L’autre s’était blessée en tombant. Elle serrait sa cheville gauche de ses deux mains.
— Allez, lève-toi ! hurla Marianne.
Elle la saisit par les cheveux, la força à se remettre debout avant de la projeter contre le mur. Emmanuelle se protégea le visage avec les bras. Mais Marianne se contenta de la rouer de mots.
— Rien que de voir ta tronche, ça me file la gerbe ! J’ai pas envie que tu restes ici ! Alors tu vas demander à changer de cellule, OK… ? Oh ! T’as entendu ?
— Oui, répondit le Fantôme. Mais… Mais…
— Mais, mais ! répéta Marianne en mimant le bégaiement ridicule. Mais quoi ?
— S’ils ne veulent pas ?
— À toi d’être convaincante ! Si t’es encore là cette nuit, tu verras pas le jour se lever demain matin. T’as pigé ou je te fais un dessin ?
Elle fit mine de se trancher la gorge, Emmanuelle se mit à pleurer, tout d’un coup, comme une vieille habitude. Elle tomba à genoux. Marianne leva les yeux au ciel.
— T’es vraiment pire qu’une serpillière ! cracha-t-elle avec un impitoyable sourire.
— Vous pouvez me tuer, je m’en fous…
Marianne, soudain à sec de menaces, soupira de nouveau. Si je veux qu’elle dégage, faut que je lui casse la gueule. Mais comment frapper une femme à genoux en pleurs ? Au-dessus de ses forces.
— Putain, arrête de chialer ! Tu me casses les oreilles !
Emmanuelle ne pouvait plus s’arrêter. Un sac d’os secoué par un séisme nerveux. Le visage enfoui dans ses mains, elle vidait son stock lacrymal sans aucune retenue. Marianne tournait autour d’elle, les poings serrés, les crocs dehors. Les muscles parcourus par un courant électrique surpuissant.
Faut qu’on en finisse ! Que je l’assomme, qu’elle arrête de me martyriser les tympans ! Que j’abrège sa souffrance et la mienne !
Finalement, elle retourna sur son matelas, brusquement épuisée. Impuissante. Elle se boucha seulement les oreilles. Ces pleurs avaient quelque chose d’infernal. De démoniaque. Ils lui tapaient sur le système comme un supplice, lui déchiraient le cerveau à la façon d’un bistouri. Faut que je l’arrête, bon Dieu ! Elle va me rendre folle !
Soudain, la porte de la cellule s’ouvrit. Pourtant, ce n’était pas encore l’heure du petit-déj’. Daniel apparut, accompagné de Justine. Ils restèrent quelques secondes stupéfaits. Regardant tour à tour les deux femmes. Emmanuelle qui continuait à sangloter et Marianne, assise en tailleur sur le lit, les mains collées aux oreilles.
— Qu’est-ce qui se passe, ici ? interrogea le chef d’une voix autoritaire.
Justine s’accroupit devant Emmanuelle.
— Qu’est-ce qui vous arrive ? demanda-t-elle avec son habituelle douceur.
— Elle braille comme ça tout le temps ! balança Marianne. J’en peux plus !
— Elle braillerait pas à cause de toi, par hasard ? questionna Daniel.
Marianne lui adressa un sourire provocateur.
— Qui sait !
Justine la toisa sévèrement avant de prendre la victime par les épaules, de la soutenir jusqu’à une chaise et de lui servir un verre d’eau. Une pointe de jalousie déforma le visage de Marianne.
— Eh ! gueula-t-elle. Elle boit pas dans mon verre !
— Ça suffit, mademoiselle de Gréville !
Marianne ravala sa colère. Il y avait si longtemps que la surveillante ne l’avait pas appelée ainsi ! Daniel s’approcha à son tour du Fantôme.
— Elle vous a fait du mal ?
Emmanuelle le fixa d’un air désespéré.
— Non monsieur, murmura-t-elle. C’est moi qui ne supporte pas cet endroit…
Marianne resta bouche bée.
— Vous êtes sûre qu’elle ne vous a rien fait ? insista le gradé. Pourquoi vous ne pouvez plus poser le pied par terre ? Vous ne boitiez pas hier soir.
— Je suis tombée du lit… J’ai pas l’habitude de dormir en hauteur.
