Mon stylo-torche est fidèle au poste dans ma fouille intérieure. Son faisceau intense me guide jusqu’à la cave. Certaines marches sont encore souillées par le sang de la pauvre Maria, lequel est devenu d’un brun écœurant.
Voici la porte donnant sur le collecteur. Je l’ouvre sans barguigner (d’ailleurs je ne barguigne jamais). Une fraîcheur putride me seringue le tarbouif. Ecœurante. Je débouche dans un conduit d’un mètre soixante où grouille une faune que ma loupiote met en fuite. Un ruisseau fangeux coule dans ce tunnel peu profond, frangé d’un immonde limon.
Je promène ma luce sur ces putricités. Dans le lit de l’égout, d’étranges épaves gisent : cafetières cabossées, brocs sans fond, bouteilles de toutes contenances, débris de mobilier, chats crevés en décomposition, carcasses de vélo, tampons périodiques neutralisés en fin de mission, voitures d’enfant, masques à gaz, ressorts à boudin, machines à coudre, fœtus en tout genre.
J’hésite sur la direction à choisir : amont ou aval ? Une inspection du sol me fait opter pour l’aval ; en effet, je distingue nettement des traces de pas imprimées dans le sol de la courte rive du ruisseau.
Je m’engage donc vers la Seine où se jette l’égout. Selon mon estimation, le fleuve doit se trouver à une bonne centaine de mètres. J’avance, courbé, vacillant, regrettant de ne pas être chaussé de bottes car, à tout bout de champ, je me file une pattoune dans la gadoue.
De temps à autre je dois m’arrêter pour cause d’essoufflement et de titubance exagérée. Elle a raison, ma petite chérie : si je m’obstine à ne pas tenir compte de mon état, il va empirer. Ça signifie quoi, « empirer » ? Qu’une septicémie risque de se déclarer et que le bel Antonio ira se faire plomber les molaires avec l’argile du cimetière. Malgré cette perspective peu alléchante, je vais, vais de toute mon énergie, enfonçant mes paturons dans l’eau pourrie qui malodore à m’en flanquer la gerbe.
Mon guignol bat la breloque. Qu’à la fin, je suis dans l’obligation de m’asseoir sur la carcasse d’une cuisinière à gaz coincée dans le tunnel.
Pendant que je me reprends, je promène la lumière de ma lampe au plafond. C’est alors que j’avise une chose déconcertante. Un fil électrique court le long de la voûte. Il est fixé à des pitons chromés qui semblent assez récents. Je me demande fortement quel est l’usage de cette installation qui ne sert pas à l’éclairement.
Courageusement, en embardant, sacrant, je continue mon déplacement dans le boyau fangeux. Parfois, j’éclaire le plafond pour constater que le câble est toujours là, comme un fil de trolley.
J’arrive au bout du tunnel. Il cesse dans un luxuriant buisson d’arbrisseaux : des enfants de peupliers pour la plupart, qui s’élèvent parmi des plantes exubérantes aux feuilles en palette de peintre. La Seine est là, à quelques mètres, « miroir d’argent sous la lune », écrivait une romancière dont on a ablaté les ovaires qui finissaient par être nazes.
Ayant atteint l’embouchure de mon boyau, je cherche ce qu’il advient du fameux fil. Il me faut un sacré bout de moment pour découvrir qu’au sortir du collecteur, il s’élève verticalement jusqu’aux branchages d’un arbre et disparaît parmi les feuilles.
Comme tu t’en doutes, je n’ai pas la force de me hisser dans le peuplier. Ma seule ressource c’est de le retapisser depuis le sol. Après pas mal d’investigueries je finis par le discerner. Il quitte l’arbre pour en rallier un autre. Je comprends alors que ces jeunes peupliers tiennent lieu de poteaux. Dès lors, il m’est relativement aisé de suivre le cheminement du câble. J’éprouve une exaltation radieuse ; j’ai l’éblouissante sensation que cet étrange fil d’Ariane va me guider vers des révélations merveilleuses.
