J’espérais très fort récupérer Béru et Salami à notre hôtel. Hélas, ni l’un ni l’autre n’y étaient ; le repas destiné à mon cher basset n’avait pas été touché.
Dès lors, une intuition mauvaise se mit à faire des misères à mon muscle cardiaque. Ayant mesuré l’impitoyableté des gens auxquels nous nous heurtions, je craignis qu’il leur fût arrivé un turbin. Par « turbin », j’entends : rien de bon.
Le regard éloquent de Jérémie m’indiqua qu’il partageait mon appréhension.
— On « y » va ? dit-il seulement.
J’acquiesçai.
Nous nous dirigèrent pédestrement vers cette satanée villa, pleine de mystères et de fantômes.
Nous parvenions en vue de ladite, quand nous aperçurent la voisine Mme Trousso-Déclez. Elle battait un méchant tapis à sa fenêtre, comme cela se faisait dans les maisons bourgeoises où l’aspirateur n’avait pas encore droit de cité. Nous adressa un geste amitieux auquel je répondis par un autre.
La présence de Blanc à mon côté l’incertituda.
— J’ai du café tout frais ! nous lança-t-elle. Venez donc en prendre une tasse.
À la vive stupeur de mon pote, j’acceptis et nous pénétrâtes dans le vieux pavillon encaustiqué et ronronnant.
Je fis les présentations.
La chère Gwendoline déclara en serrant la dextre de Jérémie :
— Monsieur est noir, n’est-ce pas ?
— En toute franchise, oui, admis-je, mais il ne mord pas, ne fait pas ses besoins sur les parquets et vous récite Le Songe de Jacques Attali sans rater un seul vers.
Pendant qu’elle serva le caoua, je demandis :
— Auriez-vous aperçu mon chien, aujourd’hui ?
— Aujourd’hui, non, répondit ma vieille amie. Par contre, hier au soir, en fermant mes volets, je l’ai vu rôder autour de la maison. Je l’ai appelé, mais il a fait semblant de ne pas entendre.
— C’est un cyclothymique, l’excusis-je.
Elle eut un hochement de tête rassurant : de toute évidence, elle ne s’offusquait pas du côté lunatique de mon basset.
— Vous avez entendu beaucoup de manifestations, ces derniers temps ?
Ma question pouvait sembler grenue, posée à cette mémé qui, depuis plus de vingt piges, se farcissait les étranges bruits d’à côté. Mais c’était mon inspiration « enfouie » qui me la dictait. Aussitôt, l’ancêtre s’aggravit et son beau regard pâle où la cécité allait bientôt faire loi, prit une expression soucieuse.
— Curieux que vous me demandiez cela, murmura-t-elle.
— Pourquoi ?
— C’est une des rares fois en un quart de siècle qu’il n’y a pas eu de bruit au cours de la nuit, non plus que ce matin. Si je vous avouais : ça me manque !
Elle ajouta, si bas que je devinai les mots plus que je les entendis :
— Et ça me fait presque peur.
Ainsi est la vie : les phénomènes surnaturels nous effraient, mais ils nous troublent davantage encore quand ils cessent.
Nous ne tardirent pas à prendre congé de l’aimable douairière. Ce fut pour piquer droit sur la maison hantée (du moins l’était-elle encore la veille).
Rien n’avait bougé, si ce n’est que je ne vis plus trace, au sol, de ma poudre de perlimpinpin.
Je la fis visiter entièrement à M. Blanc. Jamais la banalité de l’endroit ne s’était révélée avec un tel réalisme. Souvent, on ne découvre les choses que lorsqu’on les montre aux autres. Ce logis médiocre, pour gens médiocres, me parut affligeant à force de banalité.
Soudain, je poussis une exclamation dont mon compagnon me réclama la raison.
Je venais de penser à Stendley Mallory, le gay personnage transbahuteur de cage à oiseau. Je l’avais dûment ligoté dans sa chambre avant de la quitter, pour éviter qu’il donne l’alerte. Ne risquait-il pas de mourir d’inanition ?