— Ben voyons ! répondit-il d’un ton sarcastique. Vous êtes tombée du lit toute seule ! Moi je crois plutôt que vous mentez parce que vous êtes morte de trouille !
— Non ! Je vous assure que cette demoiselle est très gentille…
Daniel se retint de rire à cette dernière remarque dont la nouvelle venue ne mesurait pas le ridicule. Mais c’en était trop pour Marianne qui s’enflamma comme une traînée de poudre. Elle n’a qu’à me traiter de bonne sœur pendant qu’elle y est !
— Tu parles ! s’écria-t-elle avec un rictus nerveux. J’étais sur le point de la saigner ! Je l’ai obligée à dormir par terre dans les chiottes ! Je lui ai même fait lécher la cuvette ! Et je l’ai balancée du lit juste avant votre arrivée !
— Et tu es fière de toi, j’espère ? répliqua Daniel.
— Je veux personne ici ! Je veux pas de cette fondue ! Si vous la laissez là, je la découpe en morceaux et je tire la chasse !
Justine s’approcha, les yeux étincelants de colère. Marianne reçut soudain une gifle dont la violence lui tarit instantanément les glandes à venin. La gardienne attendait stoïquement l’éventuelle riposte.
— Écarte-toi, conseilla Daniel.
— Non, répondit calmement la surveillante. Tu veux me frapper Marianne… ? Vas-y.
La jeune femme n’eut aucune réaction. KO debout. Jamais elle n’aurait cru que Justine pourrait… Ce n’était qu’une claque. Mais venant d’elle, c’était bien plus.
— Alors ? C’est plus facile avec elle qu’avec moi, pas vrai ? martela la gardienne.
— Tu sais bien que je te frapperai jamais, murmura Marianne avec des sanglots dans la voix.
— Non, je ne le sais pas. Tout ce que je vois devant moi, c’est une petite ordure qui s’acharne sur une pauvre femme sans défense. Je crois qu’on appelle ça une lâche.
Nouveau coup, encore plus dur que le premier.
— Justine…
— C’est surveillante. Y a plus de Justine !
Marianne s’affala sur son matelas. Elle désirait juste qu’ils la débarrassent de cette intruse. Comment le leur expliquer ? Elle resta muselée par la honte un moment. Une honte douloureuse, qui rebondissait dans son crâne telle une balle de ping-pong. Daniel s’était assis à côté d’Emmanuelle.
— C’est vrai ? Elle vous a vraiment menacée ? Vous avez dormi dans les toilettes ?
Marianne ferma les yeux. Ça lui va bien de jouer les bons Samaritains à ce salopard !
Emmanuelle avait cessé de pleurer. Elle jeta un œil épouvanté à sa copine de chambrée.
— Non ! Je ne comprends pas pourquoi elle dit ça !
— Vous avez peur ? Nous sommes là, vous pouvez parler librement…
— Mais non ! Elle n’a rien fait de tout ça ! C’est… de ma faute ! C’est moi qui l’ai empêchée de dormir… J’ai pas arrêté de me lever, de faire du bruit. Je crois qu’elle craque, c’est tout…
— Ta gueule ! hurla Marianne.
La réduire au silence. Elle attrapa une de ses chaussures au pied du lit et la lança de toutes ses forces en direction d’Emmanuelle. Mais elle rata sa cible et Daniel reçut la basket en pleine tempe. Une simple chaussure qui, expédiée par Marianne, devenait un dangereux projectile. Le chef perdit l’équilibre, se retrouva par terre. Marianne éclata d’un rire sardonique tandis qu’il se relevait, visiblement humilié. Un peu sonné, même. Justine avait pensé à emporter une paire de menottes, Marianne cessa instantanément de rire.
— Vaut mieux qu’on aille régler ça ailleurs ! annonça-t-elle froidement. Alors tu te tournes et tu me donnes tes poignets !
— J’te donne rien du tout ! C’est l’autre qu’il faut emmener ! s’égosilla Marianne. J’la laisserai pas seule dans ma cellule ! J’veux pas qu’elle touche mes affaires avec ses sales pattes !
Les deux surveillants la plaquèrent sur le lit avant de lui attacher les poignets dans le dos.
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