J'm'étais muni, grâce à mon pote Mathias qu'est plus futé qu'tous les mecs d'la Nasa réunis, d'un p'tit contacteur invisib'. Gros comm' une pièce d'cinquante centimes. Un fil encore plus invisib' l'unissait à une p'tite batterie placardée sous l'jupon d'là coiffeuse. La batt'rie alimentionnait une sonn'rie. Tu mords bien la gencement ?
On pose su' la pastille un solitaire à Madame qui, vu sa taille, pouvait pas s'permett' d'vive en famille nombreuse, malgré qu'ça rapporte des mille et des sangs, l'cochon en boîte. Je file des coussins dans la baignoire et j'vas y tirer ma flemme pénardos, en guignant la suite des évén'ments.
Y f'sait d'plus en plus beau. Les zoziaux gazouillaient tant et plus dans l'jardin. J'rêvassais aux loloches d'là mère Fribour et les imaginais quand y f'saient trempette dans c'te baignoire qu'elle devait tell'ment remplir d'viandasse, c'te monumentale truie, qu'on pouvait pratiqu'ment plus y fout' d'là flotte.
L'temps passait.
Moi, c'qui entr' z'autres fait ma force, c'est la patience que j'sus capable quand c'est nécessaire. J'pourrais poireauter en planque des jours d'enfilée sans m'casser le pot. J'sus rilaxe en plein. Les gambergeries en roue lib', les nerfes au point mort. J'somnolante gentiment. La vie m'caresse comme l'eau d'une plage vient t'léchouiller les nougats. C'est estrêment délicat.
Alors, très bien, des heures écoulent, et pis d'aut' z'encore. Et brusqu'ment : « driiiinggggg ! ». La sonn'rie à Mathias qui s'met à jouer branle-moi-le-con-bas à toute vibure. J'bondis hors d'ma baignoire, j'ouv' la lourde de la chambre, j'dégaine mon feu. J'sus prêt à livrer la bataille d'Osso-Bouco, de Goulache ou de Marengo, au choix d'l'adversaire.
Et alors, j'éclate d'un rire de store !
C'que j'sus t'en train d'frimer dépasse l'imagination sans mett' son clignotant ni klaxonner.
C'est sidérant. Figure-toi qu'su'la coiffeuse, y'a une pie. Une simple pie. Et alors tout l'mystère s'éclaircille. On n'la volait qu'quand y f'sait très beau, la Fribour, vu qu'alors, é laissait sa fenêt' grande ouverte. On n'volait que les bijoux posés su' la coiffeuse parce qu'une pie n'a pas encore trouvé l'moilien d'craquer un coffre. Et on n'lu piquait qu'ses diams, parce que c'était c'qui en jetait le mieux. A une certaine heure, l'soleil radinait jusqu'à la coiffeuse et ses quincailles s'mettaient à foisonner du carat, la mère Fribour. Les éclats parataient jusqu'à dehors, d'où qu'la pie, su' son arbre, les r'cevait. Ça y'énervait l'sensoriel, mad'moiselle. Ell' s'annonçait par la fenêtre et v'nait cueillir l'bijou dans son bec.
En m'aperc'vant l'intrusion, la pie décarre aussi sec. Elle engourdit l'solitaire à la gravosse, c'te salopiote. J'bondis, mais déjà, elle est aoute ! J'm'pointe à la fenêtre. Bon, la pie est posée su' une branche du tilleul, juste en face. A son bec, le solitaire s'met à cracher épais, comme si on f'rait des signals d'amorphe av'c un projecteur. Faut pas perdre la pie des yeux, sinon, baille-baille mon beau caillou ! J'reste là, sans broncher, fixant l'oiseau. J'en chope des fourmis dans les ribouis, d'à force.
Qu'est-ce elle maquille, cette pie-voleuse ?
Enfin, bon, la v'là qui s'décide. Elle s'envole jusqu'au bâtiment qui prolonge la fabrique côté jardin.
Y'a un lucarneau par où elle entre dans la conserverie. La v'là qu'a disparu. J'attends encore. Pas longtemps. Elle ressort peu après, mais sans l'solitaire. Donc, sa planque s'trouve là.
Tout flambeur, j'descends r'trouver la dame Fribour qu'en croye pas ses oreilles d'une telle mise en d'vanture. Elle avait entendu causer, pour les pies ; mais ça lu paraissait carambolesque comme histoire.
Vite, on fonce à la fabrique. C'est pendant midi et y'a plus personne. Les employés sont été bouffer. Qu'à c'la ne tient, on se repère, grâce à mon sens d'orientabilité. Et on découvre qu'l'lucarneau du jardin sert d'aération à la cuve à choucroute. Une échelle en fer grimpe au rebord de l'immense cuve de ciment. J'escalade. Me juge su' le faîte du mur. Plus bas, à un mètre et des, la choucroute. De toute beauté comm' spectac'. Ce foisonnage d'choucroute qui moutonne, qui pue magnifiqu'ment le fort et l'aigre. Féerique, j'te dis. Un' des plus belles visions d'ma vie. J'regarde bien, partout. Et j'finis par aperc'voir l'caillou, ent' deux lardons, dans c't'univers fabuleux. J'saute dans la choucroute et, comme si j'march'rais dans un marécage merveilleux, j'vas en direction d'là bagouze.
