— Qu’est-ce qui se passe ? demande la petite chérie qui, jusque-là, ne s’est aperçue de rien.
— Prenez place !
Seulement, y a une chose que tu ne dois pas oublier : elle est flicarde !
— Je ne monterai pas ! déclare-t-elle résolument.
— Si, et vite ! intime notre tagoniste en lui enfonçant le mufle d’acier de sa seringue entre les côtes.
Ma collègue panique peut-être en apercevant l’énorme membre de Bérurier, par contre, un vilain qui la braque la laisse de marbre.
Négligeant mes points de suture, j’en profite pour filer un coup de boule dans le menton du bandit.
Il s’écroule en lâchant une rafale.
Cri déchirant d’Irma.
Je veux la retenir, mais le truand choit entre elle et moi.
Le mec au volant juge la partie trop mal engagée pour ses fesses et opère un démarrage d’alezan sauvage.
La vie, c’est commak.
Tu crois que tout baigne et, en une pincée de secondes, tu es précipité dans l’horreur. Souviens-toi des Hiroshimiens, le 6 août 1945. Ils se trouvaient tranquillos en train de bouffer du riz Uncle Ben’s ou de baiser, et voilà que l’aigle américain leur pond un œuf de sa façon, les précipitant dans l’enfer ! Dieu sait qu’ils étaient charognards, les Japonouilles, mais cette bombe nous les a brusquement rendus fraternaux.
Ainsi de mégnace pâteux. Satisfait et vibrionnant dans Oxford Street, ma cage sous le bras. Un vautour noir fond sur nous et l’univers bascule.
Tout va à folle allure. J’enjambe l’assaillant, écarte son arme en shootant dedans, me penche sur Irma. Elle a morflé les bastos dans le côté droit. Sa robe est déjà trempée de sang.
— J’ai mal, balbutie-t-elle, très mal.
Puis s’évanouit.
Oh ! ce sentiment d’impuissance ! Ce désespoir glacé !
Effervescence autour de nous. Je vois une grappe de visages effarés : des Angliches, des Indiens, des Jaunes… J’entends des coups de sifflet. La rumeur de la circulation. Des autobus à impériale continuent de passer.
Je serre fort la main de ma tendre Belgette. « Amour, ne t’en va pas ! exhorté-je muettement. Ne me quitte pas ! Je t’en conjure, vis ! »
À deux mètres de la petite flique, il y a l’arme du meurtrier, avec son groin camus. Un petit mec, genre jockey à la retraite, se penche pour la ramasser.
— Don’t touch ! aboyé-je.
Il stoppe son geste.
Je décris une demi-volte pour voir où en est notre agresseur.
Dans le fion, mon pote ! Disparu !
— Où est passé le tueur ? hurlé-je-t-il.
Le gars que je suppose indien fait un geste de la main. Je me détronche pour mater : ballepeau ! Il s’est fondu dans la foule.
J’ai un élan pour me lancer à sa recherche ; à quoi bon ? Tu parles qu’il a dû mettre la surmu !
Anéanti, je glisse ma dextre dans l’échancrure corsagère de ma compagne. Je détecte de la vie, mais ça breloque et s’affaiblit.
La-dessus se pointe un drauper, puis une bagnole de poulets et enfin une ambulance.
Les bobbies s’activent sans gueuler ni gesticuler : à la britiche ! On emporte ma gentille. Un perdreau aux manches zébrées de blanc se saisit délicatement du feu en le bichant par l’extrémité de son canon et le glisse dans un sac en plastique. Exactement comme dans les films.
Les gonziers du service technique arrivent à leur tour, flashent à tout va, à tout vent.
Jusqu’alors j’ai l’air de compter pour du beurre. Personne ne m’a rien demandé. Mais d’autres chignoles radinent. Ces messieurs créent une sorte de no man’s land dans une partie de la rue, qu’ils délimitent avec un ruban rouge.
Enfin, un officier de police survenu dans une grande limousine noire sur laquelle le roi George V a appris à conduire, daigne me prendre en considération, du moins s’occupe-t-il de moi.
— Puis-je vous prier de décliner votre identité, sir ? me dit-il.
