Toujours rien en face. Juste un visage blessé, dur, fielleux. Elle imagina des supplices dans sa voix. Mais ce n’était pas ça le plus dur. Elle imaginait Daniel, torturé par ce flic qui continuait à lui enfoncer des pieux dans le cœur.
— T’avais raison, j’ai le pouvoir de sortir ton mec de prison. Mais prie pour que ça n’arrive pas… Tu as commis une erreur, Marianne. En me révélant ton amour pour lui. Parce que tu m’as livré ta seule faiblesse… avec la came, bien sûr. Or, il ne faut jamais révéler ses faiblesses à l’ennemi… Jamais. On t’a pas appris cela ?
— Salaud !
Il prit la liberté d’effleurer son visage, elle n’osa pas se rebiffer, surveillée de près par les deux autres.
— Il en a eu de la chance, ce maton… Comment il a réussi à t’apprivoiser, hein ?… Mais la chance tourne. Il se pourrait qu’il regrette les bons moments passés avec toi… Alors fais en sorte que non, Marianne.
Elle avait envie de le tuer ; de les tuer, tous les trois. Envie de pleurer, aussi. Ses lèvres tremblaient, de rage, de peur. Une profonde terreur, une qu’elle n’avait jamais connue auparavant.
— Je te souhaite un bon appétit, Marianne… Prends des forces, tu vas en avoir besoin…
*
19 h 00 — Cellule 213
Daniel avait siesté une bonne partie de l’après-midi. Car cette nuit, Portier serait de garde. Alors, il ne dormirait pas beaucoup. Peut-être pas du tout. Il contemplait avec dégoût son repas. Écuelle nauséabonde qu’un chien galeux aurait rechigné à ingurgiter. Il mangea le pain, avala deux verres d’eau par-dessus, histoire de berner son estomac. Puis il s’allongea, dévora deux barres de céréales en bénissant Justine.
Marianne, j’espère que tu es loin d’ici. J’espère que tu es seule. Autant que moi.
Il n’arrivait pas à se défaire de cette idée. Le type du parloir. Son complice, sans doute. Un beau mec aux yeux verts qu’il avait aperçu une fois. Comment l’avait-elle connu ? Qui était-il ? Un ex ?
Et si elle était avec lui, en ce moment ? Si tous les deux, ils… Trop douloureux d’imaginer la scène.
Allait-elle devoir payer un prix pour sa liberté ? Il avait déjà vu ça : des détenus qui recevaient une aide extérieure pour leur évasion et remboursaient après, de diverses façons. En général, une main d’œuvre bon marché pour commettre un casse, un braquage, un assassinat.
Marianne, quel sera le prix à acquitter pour ton évasion ?
Il alluma une cigarette avec celle qui rendait l’âme. Songea soudain à son épouse. À ses gosses. Livrés à eux-mêmes. Eut un pincement sévère aux tripes. Je ne voulais pas vous blesser.
La nuit s’abattit lentement sur sa cage.
Marianne, je t’aime. Plus que tout au monde. Je voudrais que tu m’entendes. Que tu apparaisses devant mes yeux.
Mais ce fut Portier et sa clique qui se montrèrent à l’entrée de la cellule. Pour leur séance de défoulement collectif. L’heure des fauves avait sonné. Daniel se leva pour leur faire face.
— On est venus te rendre une petite visite ! ricana Portier. On voudrait pas que tu t’encroûtes pendant ton séjour ici… Paraît que t’as causé au juge ? Que tu lui as dit du mal de nous ?
Daniel ne se laisserait pas cogner sans réagir. Il allait leur donner du fil à retordre. Ils n’étaient que quatre, les imprudents.
Ils se jetèrent sur lui en un mouvement unique, comme un banc de piranhas. Encaissèrent un certain nombre de coups avant de réussir à le maîtriser. Ils le plaquèrent sur le ventre, lui attachèrent les mains dans le dos. Et l’emmenèrent vers les cachots.
*
Aucun des flics ne parlait. Visages moroses. Franck avait sa tête des mauvais jours. Attablés devant les pizzas achetées au camion du bled le plus proche, ils arrosaient leur ennui avec des bières.
