Il le compulse avec calme, sans sourciller ni bander, ce qui dénote chez lui un self-control digne des loges, dirait un maçon de mes amis [8] A ce propos : la bise à D.D.S.
.
N’après quoi, il se lève.
— Je vais téléphoner à la Maison mère pour réclamer des infos sur ce Gérard de Barrayage, déclare-t-il.
Reste à inventorier le grand larfouillet. Il sent le vieux cuir de jadis et il est si vaste que tu pourrais te faire confectionner une paire de bottes de cheval avec.
J’en retire plusieurs feuillets jaunis et une photographie. Cette dernière représente l’officier de marine en uniforme de lieutenant de vaisseau, donnant son bras galonné à la même Adèle dont la tête est amoureusement inclinée sur son épaulette, autant que les conventions le permettaient. Elle a rédigé d’une belle écriture aristocratique : A toi toujours. Dédèle . Comme quoi on peut avoir du sang bleu et écrire des niaiseries à l’encre noire !
Je moule alors le beau couple romantique pour prendre connaissance des différents papiers.
Premier document :
Je soussignée, Adèle de Magonfle, épouse Lhours, déclare faire don à mon époux, le lieutenant de vaisseau Martin Lhours, de la rivière de diamants qui m’a été donnée par mon père à l’occasion de mon mariage et qui se trouve dans notre famille depuis que l’empereur Napoléon III l’a offerte à mon aïeule Constance-Amélie .
Fait à Paris, le 29 juin 1946
Second document :
Je soussignée, Adèle de Magonfle, épouse Lhours, reconnais entretenir une liaison amoureuse avec M. Gérard de Barrayage depuis janvier 1944. Ma fille Antoinette est issue de ces amours. Mon époux naviguant à l’époque de sa conception, l’obstétricien, ami de la famille, a accepté de déclarer que mon accouchement était prématuré .
Fait à Paris, le 18 avril 1946 .
Troisième document :
Je soussigné, Martin Lhours, domicilié à Murger-sur-Seine, 23 avenue Marie-France Dayot, sain de corps et d’esprit, déclare que ceci est mon testament .
Je lègue la totalité de mes biens à l’Œuvre des enfants de marins péris en mer .
Fait à Murger-sur-Seine, 78, le 8 septembre 1990 .
P.S. Une copie manuscrite de ce testament a été déposée en l’étude de maître Lepoint-Dancrage, 69 Bd de Sébastopol, Paris .
Il n’existe pas d’autres documents dans le vieux portefeuille.
Nous repartons aussitôt après, lestés de notre butin.
— Tu trouves que la situation s’éclaircit ? me demande mon roi mage préféré.
— C’est pas encore la scène du Casino de Paris, mais en tout cas ce n’est plus la nuit, réponds-je.
— Disons que ça ressemble à la pleine lune ? ricane le nègre Blanc.
— Tu as trouvé l’expression la mieux appropriée.
On descend l’escadrin plus ou moins grinçant.
— Fais gaffe à la marche perfide, Antoine ! On phosphore « autrement » lorsqu’on a la gamberge entre deux eaux, tel Bibi en ce moment.
L’existence se pare de couleurs qu’on ne lui avait jamais vues.
Parvenu au point critique, je stoppe.
— Tu veux bien déclouer le dessus de cette putain de marche, Négus ?
— Because ?
— Tout le reste est costaud, il n’y a qu’elle qui déconne.
— Quand un truc se met à foirer, y a fatalement un point faible au départ.
Pourtant il va au rez-de-chaussée, trifouille dans la cuisine, finit par ramener une grosse clé à molette qu’il utilise pour démolir la marche. Dans l’espèce de petit caisson ainsi dégagé, se trouve un bloc faisant songer à une batterie d’auto.
On se dévisage, Jéjé et ma gueule, comme si nous ne nous étions encore jamais vus et que nous nous affrontions dans une salle des ventes pour l’acquisition d’une poupée gonflable capable de dire des cochonneries.