Rivalisant d’impassibilité, je dépose ma cage à oiseau sur le trottoir et produis ma brème officielle.
« Touché, coulé ! » dirait mon cher Benloulou.
Mon terlocuteur est un bonhomme en fin de carrière, au visage brique, aux crins blanchouillards et aux yeux pervenche.
— Indeed ! s’exclame-t-il.
— Tout ce qu’il y a d’ indeed , confirmé-je.
Dès lors, il se présente en bonnet difforme : « Superintendant Mac Mahon ! ». Me prie de carrosser en sa compagnie. Et nous voilà en décarrade dans la City.
— Navrante histoire, n’est-il pas ? me déclare-t-il.
— Dramatique, renchéris-je.
Ce gusman contrôle admirablement sa curiosité, comme tous les Britanniques lorsqu’ils sont anglais ; n’empêche que je suis con et for (je veux dire contraint et forcé) de lui lâcher du lest… Le fais à ma manière, racontant à ce Rosbif violi sous le kebour qu’en France nous sommes sur la trace de trafiquants de drogue très dangereux : il vient d’en avoir la preuve. Cette enquête m’a conduit en Belgiquerie (où je suis entré en contact avec la sergente Irma Van Loy) puis nous a branchés sur l’Angleterre. S’apercevant de cette filature, les crapules nous ont allumés illico-dare-dare.
— Vous auriez peut-être été bien inspirés en appelant le Yard, suggère de son ton placide le superintendant Mac Mahon.
Je lui rétorque que nous comptions le faire mais n’en avons pas eu le temps. À quoi bon zizaner ?
Et c’est la routine flicarde qui me happe. Rapport, déclaration, la lyre…
* * *
Mon réflexe est de me rendre à l’hosto. Bâtiment austère, avec encore du gothique dans sa façade. Des religieuses aussi joyeuses qu’une épidémie de peste bubonique accueillent le public derrière une longue banque sculptée de têtes de lion. Je demande après miss Van Loy, hospitalisée quelques heures plus tôt.
— À quel titre ? s’inquiète mother Gladys ?
J’estime plus ingénieux de lui présenter ma carte. Certes, elle est française, mais le mot « police » est international. La brave sœur hèle un certain Thimoty, somptueux gâteux en blouse verte (harmonisée à son teint) et lui enjoint de me piloter.
La ganache d’outre-Manche m’entraîne jusqu’aux ascenseurs datant d’Oliver Cromwell ; je m’attends à voir l’immense cage d’acier s’élever. Au lieu de, elle descend.
Nous parvenons à un long couloir peint gris foncé et cacaboudin. Le Gâtoche verdâtre me précède sur une cinquantaine de mètres linéaires, puis stoppe devant une très grande porte montée sur un rail, la fait coulisser.
À ce point de mon livre, je pige.
Tout !
Nous sommes à la morgue ! Dieu sait que je ne suis pas une mauviette, mais devant cette brutale autant qu’implacable réalité, un vertige nauséeux m’empare. Pour un peu, je tomberais à genoux et me mettrais à gerber sur le carrelage.
Héroïquement, j’accompagne mon cicérone jusqu’au bout. Le dabuche n’est pas pressé, prend même le temps de tirer de ses brailles un mouchoir vaste comme une nappe à pique-nique. Lui fait l’offrande de résidus qu’il contemple nostalgiquement avant de les empocher.
Enfin, il ouvre le compartiment numéro 8 et s’écarte.
Eh bien oui : elle est là. Chaste dans sa nudité de morte. Son flanc droit est percé de quatre trous d’un rouge quasiment noir !
Naguère, elle se donnait à moi avec passion. Qui pouvait penser que, quelques heures plus tard, elle gésirait dans cet abominable récipient de zinc, en attendant d’être la chose d’un médecin légiste ?
Je voudrais lui dire des mots d’amour, ou bien pleurer. Mais je me sens de pierre également. Aussi monolithique qu’elle.
Il va falloir apprendre la nouvelle à ses collègues ; à ses parents, surtout. Elle est partie joyeuse, pimpante dans sa jolie robe estivale. Sur la plage d’Ostende, les « chevaux de la mer, arrivaient la tête la première ».
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