— Laissez-en une part pour Marianne, pria le commissaire.
— Tu crois vraiment qu’elle aura faim ? rétorqua Philippe.
Tant de reproche dans sa voix…
— Si tu as quelque chose à dire, te gêne pas ! riposta le commissaire.
Le lieutenant s’exila sur le canapé, son morceau de pizza à la main.
— T’as eu raison, dit Laurent. Elle nous a pris pour des caves, tu l’as remise à sa place…
— Je ne peux pas me permettre d’échouer. Parce qu’on serait vraiment dans la merde. Maintenant, je suis certain qu’elle va se tenir à carreau.
— Tous les moyens sont bons, alors ! C’est ça ? lança Philippe d’un ton mauvais.
— C’est ça, acquiesça Franck. Ça te pose un problème ?
— Ouais !
— Tu es mouillé jusqu’au cou, Philippe… Il ne fallait pas accepter cette mission si tu ne t’en sens pas capable !
— On n’était pas censés en arriver là !
— Écoute-moi bien, petit. Ouvre grand tes oreilles ! S’il le faut, je suis prêt à aller chercher ce mec en prison et à le torturer devant elle pour qu’elle obtempère… Et tu m’y aideras.
— Jamais de la vie !
— Si tu nous trahis, tu le regretteras, crois-moi…
— Tu me menaces ?
— Disons plutôt que je te mets en garde. Tu te souviens que tu as accepté de me suivre ? Je ne t’ai pas forcé, non ? Tu as de l’ambition et il y a des sacrifices inévitables lorsqu’on veut réussir. Alors ne gâche pas tout avec tes scrupules à la con ! Et puis… Elle se tiendra tranquille. Ça m’étonnerait qu’on ait à dépasser le stade des paroles.
Philippe quitta la pièce et claqua la porte d’entrée. Franck soupira.
— Je commence à en avoir plein le dos ! Si on ne reste pas soudés, on va échouer…
— Je vais lui parler, proposa Laurent en se levant.
Il trouva Philippe au bas des marches du perron. Il s’assit à ses côtés, alluma une cigarette.
— Franck devait agir ainsi, expliqua-t-il. Il fallait lui faire peur. On n’aura pas besoin d’aller aussi loin.
— On ne sait pas jusqu’où on devra aller ! riposta Philippe.
— Elle obéira, elle a l’air de tenir à ce type. C’est une chance pour nous parce qu’on était plutôt mal barrés avec elle. Depuis le début, elle a l’intention de nous berner. Maintenant, je crois qu’elle va changer de cap.
— C’est dégueulasse ! murmura Philippe.
— Franck n’a pas le droit d’échouer sur ce coup-là… T’as oublié d’où nous viennent les ordres ? Alors, si on se plante, on va avoir chaud aux fesses, c’est moi qui te le dis !
— Elle n’avait même pas accepté le contrat…
— Elle l’aurait accepté si Franck avait pu la revoir à temps au parloir… Ça ou une vie entière derrière les barreaux. T’aurais décidé quoi à sa place ?
Philippe ne répondit pas.
— Je pense que, dès le départ, la petite avait l’intention d’accepter puis de se débiner à la première occasion. Elle a dû se dire : j’arriverai bien à les avoir, ces trois pauvres flics !
— N’empêche qu’on n’a pas le droit de s’attaquer à ce type pour la faire plier !
— Ce ne sera pas nécessaire. Franck n’est pas un salaud… Crois-moi, ça ne lui a pas plu de faire son numéro à midi. Il n’avait pas d’autre choix. S’il peut éviter, il évitera.
— Il avait l’air sérieux, pourtant !
— Il fallait qu’elle y croie ! Non ?
— Sans doute, admit Philippe. Je… Je devrais peut-être aller m’excuser ?
— Non… Juste lui expliquer que tu t’es laissé emporter mais que tu es à ses côtés. Après la connerie de Didier, il craint de nouvelles défaillances dans l’équipe.
Philippe retourna à l’intérieur. Franck préparait le dîner de Marianne.
— Franck… Excuse-moi pour tout à l’heure… J’ai déconné.
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