— Un agent de l’O.N.I.
— Mais alors je suis suspecté moi aussi ?
Kowask eut un sourire froid :
— Certainement, mais pas autant que Charles. Depuis sa démission il est fiché à Washington. Je suppose que cet agent de la marine a dû le découvrir par hasard. Soit qu’il ait demandé une liste des suspects de l’État, soit que Robbins ait entendu parler de Charles.
Burgeon hocha la tête.
— Possible. Charles a écrit certains articles explosifs dans les journaux de l’État.
Kowask réprima un soupir de soulagement. Cette affaire paraissait réglée. Il fallait rassurer complètement la vieille ganache. Il s’y employa :
— Pour moi la réussite de l’affaire importe beaucoup, mais la délivrance de mon ami presque autant. Il faut que vous m’aidiez.
Le vieux grogna.
— Comment ? Charles doit être loin à cette heure ?
— Non. Je sais qu’il est prisonnier du côté de Montgomery. Je dois avoir des précisions dans la journée !
À nouveau le colonel se fit soupçonneux :
— Comment êtes-vous arrivé si vite ?
— Un avion militaire m’a déposé à Montgomery. J’ai loué une voiture avant de venir ici.
— Comment l’arrestation, ou plutôt l’enlèvement de Charles, a-t-il pu vous être signalé ?
— J’ai des amis à l’O.N.I. il y a beaucoup plus de gens favorables à la réussite de cette affaire que vous ne le pensez.
Burgeon paraissait en effet dépassé par les événements. Il avait dû militer au sein de la petite ville, mais l’ampleur de la conspiration devait l’effrayer un peu.
— Maintenant, dit Kowask, il faut prévoir le pire. Je suppose que vous avez des documents importants sur cette affaire ? Un rapport a dû être rédigé au fur et à mesure de son développement ?
Là, Kowask sentait quelques gouttes de sueur couler dans son dos. Il était peut-être allé trop loin et trop vite. Le colonel, le regarda, le visage fermé :
— Et alors ?
— Il faudra prévoir une destruction rapide.
— Nous l’avons prévue.
— Ou une évacuation ?
Nouveau silence angoissant. Burgeon le rompit d’une voix sèche :
— Le capitaine Charles n’avait jamais parlé d’une évacuation mais d’une destruction.
— C’est préférable en effet, dit Kowask sur les charbons ardents.
Le colonel parut se détendre :
— Mais tout ce qui concerne notre activité, celle du réseau Rénovation, devra être sauvé car tout reprendra un jour. Notre activité est légale, mais une perquisition nous serait préjudiciable. Nous n’avons pas envie que la liste de nos adhérents et divers documents soient lus par le F.B.I. ou l’O.N.I.
Kowask approuva de la tête. Rasséréné le colonel alla chercher une boîte de cigares et une bouteille.
— Vous espérez libérer Charles ?
— Oui. J’aurai certainement des précisions sur son lieu de détention dans la journée. Il me faudra alors une équipe de gars solides pour le délivrer.
Burgeon se mit à rire :
— Vous l’aurez. Nous avons organisé une section spéciale. Nous disposons de douze hommes bien armés et rompus au combat. Tous anciens Marines.
— Pourtant il est possible que nous échouions. Le capitaine Charles peut avoir été transféré ailleurs. Il se peut que le gouvernement décide d’agir sans plus attendre.
Les lèvres arrondies autour d’un gros cigare, Burgeon paraissait réfléchir.
— Dans ce cas, poursuivit Kowask en le surveillant du coin de l’œil, mieux vaudrait prendre toutes vos précautions.
Le colonel remplissait les verres, toujours silencieux. Ils burent ensuite.
— La réunion des membres du Club serait peut-être nécessaire mais demanderait trop de temps.
— Vous ne pouvez pas agir de votre propre chef, dit Kowask avec une mimique surprise.
L’orgueilleux colonel se rebiffa :
— Si. Nous pouvons facilement déménager les archives et les papiers importants. Grâce à Dieu nous nous sommes toujours efforcés d’avoir de l’ordre et d’être prêts à faire face à une éventualité de ce genre. Que proposez-vous ?
