Gomez sourit un peu nerveusement.
— Admettons. Alors, pourquoi m’avoir appelé hier soir ? Ce n’était pas pour vous consoler du départ de votre mec, j’espère ? Parce que je ne rends pas ce genre de services.
De plus en plus humiliée, Cloé ne se rebiffe pourtant pas. La peur de se retrouver seule est trop forte. Il pourrait l’insulter, ça n’y changerait rien.
— J’étais là, sur le canapé, presque endormie. Et brusquement, j’ai entendu qu’on ouvrait la porte d’entrée… Parce qu’elle était verrouillée, vous savez. Mais j’ai entendu une clef tourner dans la serrure. J’ai cru que j’allais faire une crise cardiaque ! Je me suis réfugiée dans la salle de bains et je l’ai entendu marcher dans le couloir. Par chance, j’avais le portable dans ma poche, alors je vous ai appelé. Il a tenté d’ouvrir la porte de la salle de bains, j’ai hurlé que je venais d’appeler la police. Il… il m’a dit qu’il reviendrait, que ce n’était que partie remise.
— Il vous a parlé ? s’étonne Gomez.
— Oui. Je reviendrai, mon ange… Ce n’est que partie remise .
— Mon ange ?… Vous avez reconnu sa voix ?
Cloé fait non d’un signe de la tête.
— Elle était bizarre, comme étouffée. Ensuite, je n’ai plus rien entendu, jusqu’à ce que vous arriviez. Voilà.
— Passionnant ! ricane Alexandre en terminant son café.
— Je ne vois pas ce qu’il y a de drôle ! balance Cloé d’un air mauvais.
— Non, rien de drôle, bien sûr… Après, vous avez vu une bande d’horribles petits lutins verts qui sortaient des chiottes, non ?
Cloé ne répond pas, se contente de le fusiller du regard.
— Faut pas jouer avec moi, mademoiselle Beauchamp, prévient Alexandre.
— Il est venu, je vous dis. Et parti avant que vous arriviez.
— Maintenant que je sais que vous êtes une junkie alcoolique, j’ai tendance à ne plus vous croire… Curieux, non ?
— Dans ce cas, partez. Sortez de chez moi.
Il s’enfonce dans le fauteuil, la fixe de ses yeux inquisiteurs.
— Vous n’avez qu’une peur : que je vous obéisse. Je me trompe ?
Elle fixe le mur, croise les bras.
— Au point où j’en suis, ça m’est égal. Il n’a qu’à venir m’égorger.
— Vous égorger ? À mon avis, c’est autre chose qu’il a envie de faire avec vous, s’amuse Alexandre.
Cloé sent l’effroi glacer sa peau encore humide.
— Vous avez fait changer les verrous ?
Elle essaie de recouvrer son calme avant de répondre.
— Le serrurier vient lundi en fin d’après-midi.
— Parfait.
— Je croyais que c’était juste un horrible petit lutin vert !
Gomez se ressert un café, y ajoute cette fois deux sucres.
— On ne se méfie pas assez des lutins, je vous assure. Surtout quand ils sont verts. De vraies teignes.
— Si vous ne me prenez pas au sérieux, je ne vois pas ce que vous faites là, soupire Cloé.
— J’ai passé ma journée à enquêter, révèle-t-il. Si je ne vous prenais pas au sérieux, croyez-vous que je perdrais ainsi mon temps ?
Elle hausse les épaules, à court de répliques.
— La seule chose que j’essaie de vous faire entrer dans le crâne, c’est que boire vous rend plus vulnérable. Et qu’il faut arrêter. Ça, et la came.
— Je ne prends pas de came, merde ! hurle Cloé. Vous me faites chier à la fin.
Il est surpris de l’entendre ainsi hausser le ton.
— Restez polie. Je vous rappelle que vous parlez à un officier de police. OK, vous êtes clean, pas de drogue, je veux bien vous croire. Mais des médicaments qui, mélangés à l’alcool, vous mettent dans le même état qu’un fixe de coke. Alors, plus d’alcool, d’accord ?
— D’accord… Je peux savoir ce qu’a donné votre journée d’enquête ?
— J’ai interrogé vos voisins mais aucun d’entre eux n’a vu un homme rôder dans les parages.
