La route paraissait parfaitement déserte ; pourtant, lorsqu’il approcha du bord, il se plaqua brusquement au sol. En dessous de lui, quelques tournants plus bas, il y avait le tournant qu’ils avaient masqué pour envoyer la Mustang dans le vide. Depuis, les sauveteurs avaient installé un treuil, et il s’était étonné qu’ils le laissent ainsi à demeure. Aujourd’hui, deux hommes achevaient de remonter dans la nacelle qui fonctionnait comme un échafaudage mobile de peintre ou de maçon.
Les deux hommes sortirent de la nacelle, puis se dirigèrent vers une Seat 600 garée plus loin. L’un était indiscutablement espagnol, mais l’autre paraissait français. Vergara l’observa longuement, autant qu’il le put, jusqu’à ce que la voiture se mette en route.
— Bon, ils s’en vont.
Mais la 600 entreprit l’escalade de la route et il se mit à courir vers la mine.
— Que se passe-t-il ? demanda Chiva.
— Tout à l’heure.
La voiture passa en ronflant fortement et sans marquer la moindre hésitation.
— Ils montent au Parador.
Deux types qui viennent de descendre jusqu’à l’épave de la Mustang. Un Espagnol et un étranger. Je me demande s’il ne s’agit pas du Français. Mais pourquoi ne sont-ils pas venus ici ? Ne les a-t-elle pas rejoints et avertis ?
— Vous me cherchez ? fit la voix moqueuse d’Odile.
Vergara se précipita vers elle, tandis que Chiva se penchait exagérément par la portière.
— D’où sortez-vous ?
— De là.
Elle désignait le puits de mine qui descendait rejoindre une autre galerie.
— Ce matin, de bonne heure, j’ai décidé d’aller explorer le coin. Je suis descendue par l’échelle de fer.
— Votre jambe ?
— Elle va beaucoup mieux.
— Vous auriez pu vous blesser.
— C’est assez facile. Une fois au bas du puits, j’ai vu la lumière du jour au bout de l’autre galerie. On débouche à flanc de montagne. Autrefois, il devait y avoir un téléphérique pour le transport du minerai. Mais il y a un sentier par lequel on pourrait rejoindre la vallée. J’ai fumé une cigarette et je suis remontée. Vous étiez inquiets ?
— Nous pensions que vous étiez allée chercher la police.
— Et vous attendiez placidement qu’on vienne vous arrêter ?
Vergara haussa les épaules.
— En fait, il n’y a qu’une route et il suffit de la barrer pour nous coincer ici. Que vouliez-vous que nous fassions d’autre ? Nous attendions, tout simplement.
— Ça sent bon le café.
— Il va être froid. Je vais en faire d’autre.
— Non, ça ira comme ça.
Elle but dans le gobelet d’argent trouvé dans une trousse de toilette.
— Est-ce que votre ami porte une veste-chemise d’un bleu très clair sur un pantalon beige ?
— Sable. Oui, pourquoi ?
— Il est assez grand, un peu gras et chauve ?
Elle pâlit.
— Oui. Vous l’avez vu ?
— Il y a un instant. En compagnie d’un Espagnol, un policier, certainement. Ils sont descendus visiter l’épave. Puis ils sont remontés.
— Ils sont partis ?
— À bord d’une petite Seat 600.
— Ils sont allés vers le bas ou vers le haut ?
Vergara soutint son regard.
— Vers le bas.
— Ah !
Elle respira profondément.
— Je suis heureuse qu’il soit sur pied et qu’il se soucie également de moi. Car je suppose que c’est pour découvrir un indice me concernant qu’il est allé fouiller l’épave.
— Certainement, dit Vergara en portant son verre de café à ses lèvres.
Il but d’un seul coup et grimaça.
— Je n’aime pas le café tiède. Je vais en refaire pour tout le monde. Voulez-vous manger quelque chose ?
— Non… Non, merci.
Chiva appela, et Vergara alla le chercher, l’installa comme d’habitude sur les valises. Le cul-de-jatte les regarda curieusement l’un et l’autre.
