— C’est à prendre ou à laisser, conclut-elle sans tenir compte des sarcasmes de Laurent.
Franck s’accorda un instant de réflexion. Les choses empiraient.
— La seule condition dans le contrat, c’était qu’on te sorte de prison et qu’on te rende ta liberté une fois la mission menée à bien… On ne change pas un contrat.
— Eh bien moi, je change les règles…
Il sentit enfler sa gorge. Des boules parfaites pour une partie de pétanque. Mais il garda son calme.
— Je t’ai déjà expliqué que je ne pouvais pas intervenir pour lui… Qu’il serait bientôt libre. Je ne vois pas pourquoi tu me prends la tête avec cette histoire.
— Je ne tuerai personne si Daniel est encore en taule, martela-t-elle. C’est bien clair, commissaire ?
— Si tu refuses de respecter le contrat, je te descends, Marianne. C’est bien clair ?
Ils s’affrontèrent un instant dans un silence pesant.
— Je te laisse réfléchir, dit-il enfin. J’espère que tu vas revenir à la raison…
— Compte pas là-dessus, commissaire . Pas d’assassinat tant qu’il est en prison.
Les trois policiers quittèrent la chambre, Marianne s’effondra sur sa chaise. La partie s’annonçait serrée. Une guerre des nerfs. Il fallait envisager une autre solution si le chantage ne fonctionnait pas. Une issue de secours. Elle avait déjà élaboré un plan. Plus primitif que le premier. Mais sans doute sa dernière chance. Elle mangea du bout des lèvres puis retourna s’allonger.
Dormir pour récupérer. Dormir pour guérir des douleurs. Se concentrer. Se tenir prête. Pour le moment où…
Pour toi, mon amour.
Mardi 5 juillet — Midi
Franck finissait de préparer le plateau déjeuner de sa prisonnière. Et d’apprendre par cœur le discours qui irait avec. En guise d’apéro.
Laurent avait viré ses pansements, révélant une vraie sale gueule. Il ressemblait un peu à un truand tombé entre les griffes du gang adverse.
— T’as des nouvelles ? espéra-t-il en décapsulant une bière.
— Non, révéla le commissaire. Toujours rien.
Le capitaine soupira.
— Je commence à en avoir marre, avoua-t-il. Ça va durer combien de temps, à ton avis ?
— J’en sais rien. Pas ma faute si l’autre s’est offert des vacances à l’improviste !
— Ils ont la belle vie, ces cons-là ! Peuvent partir à l’autre bout du monde, comme ça, sur un coup de tête ! Et nous, on poireaute en jouant les nounous avec une échappée de l’asile !
Philippe entra dans la cuisine, guidé par son estomac trop vide. Il commença à se confectionner un sandwich jambon-beurre.
— Marianne avait l’air déterminée, hier soir, murmura-t-il.
— C’est du bluff ! affirma Laurent. Tu crois qu’elle va accepter de crever pour ce type ?
— Ce type est un cadeau du ciel, affirma Franck.
— Un cadeau ? Je pige pas…
— J’étais en train de chercher comment la tenir sous contrôle… Maintenant, je sais.
Marianne avait peu dormi. Elle avait attendu en vain son café-croissants, mais les flics avaient visiblement décidé de la mettre à la diète. Me priver de petit-déj’ ! Sacrée punition !
Des pas dans le couloir. Elle quitta le lit en vitesse pour affronter ses visiteurs. Trio au complet. Sa jolie prestation de la veille les avait rendus extrêmement prudents.
— Salut Marianne, dit Franck.
Elle ne répondit pas. Il déposa le plateau sur le bureau, elle attendit sagement qu’ils repartent pour se sustenter. Mais ils s’incrustaient, ayant sans doute des choses à dire. Elle espéra la reddition des adversaires, croisa les doigts dans le dos.
— Tu as réfléchi, depuis hier soir ? attaqua le commissaire.
— Réfléchi ? Je vous ai dit mes conditions, elles ne changeront pas.
Laurent et Philippe veillaient, près de la porte. Franck se planta devant elle.
— Tu sais, Marianne, le jour approche où il faudra payer ta dette…
— Ma dette ? répéta-t-elle en souriant. Mais de quelle dette parlez-vous, commissaire ?
