Georges-Jean Arnaud - Fac-similés

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Le maigre désigna le récepteur de fac-similés :
— Un drôle de truc. De l’espionnage météo. On aura tout vu. Alors que des dizaines de stations donnent toutes les indications voulues. Il n’y a qu’à se mettre à l’écoute. Quelle idée de transformer ici les renseignements reçus, de les transcrire sur une bande perforée pour les transmettre à destination de Cuba. Vous y croyez, vous, à ces fusées TS6 sur berceaux auto-guideurs ? Une base sans personnel, uniquement dépendante de cerveaux électroniques ?

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Burgeon sursauta et la cendre de son cigare tomba sur son veston sans qu’il songe à l’essuyer :

— Que voulez-vous dire ?

— Ce que j’ai sur le cœur finalement, dit Kowask en serrant les dents et en montrant un visage menaçant. John est arrêté, il y a eu des fuites et vous, vous n’êtes même pas inquiété. Il y a quand même des points obscurs dans toute cette affaire.

— Vous m’accusez d’avoir trahi, bredouilla le colonel rouge et tremblant.

— Non. Je constate simplement. Si vous faites disparaître le rapport secret vous agirez comme un homme qui veut éviter de rendre des comptes. Vous ne risquez rien à le conserver et à l’expédier au loin par avion.

Il appuya encore un peu :

— Que croyez-vous, mon colonel ? Qu’il s’agit d’une petite conspiration à l’échelon d’un village ? Il y a dans le pays tout entier des hommes qui attendent beaucoup de cette affaire. Vous avez peut-être été dépassé par les événements, mais il est trop tard pour revenir en arrière.

Le colonel se taisait. Peut-être maudissait-il le jour où il avait accepté d’épauler le capitaine Charles ? Il y avait loin entre le fait d’être le président du comité local pour le Réarmement Moral, et celui d’être complice d’un complot à l’échelon fédéral.

— Quel est le nom de ce pilote ? Êtes-vous certain de lui ? Il se peut qu’il y ait des mouchards dans votre organisation.

— Patrick Gates. C’est un entrepreneur de maçonnerie. Il est hors de tout soupçon.

Sous le coup de l’émotion, il avait répondu mécaniquement à la question posée.

— Je vais m’en aller aux renseignements et faire une enquête dans la région. Que l’appareil ne prenne pas l’air avant mon retour ou un coup de téléphone de ma part. Mais que ce Gates se tienne prêt à s’envoler.

Encore frappé de stupeur le colonel approuva.

— Je vous téléphone ici ou à votre club ?

— Au club. Je m’y tiendrai en permanence.

— Qui convoiera les archives jusqu’au terrain ?

— Le secrétaire du club, Joyce. Il est très capable.

— Vous n’oublierez pas le rapport sur l’affaire en question ?

Burgeon avala difficilement sa salive :

— Non.

— Très bien. Souhaitons que John Charles soit libéré d’ici ce soir. Je vais vous laisser, mon colonel.

Ils se séparèrent plutôt froidement. Kowask espérait que son coup de bluff avait réussi. Tout de suite il avait eu la certitude que le colonel n’était pas taillé pour la lutte subversive, et il devait même se mordre les doigts de s’être laissé entraîner. Il souhaitait lui avoir suffisamment embrouillé les idées pour l’obliger à exécuter ses conseils comme des ordres. Burgeon se demandait certainement s’il était simplement un ami de John Charles, ou bien un envoyé des puissants chefs occultes dont il avait habilement parlé.

Au moment où il montait en voiture il vit un éclair derrière les rideaux. Le colonel surveillait son départ à la jumelle. Peut-être essayait-il de lire son numéro minéralogique.

De ce côté-là Kowask était paré. Il avait rendu le Chevrolet pour louer dans un autre garage une Buick. Si le colon se renseignait à Montgomery, il apprendrait qu’un avion militaire avait effectivement fait escale à l’aéroport. C’était celui qui amenait à Kowask le matériel demandé, dont la fausse carte de la C.I.A.

CHAPITRE XVI

Kowask se retrouva devant la villa du commodore Mc Gregor aux alentours de onze heures. La femme âgée qui vint lui ouvrir ressemblait au marin, et elle confirma sa parenté en annonçant que son frère se trouvait au fond du jardin.

