À quoi bon te rapporter ses rudes exclamations de stupeur ? Il se croyait dans un film de Fritz Lang, période « Docteur Mabuse ».
Mes fortes lampes en action nous permirent de voir le fond. J’eus un élan de gratitude envers le Seigneur quand je constatis que ledit se terminait par une nappe d’eau. Grâce à cet élément, on ne se fracassait pas la poire en tombant mais on pouvait, à tout le moins, s’y noyer, or, nul corps n’était apparent.
— Vous comptez alerter les fire-men ? me demanda mon équipier, pour qui le terme français de pompier ne concernait qu’une caresse buccale.
— Plus tard, lui fis-je. Il me faut, auparavant, poursuivre ma mission.
À sa grande surprise, je me mis en slip puis attachis l’échelle au tuyau de vidange du lavabo proximiteux. Auparavant, à l’aide de mon pic, j’avais bloqué le système de fermeture.
Mon récent ami me biglait avec des lotos qui le faisaient ressembler à l’inspecteur Derrick, lequel pourrait très bien jouer le rôle d’une tête de cheval aux haricots rouges, en cas de force majeure.
— Vous n’avez pas peur ? questionna-t-il.
— Bien sûr que si, répondis-je, mais où serait le charme ?
Je m’assis, les jambes pendant dans le vide, fixis l’une des lampes autour de mon cou et m’emparis de l’échelle après avoir pris le rouleau de corde en bandoulière.
Mon dernier regard à Aloïs me permissit de réaliser à quel point il appréciait mon sang-froid. J’en fus dopé.
Ces menus barreaux de fil de fer scièrent la plante de mes pinceaux. Leur étroitesse freinait ma descente. In petto , comme on dit en italien, j’adressis un salut admiratif aux courageux alpinistes qui défient le vide avec cet accessoire si fragile d’apparence.
Je me demandais s’il serait suffisamment long pour permettre d’accéder au fond.
Il s’en fallut d’un mètre. Du bout des orteils, je pris contact avec une eau glacée, idéale pour accompagner le Ricard, mais impropre au bain.
Je prias en aparté (se dit : apartheid quand tu habites l’Afrique du Sud) le Seigneur de ne pas jouer au Bel Indifférent avec moive, et lâcha tout.
Ploff !
J’eus de la baille jusqu’à la ceinture et me mis à exécuter un solo de castagnettes avec les dents.
— Ça va ? demanda mon ci-devant duelleur, dans un français dont je renonce à reproduire l’accent avec des lettres.
— Un pneu vieux ! répondis-je, voulant dire « on ne peut mieux ».
Ces civilités échangées, j’examina le puits à la recherche de la Vérité.
Avisis une voûte pareille à une bouche noire. Elle était basse, l’eau montait à moins d’un mètre de sa courbure. Soutenant ma lumière afin qu’elle ne soit pas immergée, j’avancis.
Peut-on appeler cela une grotte ?
La réponse est oui, à l’unanimité.
Le claquement de mes chailles se fait de plus en plus bruyant.
Je voudrais héler, manifester mon arrivée d’une manière ou d’une autre, mais le froid de cette tisane me paralyse les éponges, les muscles, les testicules. Malgré ces légers handicaps, je continue ma progression.
Chemin faisant, je me pose des questions. Comment et quand les occupants du pavillon ont-ils eu connaissance de ce puits ? La grand-mère Mina et son vieux branleur savaient-ils qu’il existait ? Probablement pas, sinon le pépé ne se serait pas crevé l’oigne à confectionner un faux conduit pour planquer le cadavre du général allemand et de la gonzesse qui l’accompagnait.
Cependant, la trappe est, de toute évidence, plus récente que l’installation sanitaire.
Voilà que le souterrain s’élargit. L’eau dans laquelle j’évolue passe par-dessus un muret et choit dans une excavation profonde, en bouillonnant.
J’y braque mon projo.
Quelle secousse ! Kif un courant électrac me vrillant de part en part. J’aperçois, en contrebas, une masse sombre sur de grosses pierres : Jérémie !
Il est à plat ventre.