— Nous t’avons sortie de taule, tu ne t’en souviens pas ?
— Pour me refoutre en cellule. Merci du cadeau !
— Tu n’es pas en cellule, tu es en transit. Dès que tu auras accompli ta mission, tu seras libre.
— Vous êtes bouché ou quoi, commissaire ? Je ne tuerai personne tant que Daniel sera incarcéré…
— Ça, ça m’étonnerait fort.
— Vous avez manigancé tout ça pour que je bute un type ! Vous n’allez pas y renoncer maintenant, pas vrai ? Alors, vous allez faire le nécessaire pour le sortir de là… Quand il sera libre, j’exécuterai ma part du contrat. C’est pas compliqué ! Même le dernier des crétins comprendrait !
— Non, Marianne. Ça ne va pas se passer comme ça. Si tu nous trahis, si le moment venu tu refuses de faire le travail, tu vas regretter de m’avoir connu…
— Je regrette déjà de vous avoir connu !
— Écoute-moi bien, Marianne, si tu refuses d’obéir, je m’occuperai de ton mec.
Une boule de feu explosa dans sa poitrine, grimpa jusque dans sa tête. Elle s’accrocha au rebord de la fenêtre. Fonctions vitales en arrêt.
— Je me débrouillerai pour le sortir de taule et je lui ferai subir les pires choses, jusqu’à ce que tu capitules.
Bien sûr, Marianne ne put se contenir plus longtemps. Se dépliant telle une panthère, elle se jeta sur lui, griffes en avant, avec un rugissement effrayant. Le commissaire érigea un bouclier avec ses bras, tandis que ses adjoints se ruaient à son secours, l’empoignant chacun par un bras. Laurent reçut un coup de pied vicieux en plein tibia mais resta stoïque. Ils la tenaient solidement, elle cessa de gesticuler. Franck prit son visage entre ses mains, bloqua sa nuque.
— T’as pas intérêt à le toucher ! Si tu t’approches de lui, je te tue !
Elle rua de nouveau dans les brancards, Philippe et Laurent peinèrent à la contenir.
— Faut pas jouer avec moi, Marianne ! ajouta Franck. Alors tu vas être une gentille fille, faire ce qu’on attend de toi et il n’arrivera rien à ton beau surveillant, tu piges ?
Laurent lui tordit un bras dans le dos, elle cria de douleur. Puis il lui fit plier un genou d’un coup de talon, elle toucha le parquet.
— Tu as compris, Marianne ? asséna Franck.
Elle cessa de se débattre pour échapper à la douleur, le commissaire s’accroupit, se mettant à la portée des yeux noirs transformés en lance-flammes.
— Je veux une réponse, ma jolie. Tu as compris ?
— Oui ! cracha-t-elle.
Il adressa un signe à ses hommes qui la libérèrent enfin. Elle se releva en s’agrippant à la fenêtre.
— Bande de fumiers !
— Du calme ! Je suis sûr que tu vas te montrer intelligente et que je ne serai pas obligé de massacrer ce type… Après tout, je n’ai rien contre lui. Mais puisque tu as voulu le mêler à ça…
Elle massait son épaule douloureuse, le dévisageait avec une haine cristalline.
— Tu sais, Marianne, je ne suis pas un enfant de chœur. Faut pas jouer avec moi… Ce que tu m’as dit hier soir m’a ennuyé. C’est vrai… Depuis le début, tu me prends pour un con et ça, ça a vraiment tendance à me mettre hors de moi. Dès la sortie de l’hosto, t’as essayé de nous rouler… Ensuite, ta lamentable tentative avec ce pauvre Didier…
Il souriait, elle fulminait. Il prenait un malin plaisir à jouer avec ses nerfs.
— Et puis hier matin, aussi… Non, décidément, je regrette de t’avoir choisie et je commence à te détester. Et ça, c’est pas bon du tout… Alors je vais te serrer la vis, désormais. Il y a encore quelques jours à patienter avant que nos chemins se séparent et si tu continues à m’emmerder, ces quelques jours vont être très durs pour toi. Tu vois ce que je veux dire ?
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