La porte claque, Cloé reste figée dans l’horreur.
Fini de jouer, mon ange …
Lorsque minuit sonne à une lointaine église, Cloé ouvre une autre bouteille de whisky et avale un calmant. Elle a songé à quitter la maison, mais sait que c’est inutile. Il la retrouvera, où qu’elle aille.
Gomez ne l’a pas rappelée. Il n’est pas venu.
Il ne viendra plus.
Ne la verra pas ramper jusqu’à son lit, mettre le P38 sous l’oreiller.
Ne la verra pas non plus tomber à genoux pour inventer une prière.
Mon Dieu, faites qu’il ne vienne pas… Faites qu’il ne soit rien arrivé à Alexandre .
Il fait sombre. Il fait froid.
Cloé ne sait plus comment elle s’est retrouvée là. Elle se souvient juste d’avoir couru à en perdre haleine, tandis que l’Ombre la poursuivait sans relâche.
Un hangar, immense.
En levant la tête, elle aperçoit Lisa qui s’élance sur la poutre. Elle entend son rire cristallin emplir tout l’espace.
Et puis son hurlement tragique au moment où elle bascule dans le vide.
Le corps s’écrase à ses pieds. Bruit effroyable des os qui se brisent, des chairs qui éclatent.
Alors, Cloé se réfugie dans une pièce sans fenêtre, tout au fond de l’usine. Assise par terre, recroquevillée dans un angle, elle écoute. Mais la seule chose qu’elle entend, ce sont les coups de butoir dans sa poitrine.
Je voudrais venir à ton secours, ma Lisa. Mais je dois me cacher ! Toujours me cacher… Sinon, il me retrouvera.
Elle pleure, elle tremble. Jusqu’à ce qu’un bruit fige le sang dans ses veines.
La porte.
Quelqu’un essaie de l’ouvrir.
Le petit verrou explose, un affreux grincement annonce le pire. Une lumière jaunâtre éclaire soudain la scène. C’est alors que Cloé découvre le message écrit sur le mur : Fini de jouer, mon ange.
Une silhouette gigantesque se plante dans l’encadrement et Cloé se remet à respirer.
— Alex !
Il entre, laissant la porte ouverte, mais ne s’approche pas d’elle. Les bras croisés, il s’adosse au mur. Comme s’il attendait quelque chose.
— Viens ! supplie Cloé.
Il ne bouge pas, se contente de la fixer. Ses yeux brillent, on dirait qu’il est sur le point de pleurer.
C’est alors qu’une autre silhouette apparaît. Celle de la Bête.
L’Ombre s’avance, ignorant Alexandre qui ne fait rien pour l’arrêter. Pour l’empêcher.
Le monstre est près d’elle, maintenant. Il n’a pas de visage, porte des gants.
Il attrape ses poignets, la soulève du sol.
Cloé hurle, si fort qu’elle se réveille enfin.
Le souffle court, le front et le dos trempés d’une sueur glacée.
Elle s’assoit dans le lit, essaie de recouvrer une respiration normale.
Au bout de deux minutes, la crise est calmée. Les chiffres rouges du réveil lui annoncent qu’il est 4 h 28 du matin. Elle se rallonge, ferme les yeux.
Mais quelque chose l’empêche de repartir vers le monde des cauchemars. Une impression, une oppression.
Elle n’est pas seule dans la pièce.
Il est là.
Il est là.
Les mains de Cloé se crispent sur les draps. Son cerveau se vidange complètement pour se remplir de panique.
Elle ne pense plus à rien.
Sauf à lui.
Et à la mort.
Totalement immobile, la bouche maintenue ouverte par ses mâchoires tétanisées, elle coule à pic dans les profondeurs d’une peur primaire, animale. Viscérale.
Elle ne le voit pas, elle le sent. Elle entend même sa respiration régulière, maintenant.
Son souffle. Celui d’un fauve.
Perceptions acérées par la terreur.
Elle devine qu’il est en face. Au pied du lit, juste à côté de la fenêtre.
Plusieurs minutes s’écoulent ainsi. Avant que ses méninges se remettent à fonctionner. À une allure démente.
Sa main se glisse sous l’oreiller d’à côté, pressée de saisir le fidèle P38.
