Frédéric Dard - Cette mort dont tu parlais

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Retraité précoce, un fonctionnaire rencontre une jeune femme par petite annonce et l’emmène vivre dans une ferme de Sologne.
Mais le fils qu’elle a déjà, sous des dehors charmants, est une petite frappe inquiétante et perverse.
Elle-même…
— En somme, vous êtes heureux ?
— C’est un grand mot…
— Elle paraît gentille. Peut-être un peu trop, non ?
Dans un climat d’érotisme et de peur, de cupidité et de haines contenues, Frédéric Dard nous montre, avec sa cruauté baroque jusqu’où peut conduire l’asservissement sexuel.
Et c’est terrible.

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Et puis, j’ai songé « qu’ils » se trouvaient là, tout près, et ma joie s’est évaporée au soleil.

Je suis descendu dans le premier hôtel que j’ai trouvé sur ma route. J’avais besoin d’une bonne douche et d’une collation sérieuse. Lorsque j’eus pris l’un et l’autre, mon désarroi s’est fait plus tenace.

Qu’allais-je faire ? Les chercher ? Leur tomber dessus en leur lançant au visage ces sales mots qui depuis quelque temps fermentaient en moi ?

Sans but, je suis sorti et j’ai pris le chemin de la plage.

Il y avait peu de monde… Quelques vieilles Anglaises informes offraient au soleil leurs chairs molles… Des jeunes gens couraient en se lançant un ballon de couleur… Quelque part, en bordure de la plage, un pick-up un peu nasillard lançait vers l’horizon une chanson napolitaine.

J’ai pris un transatlantique et me suis installé à l’écart, les mains nouées derrière la nuque. C’est à ce moment-là que l’événement s’est produit… Je me souviens des plus humbles détails… Je regardais la mer. Un bateau blanc la traversait. Et je me disais qu’il avait vraiment l’air de marcher sur l’eau, comme dans la chanson. Il avait une démarche et non une allure. Il se dandinait de façon cocasse… Franchement, je ne pensais à rien d’autre… Dominique est passé devant moi, à me toucher. Il était en short bleu et il riait aux éclats. Une fille ravissante l’escortait. Une blonde au sourire lumineux… J’ai mis plusieurs secondes à comprendre que cette magnifique créature n’était autre que Mina. Parfaitement : Mina… Mina telle que je n’arrivais pas à l’imaginer… Mina qui avait retrouvé sa blondeur, sa vue, son éclat… Mina qui avait réintégré sa jeunesse.

Depuis que je connaissais sa duperie, j’avais fréquemment essayé de la recomposer, débarrassée des éléments qui la vieillissaient, mais l’être que j’obtenais était loin d’avoir cette grâce, cette classe, cette luminosité. Elle irradiait.

Ils sont passés devant moi en se tenant enlacés. Tout à leur amour, ils ne m’ont pas vu… Je les ai regardés s’éloigner, le buste penché en avant… Un intense désir flambait dans mes veines… Je pensais à nos étreintes passées. Voilà donc pourquoi elle m’avait immédiatement conquis. À travers le personnage que Mina s’était composé, j’avais capté sa vraie nature… Je comprenais sa hâte de fuir la dame sérieuse qu’elle était devenue à Ronchiev. Elle devait étouffer sous sa carapace de maman respectable.

J’ai regardé s’amenuiser l’élégante silhouette. Mina portait un maillot de bain jaune, d’une seule pièce. Sa chevelure cuivrée étincelait. Elle n’avait pas vingt-cinq ans… Comment un peu de teinture et des lunettes parvenaient-elles à la métamorphoser ? Il y avait autre chose… Autre chose de plus efficace et de beaucoup plus simple : elle réussissait à vivre son personnage. Elle était vraiment une quadragénaire sérieuse et modeste… Sa volonté la transformait plus que sa petite panoplie de comédienne…

Et moi, pauvre imbécile, je l’avais possédée sans savoir quel trésor de beauté je tenais dans mes bras. J’avais fait l’amour à la plus jolie fille qu’il m’ait été donné de voir en la prenant pour une femme mûre..

Mon individu craquait de toutes parts. Je la désirais « au passé », comprenez-vous ? J’aurais voulu effacer de ma vie les instants d’abandon que je lui devais afin de les recommencer autrement. Peu m’importait qu’elle ait voulu me tuer, qu’elle veuille encore le faire… Je me suis mis à l’aimer pour de bon… À l’aimer au point d’en être malade.

