Sa Majesté a dû aller se mettre en règle avec la nature.
D’un pas incertain, je gagne la porte.
Une double constatation s’impose à l’homme d’élite que tu te plais à reconnaître en moi.
La première, c’est que les formidables grolles gisent dans la pièce ; la seconde, c’est que le loquet de la lourde est tiré de l’intérieur.
Je me gratte simultanément le front et les roustons.
— Parfait, murmuré-je. Si on se met à vagabonder dans la quatrième dimension de bon matin, qu’est-ce que ce sera la nuit prochaine !
Suis-je-t-il à l’extrémité de mes surprises ?
Non, mon chéri.
Ayant ouvert la porte de la chambre, je marque un temps de stupeur en découvrant, dans la poudre dont j’ai recouvert le sol, d’énormes traces de pas. Quand je déclare « énormes », c’est « monstrueuses » que je devrais dire. Le gazier capable de chausser les croquenots qui les ont produites avoisine le 48, si ce n’est le 50 ! Vains dieux, ces nougats !
Et attends, Armand, c’est pas tout. Les empreintes en question n’arrivent pas de l’escalier, mais, au contraire, s’y dirigent, comme si leur auteur avait quitté la chambre voisine pour gagner la sortie. De quoi se la peindre et se l’encadrer avant de l’exposer au musée de l’Homme, non ?
Un aboiement familier m’arrache à mon trouble. Je reconnais l’organe de baryton noble du cher Salami. Tant pis pour les marques de pompes, je vais lui ouvrir.
Il est assis dans le bref jardinet dont il a franchi la grille.
— Votre présence me comble, mon cher, lui lancé-je en forme de bienvenue. Si vous n’aviez jamais vu d’homme en train de perdre la raison, voilà qui est fait.
Il entre, tique en découvrant ma poudre constellée de traces. Je lui fournis l’explication qu’il est en droit d’espérer. Par instants, il se frotte un œil avec le caoutchouc de sa pattoune avant droite. Je lui raconte les événements avec un maximum de sobriété car il serait superflu d’en rajouter. Il m’écoute, indéfinissable. Douterait-il de moi ?
Un bruit d’une extrême violence retentit brutalement, nous contraignant à baisser la tête. Il fait songer à l’attaque en piqué d’un avion supersonique. Tout tremble alentour, et nous avec. Puis la manifestation s’interrompt brutalement comme si l’on venait de couper un contact électrique.
Mon pote quadrijambiste ne peut retenir un bref hurlement, style « à la mort ».
— Pourtant, nous achevons le vingtième siècle après Notre Seigneur Jésus-Christ ! soupiré-je. Voyez-vous, Salami, au cours de ma carrière riche en péripéties, il m’est arrivé de côtoyer le surnaturel, mais jamais avec une telle intensité. Seul un illusionniste de classe parviendrait à recréer pareils phénomènes. Et avec le concours d’accessoires sophistiqués !
Nous visitons la demeure pour la énième fois, toujours avec la même pugnacité en ce qui me concerne.
Rien !
Qu’écris-je : RIEN !
Je termine par une exploration minutieuse de la chambre où nous dormîmes. Sa fenêtre ainsi que les volets sont hermétiquement fermés de l’intérieur, crochets bloqués. Aucun passage secret ! Nulle porte dérobée ! Pas la moindre trappe ! De quoi devenir dingue !
Mais, nom d’une tarte aux poils ! j’ai le sommeil terriblement léger : deux mouches qui s’enculent, je sursaute ! Le bruit d’un loquet, d’une clé activée, de lattes de bois geignardes, et il est illico transformé en « Chevalier Blanc », l’Antonio ! Comment mon vieux Mammouth a-t-il pu s’éveiller (oui, tiens : juste s’éveiller, lui dont le retour à l’existence ressemble à une reprise d’activité de l’Etna), se lever drapé dans ses cent quarante kilos, sortir (mais par où, bordel !) et tout refermer ? Comment se serait-il déplacé dans le vestibule sans laisser de traces ?
— Salami, imploré-je, répondez-moi franchement : vous croyez à quelque grand mystère, vous ?