Je narris ces préoccupations au Noirpiot, qui calma mes angoisses.
Il me persuada que l’analité du boy devait s’exercer en compagnie d’autres follingues, lesquels se mettraient à sa recherche. Ces valeureux sujets (à caution) de Sa Majestouille commenceraient par venir chez lui. Blanc me pariait un cocotier de son jardin familial contre un coquetier de notre cuisine, que le propriétaire de la Morgan était libre à l’heure où je m’inquiétais pour sa personne.
Je ne demandais qu’à être rassuré et le fus instantanément. Nous reprîmes nos recherches.
J’entrepris une minutieuse relation de ma noye en compagnie du Gros.
— Nous étions couchés dans cette chambre, lui dis-je-t-il. La porte donnant sur le vestibule était fermée de l’intérieur.
Il m’écouta tout juste. Ses énormes lotos luisaient telle la menotte d’une étudiante, amidonnée par la semence de son love-friend .
S’en fut ouvrir la lourde de la salle de bains. Comme cette dernière desservait les deux chambres, il la franchit pour déponer la porte donnant sur l’autre bed-room .
Revint peu après : un air de commisération attristait son beau visage, en comparaison duquel l’encre de Chine paraît de couleur pastel.
— Il sera sorti par la seconde chambre, bougonna-t-il.
— Si cela avait été le cas, j’aurais vu la trace de ses pas dans la poudre. Et puis la lourde était également fermée de l’intérieur.
— Elle ne l’est plus !
— Parce que « quelqu’un » l’a ouverte depuis l’autre nuit ! gueulai-je. Tu ne me prends pas pour un taré, j’espère ?
Cet éclat remit les pendules à l’heure.
D’ailleurs, par un fait exprès, celle du salon, en bas, se mit à carillonner.
Blanc retourna dans la salle d’eau et licebroqua à jet vigoureux, comme pour laisser davantage de place à ses pensées.
Il revint en se rajustant.
— Écoute, murmura-t-il, je crois trop en Dieu pour croire au surnaturel. Tout ça, c’est du music-hall, Antoine. Tu sais quoi ? Ta putain de baraque, elle n’est pas hantée, elle est truquée !
Je haussis les épaules.
— Prouve-le !
— Je vais essayer. Tu devrais prendre l’air pendant que je résous ce casse-méninges. Je déteste qu’on me regarde quand je réfléchis : ça brouille mes ondes.
— Excusez-moi, monsieur Einstein, je ne vous avais pas reconnu, ricané-je en m’évacuant.
Sans s’émouvoir, le grand Jéjé s’assied sur la bergère où je dormis l’autre nuit.
Quant à moi, je pars m’offrir un grand verre de gueuze dans un établissement proche.
En contemplant l’animation d’alentour, je me prends à évoquer la petite policière flamande si lâchement assassinée à Londres. Elle était courageuse et jolie, aimait la vie, aimait l’amour… Je lui propose cette virée chez les Rosbifs et son destin déclare forfait.
Allons, chiale pas, Antoine. Nous sommes tous, plus ou moins, le destin des autres ! L’existence est un carrousel en folie. Il s’emballe, et beaucoup d’entre nous tombent, désarçonnés.
Irma se promenait sur cette place en souriant de toute sa beauté, de toute sa jeunesse. Les hommes la regardaient, certains la désiraient.
En fin de compte, cette drôle de bière a un goût de dégueulis consécutif à une sévère gueule de bois. Je hèle le loufiat, lui demande de la remplacer par un verre de vin de Moselle. Le pinard, on connaît mieux, nous les Franchouilles. Bien sûr, des buveurs de whiskies sont apparus, des siroteurs d’apéros qui rongent le marbre sur lequel ils tombent ; mais la majorité des Gaulois préfère le jus de la treille.
Lorsque j’ai liché mon godet, j’en réclame un nouveau. Besoin d’euphoriser.
Il branle quoi, le Mâchuré, dans cette maison maudite ?
N’y tenant plus, je douille mes orgies et vais le rejoindre.
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