Je suis resté longtemps sur ma chaise longue, insensible à la morsure sournoise du soleil.

Le pick-up moulait toujours de la musique sirupeuse et le petit bateau blanc s’était usé jusqu’au mât sur la râpe de l’horizon.

Encore une fois, la notion de ma solitude m’a donné envie de hurler… J’ai porté mon poing à mes dents et j’ai mordu mes phalanges jusqu’à ce que la mâchoire me fît mal.

*

Je suis resté huit jours à Cannes. Pendant cette période, affublé d’énormes lunettes teintées, à monture d’écaille, et d’une casquette à longue visière, je n’ai presque pas quitté la plage.

Eux non plus, du reste. Ils ne m’ont jamais vu, car je prenais la précaution de me tenir à l’écart… J’avais acheté des jumelles d’approche et je suivais avec passion leurs moindres faits et gestes. Ils s’aimaient… Ces deux criminels avaient une espèce d’innocence dans leurs ébats…

Je les enviais. J’aurais voulu pouvoir me mêler à leurs jeux d’enfants, crier avec eux, saisir Mina par la taille et la renverser sur le sable tiède… Je devinais la douceur du contact de ma joue sur la sienne, malgré les petits grains de quartz qui y adhéraient. Et plus cette envie me tenaillait, plus je haïssais Dominique.

Jusque-là, je lui en voulais comme une victime en veut à son agresseur ; mais maintenant, je lui en voulais comme un mari trompé en veut à l’amant de sa femme. Sa vie m’était intolérable… J’ai fini par comprendre que rien ne pouvait m’apporter plus de joie en ce monde que la disparition de cet individu.

Peu à peu, j’ai échafaudé un plan d’action. Un plan beaucoup plus machiavélique encore que le leur… S’il réussissait, et je savais qu’il réussirait, Mina serait à moi. Je la tiendrais à jamais sous ma domination… Ce serait moi qui lui courrais après au bord de la mer en faisant voler des bouquets d’écume.

*

Ce jour-là (un jour à marquer d’une pierre noire), j’ai téléphoné à l’étude du notaire qui m’avait vendu ma propriété de Ronchieu. Après m’être fait connaître, je lui ai dit que j’avais trouvé dans la maison plusieurs objets de valeur oubliés par le précédent propriétaire et je lui ai demandé la nouvelle adresse de ce dernier afin de les lui expédier.

Le tabellion a fait des recherches dans ses paperasses et m’a dit que Blanchin habitait maintenant Marseille, au Roucas Blanc…

Deux heures de car seulement me séparaient du gros homme. J’ai vu dans ce voisinage un signe du destin. Je suis allé lui rendre visite dès le lendemain.

CHAPITRE XV

C’était une gentille maison dans l’impasse Ismaël. Une maison sans étage, crépie en ocre, avec des tuiles creuses et un jardinet fleuri. Une clochette dorée était fixée à la portelle de bois. Lorsqu’on poussait celle-ci, un tintement aigrelet vous annonçait.

J’ai aperçu Blanchin dans un fauteuil, occupé à lire un hebdomadaire illustré. Il prenait le soleil, un verre de pastis posé à sa droite…

Comme j’entrais, une femme est sortie, tenant un filet à provisions. Une grande rousse de cinquante ans qui charriait une formidable poitrine et qui avait l’air de ce qu’elle était : une garce !

L’ex-pompiste a baissé sa publication et a froncé les sourcils en me voyant. Quant à la femme, elle s’est précipitée sur moi avec la hargne d’une concierge qui voit souiller son escalier.

— Qu’est-ce que vous voulez ? m’a-t-elle crié, sans le moindre souci des convenances.

Sans me laisser impressionner, je lui ai désigné Blanchin qui croupissait dans son fauteuil d’osier. Il y avait quelque chose d’inquiet sur le visage de mon prédécesseur. Il était plus gras que sur la photo que je connaissais… Mais ce que le cliché n’avait pu rendre, c’était la couleur suiffeuse, vénéneuse même, de sa peau…

— Je voudrais demander différents renseignements à M. Blanchin… C’est moi qui ai acheté sa maison de Ronchieu et…

Elle s’est radoucie.

— Oh, très bien : enchanté… Je vous laisse, vous m’excuserez, mais je suis déjà en retard pour mes courses.

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