Après les peupliers, il oblique carrément sur l’agglomération, traverse une zone en friche et pique en direction d’une maisonnette sans goût ni grâce. C’est la bicoque de banlieue destinée à plus humbles que les modestes. Carrée, toit à deux pentes, crépi d’un crémasse pisseux, volets déglingués qui furent verts avant d’être décapés par les intempéries. La maison en question doit comporter tout juste trois pièces, et des pas grandes. Elle est entourée d’un jardinet inculte où des rosiers se sont lentement transformés en ronces. Une antenne de télé semble presque anachronique sur cette guitoune agonisante. Autre signe d’opulence : une Saab 900 décapotable du dernier modèle.
Je m’en approche, indécis, troublé, avec le battant qui chamade à en perdre ses bretelles.
Juste que je m’interroge sur l’heure, une horloge de ville dont je ne peux déterminer si elle est laïque ou religieuse, y va de dix coups bien sonnés.
Le gars ma pomme (en américain : my apple) commence par mémoriser le numéro de la chignole, laquelle est immatriculée dans les Alpes-Maritimes. Ensuite de quoice, je promène le faisçal du stylo magique à l’intérieur du véhicule, mais sans rien découvrir qui vaille un coup de cidre.
Me sens gonflé à bloc, malgré mon état branlant. J’ôte mes groles boueuses comme il est chaudement recommandé de le faire dans les manuels du parfait détective, en vente dans les bureaux de tabac et à la cour d’Angleterre, afin d’opérer un tour complet de la maison. Je perçois la rumeur creuse de la téloche, ce qui dénote une présence.
De plus en plus décidé, je tente d’aller coller un œil au trou de serrure, mais sans en retirer d’avantage. Alors je brusque les choses, ce qui est hautement déraisonnable. Tout autre flic, à ma place, s’assurerait le concours de ses collègues. Las ! cela impliquerait de la paperasserie, tout un zef de chiasse auquel j’ai toujours répugné, car il est le synonyme d’ankylose.
A moi, mon cher sésame !
Essayant de garder le geste assuré, je coule mon passe magique dans une Yale à mine patibulaire. Le genre ergoteuse, pleine de petits trucs viceloques qui font perdre du temps aux gentils casseurs en exercice. J’agis avec le max de discrétion, mon ouïe aiguisée comme une lame de voyou. Bon, ça se passe. J’espère que le ou les habitants de la crèche s’intéressent à leur émission de téloche.
Opération réussie ! la sournoise cesse d’obstructionner. Je reprends ma respirance, patiente un brin pour que s’atténuent les battements de mon palpitant. Il est rétif, l’apôtre, depuis que mes soufflets ont encaissé un morceau de ferraille calibrée !
Ayant retrouvé ma sérénité organique, je décide de tenter l’aventure. Pour commencer, je dégage mon camarade Tu-tues de mes brailles et le glisse sur mon ventre afin qu’il soit plus aisé à emparer. Voilà, à toi de chanter ta romance, d’Artagnan ! Je pousse la porte avec un luxe de précautions dont la nomenclature nécessiterait vingt pages sans interlignes, écrites en petite italique.
Mais qui est-ce qui l’a in the babe , Gontrand ? Messire moi-même, ce pour la raison primordiale que cette vachasse de lourde est équipée d’une chaîne de sécurité. Alors là et dans mon cas, c’est purement catastrophique, Angélique. Tu m’objecteras que j’ai toujours la ressource de la faire sauter d’un coup d’épaule ; seulement je n’ai pas le courage de jouer les boutoirs. Et si je l’avais, ce coup de force ferait du barouf.
Déconcerté, je balance sur la suite de mes investigations. Abandonner momentanément la partie ? Non, mais tu me connais ?
Sans m’arrêter de phosphorer, j’explore mes fouilles toujours équipées de gadgets intéressants, dus à Mathias pour la plupart. C’est ainsi que je déniche, dans une pocket secrète ménagée dans le pli de mon bénoche, une mince scie à métaux large de deux millimètres et longue de dix centimètres. Elle est faite dans un métal extrêmement dur. Ce que je vais entreprendre est culotté, certes, mais n’est-ce point là ma vocation que de l’être ? aurait dit le cher roi Dagobert qui n’a immortalisé son règne que parce qu’il s’est assis sur sa braguette.
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