, vieux schnock.
— … En montagne, dans des conditions climatiques souvent rigoureuses, la dégradation est accélérée. Aussi certaines pièces sont-elles déjà délabrées, rongées par l’humidité et envahies par la moisissure mais, globalement, votre aire de jeu est encore dans un état acceptable. Je vous invite à prendre connaissance des quelques informations que vous trouverez dans une enveloppe au fond de l’armoire. Elles vous présenteront les premiers éléments, essentiels pour votre partie.
Ilan se dirigea de nouveau vers le placard.
— Concernant la logistique, vous disposez d’une cuisine avec de grands réfrigérateurs et congélateurs. Vous avez à votre disposition de nombreuses douches hommes et femmes, des sanitaires propres, en plus de ceux dans votre chambre, et une armoire à pharmacie dans la salle des douches, en cas de petite blessure ou de coup de fatigue. À vous de vous organiser, vous y parviendrez sans problème, vous avez l’habitude, n’est-ce pas ? Vous avez tous participé aux plus grandes chasses, mais celle-ci est exceptionnelle…
Il y avait bien une enveloppe, plaquée contre le fond de l’armoire. Ilan s’en empara et l’ouvrit.
— … Rendez-vous demain, à 9 heures, dans le grand hall d’entrée. Nous comptons sur vous pour trouver le moyen de sortir de votre chambre, mais ne le faites pas avant 7 h 30, demain matin, car nous avons encore quelques détails à régler et un petit incident arrivé aujourd’hui en route m’a donné quelques idées supplémentaires particulièrement excitantes, que je vais essayer de mettre en place durant la nuit…
Ilan pensa à leur aventure avec le prisonnier. Était-ce ce à quoi Hadès faisait allusion ?
— … Vous aurez une heure trente pour vous doucher et déjeuner. Vous ferez aussi connaissance. Je vous demanderai de porter les vêtements qui vous ont été fournis et de ne pas essayer de sortir en dehors de notre « chauve-souris », à aucun moment. D’une part parce que vous pourriez vous retrouver dans l’ancien cimetière, situé juste derrière l’édifice. Et d’autre part, vu la somme d’argent conservée entre ces murs, des chiens dressés montent la garde autour de l’enceinte du complexe. Je vous souhaite une bonne nuit. Et n’oubliez pas : Pour 300 000 euros, oserez-vous défier vos peurs les plus intimes ?
Quelques crépitements, puis plus rien.
Enveloppe en main, Ilan ausculta avec attention les recoins de la pièce, s’assurant qu’il n’y avait pas de caméras ou de micros. Puis il jeta un œil aux cartes à jouer, buvant un peu d’eau. Pourquoi quatre cartes ? Pourquoi des huit ? Il réfléchit, sans comprendre pour le moment.
Il s’attarda alors sur le contenu de l’enveloppe : il y avait deux feuilles. L’une, très grande, représentait un plan en deux dimensions, qui semblait décrire une partie de l’intérieur de l’hôpital. Ilan la déplia complètement, à plat sur le lit.
L’hôpital avait effectivement la forme d’une chauve-souris aux ailes parfaitement symétriques s’étendant de part et d’autre du centre. Des couloirs partaient dans toutes les directions, les pièces de toutes tailles s’enchaînaient. Un véritable labyrinthe. Ilan identifia rapidement l’entrée. De l’index, il chercha l’endroit où se trouvaient les chambres. Il était inscrit, en petit : « Chambres des candidats », « Cuisine », « Douches ». Il repéra également le lieu où reposaient les billets derrière leur vitre, ainsi que d’autres emplacements qui lui glacèrent le sang : « Aile des déments », « Chirurgie », « Soins ». Entre autres. Mais la plupart des couloirs ou des pièces n’étaient pas légendés.
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