— Suivez l’allée et vous le trouverez à côté de la pièce d’eau, en train de s’amuser avec un de ses modèles réduits.

À genoux au bord du bassin, Mc Gregor expérimentait la flottabilité d’une coque. Il ne parut nullement gêné d’être surpris ainsi.

— Salut Kowask ! Un instant. C’est la coque du Forestal et je veux que ça aille au poil. Il y a un concours à la fin de l’année et …

— Excusez-moi, mais il faut que je voie notre ami commun.

Mc Gregor récupéra sa coque et se leva.

— Allons-y ! Je lui ai porté un peu de café et des toasts ce matin.

Ce qui fit froncer les sourcils de Kowask.

— Vous êtes entré dans sa cellule ?

— Une arme à la main, rassurez-vous, et en le priant d’aller dans l’angle opposé à la porte sinon je le laissais crever de faim.

Kowask pensa que le vieux marin avait risqué gros.

— Impossible de l’enchaîner ?

— Il y a bien une tuyauterie de chauffage central qui passe là. Je vais tâcher de trouver une chaîne assez solide avec des rivets de bonne taille.

En ouvrant la porte Kowask la repoussa violemment contre le mur. Assis sur une vieille caisse, le capitaine Charles le regardait, le dos très droit, la tête haute, un sourire goguenard aux lèvres.

— Tiens, la flotte au complet, laissa-t-il échapper. Le vieux cuirassier et la vedette rapide. Peut-être trop.

Mc Gregor grogna.

— Ils se font de nous.

— Tournez-vous contre le mur, les mains en l’air. Écartez-vous maintenant, appuyez le bout des doigts contre le mur et mettez-vous sur la pointe des pieds.

— Et si je refuse, fit l’autre toujours persifleur.

— Je vous assomme une nouvelle fois et pour plusieurs heures.

Kowask lui fit relever une jambe et riva la chaîne autour de sa cheville. Il lui laissa une liberté de deux mètres et riva l’autre bout autour d’un gros tuyau de chauffage central.

— Toujours muet, Charles ?

— Votre combine a échoué ? Kowask sourit.

— Ce Burgeon est vraiment d’une naïveté ! Connaissez-vous un certain Patrick Gates ? Nous allons nous envoler ensemble tout à l’heure avec les archives du club. J’ai recommandé à ce vieux colonel de ne pas détruire le rapport ultrasecret que vous avez rédigé sur l’affaire du Cayo Bajo.

Ce n’était pas par pur sadisme qu’il mettait le capitaine Charles au courant. Il espérait provoquer une réaction. L’homme avait pâli, mais ses yeux flamboyaient.

— Un malin, n’est-ce pas ? Un grand malin. Alors si tout marche bien, pourquoi ne suis-je pas entre les mains du F.B.I. Vous craignez de ne pouvoir expliquer cette séquestration peut-être ? Vous me liquiderez lorsque vous aurez ce rapport dans votre poche ?

— Non. Je vous donnerai en cadeau aux collègues de la C.I.A.

Charles ferma les yeux une fraction de seconde :

— Vous êtes un authentique salaud.

Kowask perdit son sang-froid.

— Parce que vous êtes un saint ? Vous cherchez à provoquer une guerre mondiale et vous êtes pur ? Vous et toute la clique de militaristes qui vous entourent, vous savez que la partie est fichue pour vous. Depuis quelque temps vous avez parfaitement compris que la Russie n’attaquera jamais la première. Ce serait trop long pour vous l’expliquer. Et d’ailleurs vous savez de quoi je veux parler. Vous faites partie de ces types intelligents qui ne sont pas complètement aveugles. Il n’y a que les vieux bravaches pour affirmer que les autres attaqueront un jour. Ils ne veulent pas comprendre que cette année seule ils ont eu dix raisons pour nous envoyer leur fusée. Ayant parfaitement assimilé cette vérité, vous et les vôtres avez tout mis en œuvre pour que la guerre éclate quand même mais par voie détournée. La meilleure c’est encore le harcèlement de Cuba. Voilà le point chaud, la plaie qu’il faut titiller le plus cruellement possible. Je suppose que l’affaire du Cayo Bajo n’était pas la seule envisagée, mais que nous découvrirons d’autres projets dans vos archives.

Il se tut, haussa les épaules et tourna les talons. Silencieux, Mc Gregor l’accompagna jusqu’au jardin.

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