— Tonio. Dis-lui.
Vergara se raidit et détourna la tête.
— Dire quoi ? demanda la jeune femme.
— Tonio va vous le dire.
— Non. Il n’y a rien à dire.
Vergara sortit ses cigarettes, en alluma une en quelques gestes brusques.
— Est-ce si grave ?
— Et puis, tant pis. La petite voiture est montée au Parador et n’est pas encore descendue. Si vous le voulez, vous pouvez faire signe à votre ami au passage.
La jeune femme devint très pâle.
— Qu’attendez-vous ? Nous ne ferons rien pour vous retenir ici. Voulez-vous que je vous porte jusqu’au bord de la route ?
Il s’approcha d’elle et elle recula instinctivement. Il sourit tristement :
— Je ne vais pas vous faire de mal.
— Laissez-moi… Vous vous êtes trompé. Ce n’est pas mon ami. Certainement quelque curieux ou bien un représentant du consul de France. Je ne désire pas les voir.
— Il s’agit bien de votre ami. Pourquoi refusez-vous ? Est-ce pour lui…, ou pour nous ?
Elle s’assit sur une pile de valises et prit son visage entre ses mains. Chiva la regardait en souriant, et il fit un clin d’œil à Vergara comme pour lui recommander de ne rien dire.
— Ils vont descendre bientôt, dit-il. Au Parador, ils ont dû prendre quelques renseignements, boire un verre. Dans un quart d’heure, ils repasseront là-devant.
Odile releva la tête.
— Respectons ce que nous avons décidé. Vous me laissez pour fuir le plus loin possible jusqu’à ce que quelqu’un me découvre.
— Justement, mon ami et moi avons pensé à autre chose.
Il lui expliqua qu’ils comptaient l’abandonner dans un village perdu à plusieurs centaines de kilomètres de là, mais ne parla pas du couvent où il comptait se réfugier durant quelques semaines, le temps de laisser classer l’affaire. Durant les vacances, jusqu’à la fin septembre, la police aurait bien assez de travail avec l’afflux des touristes et des malfaiteurs de toutes catégories. Vergara reviendrait le chercher fin août.
— Bien, dit-elle, comme vous voudrez. Je pense que, pour vous, ce sera encore mieux.
— Vous ne regrettez rien ?
— Quoi donc ?
— Même en partant aujourd’hui, il nous faudra plusieurs jours pour effectuer plusieurs centaines de kilomètres. La camionnette est vieille, son moteur est poussif et nous serons chargés.
Son regard parcourut les valises et les objets de toute nature rangés dans un coin. Odile ne suivit pas son regard et il comprit qu’elle préférait qu’on ne parle pas de tout ce butin accumulé. Il la comprenait fort bien.
— Je peux très bien perdre encore deux ou trois jours. Mon ami ne va pas quitter la région avant d’avoir une certitude totale.
Vergara refaisait du café pour tout le monde. Juste comme il servait la jeune femme, un bourdonnement lointain troubla le silence, et il fut certain que c’était la petite voiture.
— La Seat 600 revient, dit-il en cherchant les yeux de la jeune femme.
Elle lui sourit.
— Il sent bon. Pouvez-vous me donner deux morceaux de sucre, s’il vous plaît ? Merci.
— Dans moins d’une minute, elle sera là. Elle se trouve au-dessus de nos têtes à trois tournants environ.
Odile buvait doucement son café bouillant, et lorsque la Seat 600 passa en vrombrissant à quelques mètres d’eux, elle resta impassible.
Le soleil accrocha un reflet et le renvoya dans la grotte au-travers des buissons.
— Je crois que je vais manger un morceau de pain et de fromage, dit-elle ensuite. Cette promenade m’a creusée.
— Votre jambe ?
— Ça va. Demain, je crois que je pourrai marcher comme tout le monde, et, dans quelques jours, j’aurai complètement oublié cette foulure. Vous êtes un excellent médecin.
Elle souriait sans arrière-pensée, comme libérée d’un grand poids. Chiva approuva :
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