Trophées de chasse…
— Vous aviez raison, capitaine… Ce mec est un tombeur !
— Ouais… Mais ça ne nous avance guère !
— Il va falloir fouiller son bureau, aussi…
— C’est ce que nous sommes en train de faire, je vous signale ! raille Djamila.
— Non, je parle de chez lui.
— Ah… Gaëlle ne sera peut-être pas d’accord…
— Il faut inspecter son domicile, on n’a pas le choix.
— Vous espérez y découvrir quoi ?
— Aucune idée ! Mais si cet homme a disparu, ce n’est pas forcément un hasard, non ? Il a peut-être des choses à se reprocher…
— Vous êtes de la crim’ ou de l’IGS, commandant ? balance Djamila.
— Pourquoi dites-vous cela ?
— Vous voyez le mal partout, ma parole ! Pourquoi voulez-vous que Lorand soit un ripou ?
— Je veux le retrouver, c’est tout… Et vous ?
— Quoi, moi ?
— Avez-vous vraiment envie que Lorand réapparaisse ?
Elle reste un instant stupéfaite. Puis bascule très vite dans la colère.
— Vous commencez vraiment à m’emmerder avec vos insinuations stupides ! hurle-t-elle. Vous devriez rentrer chez vous avant que je vous foute ma main dans la gueule !
— Du calme, capitaine ! Je vous en prie…
Elle claque violemment la porte, se dirige d’un pas rapide vers son propre bureau.
— Fait chier ce vieux con !
Elle se prend un café, va piquer une clope à l’un de ses adjoints. Puis s’enferme à nouveau.
Le dossier de la disparition de Benoît, ouvert en plein milieu de son bureau, la nargue.
Elle referme la pochette avec rage.
Tu vois, espèce de salaud, tu as fini par payer…
On finit toujours pas récolter ce que l’on sème.
Un repos salvateur auquel il a goûté sans retenue.
Il fait presque nuit, maintenant. Bien au chaud dans son pull, enroulé dans sa couverture, il s’accroche aux dernières lueurs.
Il va mieux. Après un repas et un café, une longue douche bien chaude et plusieurs heures de sommeil, il se sent à nouveau d’attaque.
Mais d’attaque pour quoi ?
Il se lève. Vérifie que le monstre n’est pas là, à l’épier du fin fond des ténèbres. Apparemment, il est seul.
Comme un réflexe, il file un coup de pied retentissant dans la serrure. Puis un autre. À défaut d’autre chose, ça le défoule.
Placé sous le rectangle pâle de lumière, il réfléchit. Son cerveau fonctionne à nouveau, avec le peu de carburant disponible.
Faut-il lui résister ? Lui céder ?
Qu’est-ce qu’elle veut, exactement ? Aucune idée.
Mais elle désire l’avilir, ça il l’a bien compris. Le mettre plus bas que terre, le piétiner. Le soumettre.
Et tant qu’elle n’aura pas obtenu ça, elle ne le tuera pas.
Gagner du temps.
Le temps nécessaire pour qu’ils me retrouvent.
S’ils avaient localisé mon portable, ils seraient déjà là… Mais ils vont bien finir par découvrir quelque chose, un indice.
Un indice ?… Quel indice ?
Il glisse de nouveau vers l’abattement, se rattrape in extremis. Non, il ne faut pas considérer les choses sous cet angle : il doit tenir car il découvrira bien le moyen de sortir. Elle commettra une erreur. Et là…
Oui, son plan est établi. Il lui semble parfait.
Ne pas me laisser humilier, ne pas pleurer. Ne pas supplier.
Mais en même temps, lui faire croire que je n’ai quasiment plus de force physique. Pour qu’elle prenne des risques… Justement, la voilà.
Il s’assoit sur la couverture, tel un garçon bien sage.
Il la défie du regard, elle glisse ses doigts sur les barreaux. Petits serpents blancs aux ongles parfaitement manucures.
— Bonsoir, Ben…
— Seuls mes amis m’appellent comme ça. Mes amis ou mes maîtresses. Pour les autres, c’est Benoît ou commandant Lorand.
— Oh… Mais nous sommes intimes à présent, non ?