— Qu’est-ce ? il me demande.
— J’ai pas la science infusée, comme dit Béru.
— Tu as vu ce qu’il y a, à côté de ce machin ? Un gant !
Je file un coup de saveur dans la cache et aperçois un gant similaire à celui décrit par la femme de ménage.
— Montre-moi ça !
Il glisse sa paluche dans le trou et soudain sursaute en poussant un cri.
— Qu’est-ce qui t’arrive, nez-plat ?
Son bras droit pend le long de son corps.
— Je viens de morfler une décharge pour chaise électrique, bredouille mon pote ! Seigneur ! j’ai cru qu’elle m’arrachait l’épaule !
A ma requête, il recloue tant bien que mal la marche délictueuse. On finit par descendre l’escalier.
Le Négus me soutient car je péclote sérieusement. Je pourrais interpréter un rôle de moribond dans un remake de Pont aux Dames . Ce qui ne m’empêche pas de virguler mon venin à l’endroit (préférable à l’envers) de ce Miborgne qui bâcle ses enquêtes de manière éhontée.
Au moment où nous débouchons sur le maigre perron, je suis saisi d’une pensée culpabilisatrice. C’est, je suis sûr, ma rancœur contre la grosse loche qui la motive. Je me dis, et ça, crois-moi ou va sucer des blennorragies sous les ponts, c’est le Seigneur qui m’interpelle : « As-tu la perfection professionnelle, pour ainsi accabler un confrère ? »
— Qu’est-ce qui t’arrive ? demande Fleur-de-Neige.
— En explorant la cuisine, l’autre jour, j’ai cru remarquer une courette sur l’arrière de la crèche…
— Minuscule et sans intérêt, spécifie le James Bond des savanes.
— J’aimerais m’en rendre compte « de Vésuve », dirait Sa Majesté.
Clopinant, clopinette, je rebrousse chemin.
Le mot « courette » est presque excessif pour qualifier le maigre espace de quelque deux mètres sur six qui s’inscrit entre le pavillon de Lhours Martin et celui de son voisin. Il forme une vague enclave destinée à éclairer la cuisine, ainsi que la chambre se trouvant au-dessus. D’un côté, il y a un auvent démantelé, abritant un reliquat de charbon (remontant à l’époque où la villa ne comportait point encore le chauffage central), de l’autre, les ruines d’un chenil dont le fort grillage est davantage rouillé que l’épave du Titanic .
Il recèle une grande niche que des années d’intempéries font tomber en diguedoune. Un écriteau délavé, pratiquement illisible, indique « chiens méchants ». Je me demande bien à l’intention de qui il fut placé là. Qui donc, en dehors des maîtres et d’une éventuelle servante, pouvait se hasarder dans cette espèce de cul-de-basse-fosse ?
— O.K., murmuré-je ; cette fois on s’emporte.
* * *
T’as des jours plus bienveillants que d’autres. Ainsi, sommes-nous de retour à l’hosto avant Félicie.
J’ai le plaisir de trouver César Pinaud dans ma chambre. Il s’est endormi sur le siège destiné aux visiteurs et ronfle plus bruyamment qu’un banc d’essai de chez Ferrari, le buste contre mon lit.
Je commence à me défringuer le plus rapidos possible quand la mère Crindebide, l’infirmière-chef, surgit en m’agonisant de reproches au vitriol.
— C’est à vous dégoûter de votre métier ! elle mugit. Des sagouins de votre espèce, je n’en veux plus. Vous cherchez quoi ? La mort ? Soyez tranquille, elle ne tardera plus, avec la vie que vous menez !
Je te livre un vague digest de sa tirade. Elle sue en parlant, Mémère. Ça lui dégouline de sous ses cheveux clairsemés. Elle postillonne tellement que je vais devoir me changer.
Pendant qu’elle s’écrème la rogne, je me coule dans les toiles, abasourdi par l’épuisement. Pinuche en profite pour se réveiller.
— Ah ! te voilà ! fait-il. Où étais-tu ?
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