— Je te l’ai déjà dit : j’ai été témoin de…
— Arrête de me mener en bateau ! Ils m’ont dit que tu avais quelque chose qui leur appartenait !
— Ils t’ont raconté des conneries, élude le jeune homme.
Davin ouvre la portière arrière de la BMW, s’empare du fameux sac à dos. Paul veut le lui arracher des mains, une lutte musclée s’engage sur le bord de cette route fantôme. Mais François a de la force. Beaucoup de force, soudain. Il parvient à repousser le jeune homme, l’envoie au tapis. Sa tête heurte l’asphalte avec violence, il est sonné. François en profite pour renverser le contenu du sac sur le capot de sa voiture. Quelques affaires de toilette, un portefeuille, un briquet, une grosse pochette cartonnée et un sachet en plastique qui contient un truc lourd soigneusement emballé dans du papier journal.
— Touche pas à ça ! s’écrie Paul qui vient enfin de se remettre debout.
— C’est ça qu’ils cherchent ?
— Touche pas à ça !
Le Petit hésite à s’approcher. Il a la main sur la crosse de son pistolet.
— Vas-y, tire, conseille François avec un étonnant sang-froid. Descends-moi…
— Arrête, merde !
Davin comprend qu’il vient de trouver la clef de l’énigme. Il déchire le papier journal, découvre cinq sachets de poudre blanche. Il reste quelques secondes hébété, Paul revient à la charge, le bouscule et récupère sa précieuse cargaison pour la remettre à l’abri. Davin l’observe, sans réaction. Écœuré.
— C’est ça qu’ils veulent… C’est cette merde !
Paul finit de ranger ses affaires ; gestes nerveux, saccadés.
— Tu transportes de la came, espèce de salaud… Dans ma propre bagnole ! Comment as-tu osé ?
Le Petit se mure dans le silence. François l’empoigne alors par le col de son blouson.
— C’est ça qu’ils veulent ?
— Lâche-moi !
— Réponds !
— Évidemment que c’est ça ! C’est leur dope qu’ils veulent…
— Tu l’as volée ?
— Ouais, j’l’ai volée !
Paul se dégage enfin et s’éloigne un peu de son juge.
— Le patron voulait pas me filer ce qu’il me devait, alors je me suis payé moi-même.
François ne tient plus debout.
Trop.
Trop d’émotions, de violence, de sang.
Il s’effondre sur le siège de la voiture. Sa tête enfle, il la récupère entre ses mains.
— Ça va pas ?… François ?
— Tu me donnes envie de gerber…
— J’avais pas le choix !
— Tu vas en faire quoi de cette saloperie ?
— La revendre, bien sûr ! C’est pour ça que je dois aller à Marseille. Là-bas, j’ai un pote qui pourra me la fourguer.
— Tu as failli nous faire tuer pour ça ? Pour cinq paquets de drogue ? La femme du gîte est morte pour ça ? Je comprends rien… Pour quelques billets !
Paul écarquille les yeux.
— Quelques billets ? T’es malade ! Tu sais pour combien de pognon y a dans ce sac ?
— Comment veux-tu que je le sache ? Je ne suis pas un trafiquant, moi !
— Il y a de quoi me permettre de refaire ma vie loin d’ici. Très loin d’ici.
— Tu rêves…
— Ah oui ? Cinq kilos de coke, ça représente plus de deux cents plaques !
Cette fois, c’est François qui écarquille les yeux.
— Deux cents plaques, je te dis. Alors compte pas sur moi pour leur rendre !
— Je fais un cauchemar, je vais me réveiller…
— Je t’en donnerai une partie, propose soudain le jeune homme.
François l’assassine du regard.
— Pour qui tu me prends, petit con ? Tu te rends compte que des gens vont mourir à cause de cette saloperie ?
— Si c’est pas avec ma came, ce sera avec celle d’un autre, se défend Paul avec un haussement d’épaules. Alors autant que ça me permette de me sortir de la merde.
François entame un chemin de ronde autour de la voiture, essayant de retrouver un soupçon de calme.