— Intimes ?! Tu rêves ! Je ne me souviens pas t’avoir baisée…
Elle a un moment de stupeur face à tant d’audace.
— Tu as décidé d’être odieux avec moi, Ben ?
— Donne-moi une seule raison de ne pas l’être !
— Le revolver qui est là, juste derrière moi… C’est une bonne raison, non ?
— Je m’en fous de crever. Vas-y, tue-moi !
— Je vois… Le commandant Lorand se rebelle ! Tu veux jouer aux durs ? Allons ! Je sais bien que tu es mort de trouille, Ben !
— Désolé de te décevoir, ma petite, mais non. Je ne suis pas mort de trouille. Plutôt mort de faim !… Et puis, faut que je te dise : j’ai très envie de te faire la peau, tu vois…
— J’imagine ! Mais le problème, c’est que c’est moi qui ai les clefs et le flingue…
— Effectivement, c’est un problème. Mais ma maman m’a toujours dit qu’à chaque problème, il y a une solution… Le tout étant de la trouver !
— Tu ne tiens même plus debout ! Qu’est-ce que tu racontes ?!
Il se tait. Ne pas la pousser trop loin. S’il veut sortir intact de cet enfer.
Ce silence, cette défaite, élargissent le sourire sur les lèvres de la geôlière.
Elle récupère quelque chose dans sa poche, passe un bras entre deux barreaux.
Une chaîne avec un médaillon au bout.
— Tu le reconnais ? demande-t-elle.
Il s’approche, elle ne recule même pas. Une breloque en or qu’il identifie immédiatement.
— C’est ta médaille. Celle que tu portes autour du cou…
Elle déboutonne le haut de son chemisier, son pendentif apparaît. Il n’a pas bougé.
Elle retourne le bijou, quelque chose est gravé dans le métal précieux.
Aurélia, 12 02 1978.
— Tu la reconnais, n’est-ce pas ?
Il lève les yeux sur elle.
— Non. Je vois seulement que c’est la même que la tienne.
— Oui, presque…
— C’est qui, Aurélia ?
Il voit son visage changer. Ses prunelles irradient la haine. Elle remet l’objet dans sa poche.
— Pourquoi tu continues à nier, espèce de salaud ?
— A nier quoi ?
— C’est toi qui l’as tuée… Je le sais !
— Je ne vois pas de quoi tu parles.
— Je le sais ! hurle-t-elle.
Il préfère s’écarter légèrement de la grille.
— Mais je te ferai avouer, fumier !
— Écoute, Lydia, tu te trompes, je t’assure. Je n’ai jamais tué personne de ma vie !
— Tu avoueras, répète la jeune femme avec une procession de menaces dans la voix. Je vais te faire tellement mal que tu finiras par avouer… Mais j’ai tout mon temps, tu sais. Tout mon temps… Plus c’est long, plus c’est bon ! C’est bien ça, non ?
— Calme-toi, Lydia… On peut discuter, OK ? C’est qui, Aurélia ?
— Ta gueule ! ordonne-t-elle. Tu sais très bien qui c’est puisque tu l’as assassinée !
Il soupire. S’adosse à nouveau au mur.
— Tu es surpris, n’est-ce pas ? Tu ne pensais pas que je le retrouverais, hein ?
— Quoi ?
— Le médaillon, bien sûr ! Tu l’avais bien planqué, je l’avoue. Mais…
— Moi ? J’ai jamais vu ce truc-là de ma vie !
— Tu mens. Tu peux tromper tout le monde, avec tes airs de flic intègre ! Mais pas moi…
Il se rassoit sur la couverture. Vrai qu’il a du mal à tenir debout.
— Moi je sais qui tu es. De quoi tu es capable… De quelles horreurs !
— Tu dis n’importe quoi ! Tu délires !
— Ça fait quel effet d’être démasqué, commandant Lorand ?
— Tu es complètement folle… Complètement folle, ma pauvre !
— Tu n’es qu’un assassin… Un tueur d’enfants !
Il ferme les yeux. De pire en pire.
— Un violeur, aussi.
— C’est tout ? Tu n’oublies rien ?!
— Parce que tu l’as violée, n’est-ce pas ?
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