Je l’appelle. Il ne remue pas, ne profère aucun son. Ce qui s’est passé, je ne le pige que trop bien. Demeuré seul, il a procédé à une inspection minutieuse des lieux, a découvert le gag de la douche et a culbuté. Puis, comme moi, mais à tâtons, il a suivi le tunnel. N’ayant aucune lumière pour se guider, le cher négro a fait philippine et basculé dans le vide. Béru a sûrement dû agir de même. Mes potes ont été piégés par le souterrain.
Que dois-je faire ? Revenir au puits et crier à l’Allemand d’aller quérir du secours ?
Bien sûr, ce serait la sagesse.
Seulement, tu le connais ton Sana, Armand ?
Fougueux, toujours, et, la plupart du temps, intrépide !
Je détortille mon rouleau de corde, attache l’une de ses extrémités à une aspérité rocheuse semblable à une dent de cachalot.
Descente de ton héros au sourire si doux et à la queue si raide.
Que me réserve-t-elle ? Je n’ose y penser. Je dévale en me hâtant le plus lentement possible pour retarder la réalité si elle doit être affreuse.
M’y voici.
La carcasse du Négus est à moitié immergée du bas, mais, t’heureusement, sa frite est à l’air libre.
Ma main pétrifiée se porte à sa jugulaire.
Tu veux que je te dise, Elise ?
Sabbat !
Pardon : ça bat !
Des bosses, j’en ai rencontré. Des bosses de chameaux, de dromadaires, de « bossus ». J’ai vu des plaies et des bosses. Je connais le Bosphore, la Bosnie. J’ai dansé la bossa-nova. J’ai lu Bossuet. J’ai visité Boston. J’ai actionné des bossoirs sur des bateaux. J’étais à la reprise de Bobosse d’André Roussin. Moi-même, je suis un formidable bosseur, malgré tout ça, je n’ai JAMAIS contemplé une aussi grosse bosse que celle de Jéjé. Une tronche à impériale, ça lui constitue. Tu croirais ces monstres de la nature figurant dans des books médicaux. Ses tifs à ressorts n’ont pas pu extenser assez et son cuir chevelu ressemble à une courge béante, éclatée sous l’effet du mûrissement.
Je m’agenouille à son côté, lui caresse le visage.
— Blanche-Neige, chuchoté-je, tu m’entends ?
Il balbutie quelque chose. Je crois déceler : « Fais pas chier ! »
Loin de me formaliser, sa rebufferie me réjouit. Il vit ! Excepté Toulouse-Lautrec à son père accouru auprès de son lit de mort, les agonisants ne s’expriment pas aussi crûment [12] Le père de Toulouse-Lautrec sanglotait à son chevet, regrettant la rigueur avec laquelle il avait traité son fils. C’est alors que le mourant murmura : « Vieux con », puis s’éteignit.
.
— Tu as quelque chose de cassé ?
— Le petit doigt de la main gauche et la colonne vertébrale.
— Tu sens tes pieds ?
— Je me les suis lavés hier matin.
— Si tu déconnes, c’est que tu fonctionnes. Je vais tenter de te remettre droit. Tu y es ?
Le saisissant à deux bras, je lui restitue la verticale.
— Ne me lâche pas, geint-il, je dois avoir une hanche zinguée !
Homme d’action dont la détermination n’est plus à démontrer, je coltine mon Black jusqu’à une sorte de plate-forme à l’abri de la baille. L’y dépose avec précaution. Puis réfléchis. La sagesse serait d’aller quérir de l’aide en retournant au puits pour alerter le Teuton.
Je m’y résous lorsqu’il se produit un brassement de flotte. Tu sais quoi ? L’Aloïs qui se radine. Je braque la luce sur sa poire à poils blonds. Lui aussi s’est mis en slip. Aveuglé, il cligne des spots comme un hibou insomniaque réveillé par le chant du coq.
— Besoin d’assistance ? il demande.
Loin de le remercier, je l’agonise.
— Vous êtes complètement frappadingue ! glapis-je. Qui va aller réclamer du secours, maintenant que nous sommes tous dans cette gadoue ? Putain, ce que c’est con, un Boche !
Читать дальше