Ça y'est : j'la tiens. Hop, dans ma vague. J'r'viens à l'endroit de l'échelle. J'tente un rétablissage pour sortir d'là cuve immense, mais l'niveau d'là choucroute est trop bas par rapport au mur. J'ai beau prend' mon élan, impossib' de ressortir. D'autant que c'est mollasson sous mes pinceaux, comme tu d'vines. Comprenant qu'j'arriv'rai à rien tout seul, j'appelle maâme Fribour pour qu'elle vient me donner un coup de paluche, c'est l'cas d'dire !
La gravosse excalade l'échelle. J'lu d'mande la main en lu conseillant d'arcbrouter bien fort'ment pou' m'arracher, une viandue d'c'ct'importance, qu'est-ce j ‘représentais pou' sa force ? Un plumeau ! A peine…
Eh ben c'te conne, les exercices physiques, tu m'en r'caus'ras.
C'est pas moi qu'ai sorti d'là marmite, c'est elle qui y'a tombé d'dans. Plouffff ! Tu l'aurais vue, dans la choucroute, la madame muscles ! Dedieu de Dieu, j'pourrai jamais oubeliller, mêm' qu'j'vivrais encor' cent piges c'qu'est pas mon cas. Ses jupes troussées, ses grosses cuisses, ses gros bras. Et la choucroute qui l'insinuait d'partout, lu rentrait dans les nichebloques, dans l'slipe, sous les brandus, tout ça… Une image aussi lubrifiante, ça n'peut plus s'rencontrer. La grosse, éclaffée dans cette monstre mangerie. Ô, Seigneur ! Merci d'm'avoir connu ça ! C'qu'é l'était émouvante, la mère Fribour, si jambonneuse, mieux qu'une truie. Son élément, la choucroute. Sa fortune. Son pied de stalle.
— Oh, mais c'est qu'je t'veux, j'lu dis. J'te veux, t'es trop belle. C'est trop beau. Trop excitant. Trop tout !
Et en causant, j'l'ai dessapée. Fallait qu'é soye entièr'ment nue, la chérie, pour rien perdre d'son ampleur, d'sa majesté si majestueuse. Qu'é soye tout à fait complèt'ment elle. A en mourir d'apothérose. Salope et grandiose : un rêve.
Ell' n'rechignait pas. Ell' savait toute la vraie beauté d'c't'instant mémoresque. Et qu'y fallait qu'on allasse au bout d'ce vertige grandiose. J'm'a déloqué pareill'ment. Communier av'c la choucroute et l'amour, pour la première et unique fois d'mon existence. S'saouler des deux jusqu'à plus soif. C'était d'une intensivité terrible. Un vrai pot calypse. On gueulait et ça nous remplissait la gueule de choucroute. Et on la mangeait en brossant. Rien qu'd'évocationner, j'ai un goût d'genièvre qui m'revient, et d'lard fumé ! On croquait des grains d'poiv'. On s'parlait la bouche pleine, j'lu en emballais dans le flaouteur en la calçant. Ell' d'venait enfin choucroute, la Fribour.
Qui qu'a pas vécu ça n'saura jamais ce qu'c'est qu'l'amour ni qu'la choucroute. La noblesse qu'ça r'présente, les deux réunis. Cette splendeur dans une existence d'homme. Brosser et choucrouter en même temps. S'rouler dans c'que tu manges. L'baiser, pour ainsi dire. J'employe les mots qui convient. Oui : baiser sa nourriture. Et qu'cette nourriture soye tell'ment accumonc'lée ! Qu'en aye des quintals et des quintals ! La respirer. T'en aveugler. En d'venir sourdingue tell'ment qu'j'm'en retirais des feuilles av'c des cotons-tiges encore huit jours plus tard. Et pis embroquer cette truie, là, en mangeant. La garnir d'choucroute à coups d'braque ! Lui en plaquer des paxons commaks su' la bouille. L'en fout' dans les ch'veux. Lu combler l'creux des loloches. Et manger av'c ell', ensemb', en chœur. Ah, ce délire superbe ! Ah, comme j'ai été fier d'moi ensuite, une fois rendu à la vie civile. Fier d'avoir vécu un pareil évén'ment. Qu'même les plus hauts destins n'ont pas pu. Ni De Gaulle, s'lon c'qu'j'en sais, ni l'maréchal Pétain, Churchille ou l'général Eugène Au Vert n'ont jamais baisé dans d'là choucroute, ou alors y z'ont fait des cachotteries, et j'voye pas pourquoi qu'y z'en auraient faites. Vraiment pas. surtout un sujet d'c't'importance, des hommes comme eux.
Читать дальше