— Qu’avez-vous trouvé comme prétexte ?
— Je leur ai dit qu’il y avait eu une tentative d’effraction chez vous… Ensuite, je suis allé rendre visite à votre femme de ménage. Elle m’a montré où elle range les trousseaux de clefs de ses employeurs. Un placard fermé, rien à redire. Et son mari mesure 1,74 mètre.
— Vous lui avez demandé la taille de son mari ? s’étonne Cloé.
— Vous m’avez bien dit que ce type est grand, non ? Le mari de Fabienne est l’un des seuls à avoir accès aux clefs. Alors j’ai voulu savoir. Mais je suppose que par grand vous entendez plus de 1,80 mètre, non ?
— Oui.
— Bien… D’autre part, je me suis renseigné sur votre ex-mari. Et on peut l’éliminer de la liste des suspects. Parce qu’il est à nouveau à l’ombre. Devinez pour quel motif ?
— Violences conjugales, tente Cloé.
— Raté !… Il a tabassé un mec dans la rue. Bon, je vais aller me pieuter, maintenant.
— Vous pouvez aller dans ma chambre, propose Cloé.
Il la regarde, ébahi.
— Pardon ?
— Si vous avez sommeil, vous pouvez prendre ma chambre. Moi, je vais rester là.
— Mademoiselle Beauchamp, je ne vais pas m’installer chez vous. Je vous le répète, je suis flic, pas garde du corps. Je ne suis pas affecté à votre protection rapprochée…
— Il pourrait revenir.
— Non, c’est peu probable et je ne peux pas passer ma vie ici. Alors, vous allez sagement vous coucher et vous gardez votre portable avec vous, OK ?
Elle lui adresse un regard suppliant, il songe soudain à la locataire perpétuelle du cimetière central, allée 14.
— J’ai un train à prendre demain matin et…
Il lève les yeux au ciel.
— OK, c’est bon, je vais rester.
— Merci, commandant. La chambre est…
— Je sais où est votre chambre. J’ai visité toute la maison hier soir, en cherchant l’homme invisible. Mais je crois que vous avez plus besoin d’un lit que moi. Vous avez vraiment une sale gueule !
— Merci, c’est gentil .
— Je vous en prie. Moi je vais prendre le canapé, comme le bon chien de garde que je suis.
Quand il a les yeux fermés, c’est plus facile de le regarder.
Alors Cloé l’observe, à sa guise. Sans son sourire cynique et son regard de malade mental, il a un visage agréable, resté jeune malgré les marques de fatigue. Des bras puissants terminés par de belles mains que Cloé a soudain envie de prendre dans les siennes.
Il s’est endormi sur le divan, dans une drôle de position.
Pour ne pas l’indisposer — ou ne pas montrer à quel point elle est terrorisée — elle lui a laissé le temps de s’assoupir avant de le rejoindre ici. Car elle, bien sûr, n’a pu trouver le sommeil.
Elle a l’impression d’avoir avalé des litres et des litres de café sucré aux amphétamines. Des semaines qu’elle ne sait plus ce que dormir veut dire. Sauf quand elle avale une dose massive de calmants. Pourtant, Alexandre est là. Enfin en sécurité, elle pourrait fermer les yeux, s’octroyer un repos bien mérité. Mais elle n’y parvient pas.
N’y parvient plus.
Combien de temps peut-on vivre sans dormir ? Quand on a le cœur qui bat déjà beaucoup trop vite ?
Elle a profité que Gomez soit inconscient pour planquer le P38 qui avait glissé derrière le canapé. Qu’il ne s’aperçoive pas qu’elle l’a rechargé et le lui confisque. Car elle n’imagine pas une seule seconde qu’il la place en garde à vue. Maintenant qu’ils se connaissent…
Sur la pointe des pieds, elle se rend dans la cuisine et avale un demi-litre d’eau. Cette soif, tenace, qui ne la quitte pas.
En jetant un œil par la fenêtre, Cloé découvre que l’aube ne tardera plus. Puis elle revient près du flic endormi qui n’a pas bougé d’un millimètre. Ses yeux se posent à nouveau sur lui, le détaillant à l’infini. Pourtant, c’est à Bertrand qu’elle pense. En continu.
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