Il me fixe avec je ne sais quel profond mépris puis, pour lever toute équivoque, se lèche les roustons qu’il a plantureux.
— Non ? reprends-je. Vous êtes réfractaire au fantastique ?
Le hound ne se donne pas la peine de me répondre. Il bâille, m’explique qu’il meurt de faim et tombe de fatigue.
— Allons à l’hôtel, décidé-je, vous me raconterez, chemin faisant, vos propres aventures.
Mais, dans un premier temps, le « chemin faisant » se limite à quelques mètres car, à peine la bicoque quittée, mû par j’ignore quel réflexe, je me retourne. Pourquoi ? Une pulsion, comme dit puis un ami à moi, ex-ramasseur de mégots devenu directeur de la Régie des Tabacs. Mon sub me conseille de contempler la taule de miss Astrid. Elle semble si innocente dans le matin maussade ! Tu dirais ces maisons peintes par Magritte, pavillons à prétention cossue. Qui pourrait croire que cette crèche abrite des magiqueries ? Elle est dolente dans la grisaille du jour que juillet ne parvient pas à faire vibrer. Univers sans espoir. Je comprends que ce pays ait inspiré tant de grands peintres.
Un bâillement prolongé de Salami m’arrache à ma mélanco. Il s’est assis, la bite traînant sur le trottoir. Son regard s’est davantage ovalisé.
— Vous en êtes où ? l’à-brûle-pourpoints-je.
D’un mouvement de tête, il me désigne le haut de la maison.
— Eh bien ? ne comprends-je-t-il point.
Même hochement de son museau galochard.
— Le toit ?
Négation du cador.
Le ciel ?
Soupir exaspéré.
— Alors quoi ? La cheminée ?
Il émet un cri de satisfaction.
— Donc, la cheminée, reprends-je. Qu’a-t-elle de particulier ? Grand Dieu : elle fume !
Expression comblée de mon compagnon qui signifie : « Enfin ! tu te débouches la pensarde, connard ! »
Et moi, les châsses perdues dans des volutes grises vrillant un instant le ciel de Flandres avant de disparaître :
— La cheminée fume épais, cependant le chauffage est éteint en cette saison !
Je plante là mon toutou pour retourner dans le pavillon.
Le soupir de non-résignation qu’il pousse soufflerait d’un seul coup tous les cierges de Lourdes.
La Maison du Mystère !
Commako que je devrais tituler ce book . Mais ça serait un peu trop vieillot. De notre époque, vaut mieux appeler un polar : « Ma bite dans le compotier » ou « Grimpe-la en danseuse », c’est plus sérieux.
Nouvelle incursion chez les fantômes.
On ne distingue pratiquement plus les traces de pas dans le vestibule : nous les avons brouillées, Salami et moi.
Je cherche la chaufferie. Le pavillon n’étant pas excavé, je la trouve dans un bout de local attenant à la cuisine.
Comme prévu, la chaudière est éteinte. Un ballon plus ou moins rouillé fournit l’eau chaude.
Dès lors, c’est au grenier que je me rends, sans escale. Je me repère et découvre la gaine du chauffage : elle est froide.
Tenant à « halluciner » cette anomalie (dirait le Gros, pour « élucider »), j’amène une commode détiroirée sous le vasistas, m’y juche, dépone la tabatière et me hisse sur le toit. Je ne crains pas le vertige. M’est arrivé d’emplâtrer des mastardes sans avoir la tête qui tournait !
La fumée s’exhale toujours, épaisse, mais presque inodore. Tout juste si je crois renifler des relents de soufre. Je pose la main au-dessus du conduit : pas la moindre chaleur. Réellement, cette foutue baraque est un véritable sac d’embrouilles !
Avant de quitter mon poste élevé, je regarde le panorama. Pas mal, Ostende, vue d’en haut. Je louque au pied de la maison et aperçois Salami en « conversation » avec une dame âgée. Elle le caresse, lui flatte le museau, et voilà ce cador de merde qui la suit ! Pas loin, car la vieillarde habite la villa voisine. Je moule mon mirador et dévale les étages.
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