Prenant le temps de boire une partie de son verre et d’allumer une cigarette, Kowask fit semblant de réfléchir.
— Vous disposez d’un appareil rapide dans votre Club ? Un engin capable de voler assez loin également sans se ravitailler ?
Le visage du colonel s’éclaira :
— Bien sûr. Nous avions tout prévu, même une fuite par air en cas d’urgence. Il y a le Twin-Bonanza qui vole à plus de cent quatre-vingts miles à l’heure. Nous avons fait installer deux réservoirs supplémentaires qui lui permettent de parcourir quinze milles d’un seul coup d’aile.
— Parfait ! s’exclama Kowask. C’est exactement l’engin dont nous aurons besoin. Avez-vous un homme sûr pour le piloter ?
— Oui. Un lieutenant d’aviation de réserve. Il acceptera n’importe quelle mission. Mais où comptez-vous l’envoyer ?
C’est alors que Kowask joua au plus fin.
— N’avez-vous pas une base de repli ? Le capitaine Charles m’en avait vaguement parlé.
— Oui, dit lentement le colonel. Elle se trouve au Texas. Vous m’excuserez de ne pas vous en dire davantage ?
— Bien sûr. Pouvez-vous vous occuper de tout cela ? Je crains d’être trop occupé pour pouvoir vous aider. Il faut que je retrouve la piste de Charles.
Cette fois Burgeon parut complètement convaincu :
— Je vous remercie. Vous avez agi avec rapidité et efficience. Si notre plan réussit le pays au-ira certainement besoin d’hommes tels que vous pour remporter la victoire.
— Vous pensez en terminer ce matin ?
À nouveau le colonel, le regarda avec confiance :
— Il se peut que nous ayons besoin de l’appareil pour éloigner le capitaine Charles. Peut-être serais-je même du voyage. Je vous conseille de ne pas détruire le rapport sur l’opération Cayo Bajo avant mon retour. Si je reviens sans le capitaine Charles, il serait toujours temps de le faire.
— Mais de quelle utilité sera pour nous ce rapport, alors que s’il tombe dans les mains de l’administration il peut nous attirer les pires ennuis.
Kowask manifesta son impatience :
— N’oubliez pas l’avenir, mon colonel. En l’étudiant avec le capitaine Charles nous vérifierons chaque point. Mon ami ne veut pas vivre en homme traqué éternellement. Aucune accusation sérieuse ne pèse sur lui.
— Sauf ce rapport, fit le colonel têtu.
— Mais bon sang, êtes-vous capable de vous souvenir de toutes les phases de l’opération ?
Le vieux militaire se troubla :
— Évidemment non.
— Il existe forcément des points faibles. Il y a à l’O.N.I. des types obstinés qui chercheront sans relâche. Imaginez que le capitaine Charles meure. Vous éprouverez alors l’impression qu’on ne peut rien contre vous et votre réseau ? Mais en serez-vous tellement certain ? Je suis sûr que, si John Charles était ici, il vous tiendrait le même langage. Si Quinsey avait été liquidé en Floride, nous n’en serions pas là.
Burgeon se rebiffa assez plaintivement :
— C’est Charles qui a la haute main sur le réseau. J’ignorais les détails, les ramifications. J’étais chargé d’assurer une base solide ici même, de recruter des hommes décidés à tout, de pourvoir à l’organisation matérielle grâce à mes relations et à l’honorabilité dont je jouis dans la région.
On avait presque l’impression qu’il se défendait devant un tribunal.
— Vous n’avez pas le droit de faire disparaître toute trace de cette affaire. Charles n’est pas un homme indépendant. Il doit certainement des comptes à des supérieurs occultes. Si tout foire, ceux-ci voudront savoir pourquoi. Que ferez-vous si John y laisse sa peau ? Je vais même aller plus loin, colonel, vous serez le premier suspect aux yeux de vos amis.
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