— Deux morts, cinq kilos de drogue ! Et des mecs qui nous cherchent partout pour nous faire la peau…
— Je me demande comment ils nous ont retrouvés, dit soudain Paul.
— Qu’est-ce que j’en sais, moi !
— Tu as dit à quelqu’un qu’on était dans ce trou perdu ?
François se remémore alors sa conversation téléphonique avec Florence. La seule personne à connaître leur refuge.
Mais Flo n’a rien à voir avec tout cela. Elle est à dix mille lieues de toute cette boue.
— Je l’ai seulement dit à Florence. Mais c’est pas elle qui a pu leur révéler où nous étions.
— Ouais… Je comprends pas comment ils ont fait. Bon, faut qu’on se tire d’ici… Parce qu’ils ne vont pas lâcher le morceau.
Mais François ne semble pas prêt à redémarrer. À reprendre cette cavale. Il se rassoit au volant, se cloître dans le silence. Paul l’observe du coin de l’œil, ne sachant trop quelle attitude adopter. Ne pas le brusquer, le persuader en douceur. Il a déjà été suffisamment secoué.
— Écoute, je voulais pas te mêler à tout ça, tu sais…
— N’empêche que ça s’est passé. Et que tu m’as menti, depuis le début.
— Je t’ai menti, c’est vrai. Pardon… Je crois que la patronne du gîte, c’est pas moi qui…
— Tout à l’heure, tu ne semblais sûr de rien, rappelle méchamment François.
Paul décide de faire amende honorable.
— Je comprends si tu me laisses tomber. T’as qu’à repartir sans moi, je vais me débrouiller. Je ne veux pas te causer d’autres problèmes.
François scrute le paysage triste qui les cerne de toutes parts. Ce matin, le brouillard refuse de se lever, la montagne demeure enserrée dans un manteau vaporeux et glacé. Il repense furtivement à Claire. Il aimerait bien sentir la chaleur de sa peau contre la sienne, en ce moment. Mais la seconde d’après, c’est Cerise qui apparaît devant ses yeux. Cerise morte presque à ses pieds. Alors qu’elle n’avait rien demandé à personne.
Et moi ? Je vais crever, aussi. Moi non plus, je n’ai rien demandé à personne !
Davin ferme les yeux, horrifié par ses propres pensées.
— Alors ? demande Paul. Tu décides quoi ?
François sursaute.
— Hein ?
Il tourne la tête de l’autre côté, serre ses mains frigorifiées sur le volant et met le contact.
— Prends ton sac et tire-toi.
* * *
François roule lentement, sur une départementale mélancolique. Sans destination, son périple redevient errance. Il s’arrête soudain sur le bas-côté, dans cet oppressant silence.
Jamais encore il ne s’était senti aussi seul, aussi perdu. Il pense à Paul, seul lui aussi. Il n’arrête pas de penser à lui, de toute façon.
Paul, abandonné sur le bord d’une route hostile, en proie à de redoutables chasseurs. Déjà tombé entre leurs griffes, peut-être. Non, ils n’ont pas pu le retrouver si vite ! Il y a tant de chemins qui serpentent dans cette vallée…
— Je pouvais pas agir autrement ! murmure-t-il.
Dans son regard, douleur et tristesse. Dans sa bouche, comme un goût âcre de trahison.
Mais quelle trahison ? Il ne doit rien à ce gamin paumé qui a croisé son destin par hasard. Car ils ne sont rien l’un pour l’autre.
Deux étrangers, c’est tout.
Alors, pourquoi ça fait si mal ?
Plus de sac à dos sur la banquette arrière, plus de voix qui chantonne à ses côtés.
Le vide, l’absence. La mort prochaine.
Et les yeux toujours ouverts de Cerise. Morte par erreur.
Soudain, Davin exécute un périlleux demi-tour sur cette bande étroite, puis la BMW s’élance furieusement sur le bitume humide. Les pneus se tordent dans les virages, au cœur de ces gorges qui ne connaissent pas le soleil. Doubler une petite fourgonnette, dépasser un touriste allemand égaré. Vais-je arriver à temps ?
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