Mais le pistolet n’y est plus. Peut-être est-il braqué sur elle en ce moment même ?
Calme-toi, Cloé… Calme-toi et réfléchis !
Bondir hors du lit, courir jusqu’à la salle de bains et s’y enfermer à double tour.
Pour cela, il faudrait d’abord pouvoir bouger ne serait-ce qu’un cil.
Sait-il que je suis réveillée ? Peut-il me voir ? Va-t-il me tuer ?
Et si j’attendais simplement qu’il parte ?
Elle ferme les yeux, se concentre.
Saisir discrètement le portable posé sur le chevet, faire descendre les draps et la couverture. Sans le moindre bruit, le moindre froissement. Sauter du lit, s’élancer dans le couloir. Toujours tout droit, jusqu’à la salle d’eau. Pousser le verrou. Et appeler la police, car il aura tôt fait d’enfoncer la porte.
Elle tente de réunir les forces et le courage de passer à l’action. Son cœur ne résistera plus très longtemps, il faut qu’elle s’éloigne de lui.
Et s’il me rattrape avant que j’atteigne la salle de bains ?
Peut-être que je ne devrais pas bouger, peut-être qu’il veut juste m’observer ?
Alex, pourquoi t’es pas là ? Mon Dieu, mais pourquoi t’es pas là !
Soudain, il fait un mouvement. Cloé ressent le léger déplacement d’air comme un coup de fouet.
Déflagration dans son cerveau.
Elle attrape son portable, se lève d’un bond et fonce dans le couloir à peine éclairé par la lumière de la rue.
Elle n’a jamais couru aussi vite de sa vie.
Tellement vite qu’elle heurte la porte de la salle de bains, lâche le téléphone.
Elle pose enfin la main sur la poignée en porcelaine lorsqu’elle repart brutalement en arrière. Il vient de l’agripper par les cheveux, elle hurle. Frappe dans le vide, se débat.
Poussée violemment, elle atterrit sur le parquet, face contre terre. Elle n’a pas le temps de se redresser, il saisit ses poignets, la retourne sur le dos et la traîne ainsi sur le sol, jusqu’à la chambre.
L’impression d’être aspirée par les enfers.
Avec ses pieds, Cloé essaie de s’accrocher à tout ce qui passe. Elle emporte une petite sellette sur laquelle trône une plante ; pas assez lourde pour la retenir. Le pot en terre cuite s’écrase sur le sol, dans un bruit sourd.
Une fois dans la chambre, une force invisible la soulève du sol et la jette sur le lit. Cloé se relève instantanément pour se réfugier dans l’angle opposé.
La lumière de chevet s’allume, son cauchemar prend forme humaine.
Il porte une cagoule sur le visage, son sweat noir et sa capuche. Des gants, noirs eux aussi. Et un foulard qui monte jusque sur son nez.
— Bonsoir, mon ange.
Acculée contre le mur, les yeux exorbités, Cloé fixe Satan en personne.
Il se tient entre elle et la porte, il n’y a plus aucune issue. Sauf la fenêtre. Le temps de tirer les rideaux, de l’ouvrir… Impossible. Tout espoir de fuite est réduit à néant.
Seul le lit les sépare. Moins de deux mètres.
C’est terminé, Cloé le sait.
— Tu voulais prendre un bain à cette heure-ci ? Tu te sens sale, peut-être ?
Cette voix, maléfique, emplit tout l’espace. Rentre de force en elle.
Substance visqueuse, mortelle.
— Ou alors tu as eu peur de moi ? C’est ça, mon ange ? Tu voulais te sauver ? C’est normal, tu sais… Et tu as bien raison d’avoir peur.
D’un bond, il grimpe sur le lit, le traverse d’une seule enjambée.
Cloé s’enfuit par le côté, il la rattrape aussitôt, la plaque brutalement contre le mur, serrant une main sur sa gorge. Elle se débat encore, véritable lionne enragée. Elle distribue les coups, parvient à l’atteindre au tibia et à la tête. Pourtant, il tient bon, serrant sa gorge de plus en plus. Il l’oblige à se retourner, écrase son visage contre la cloison, attrape ses poignets.
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