— Qu’est-ce y branle, ton clebs ? s’inquiète Divan-le-Terrible.
— Son boulot ! réponds-je.
Peu de temps s’écoule avant la réapparition du Britiche. Il tient précieusement un objet insolite : une cage dorée contenant un oiseau mécanique au plumage coloré. Je l’avais aperçue sur une console, lors de ma première visite, et avais pensé qu’il s’agissait d’une boîte à musique ; sans doute en est-ce réellement une.
Le gazier la dépose sur le siège avant, reprend sa place au volant et décarre rapidos.
Nous le suivons de nos regards bourrés jusqu’aux cils de curiosité.
— Pas ordinaire ! apprécie l’homme de Neandertal.
— Mais intéressant ! complété-je.
Nous traversons le boulevard et pénétrons (peine-étron) à notre tour chez la belle (et mystérieuse, en fin de compte) Astrid.
Qu’à peine qu’on entre (Béru dixit), un boucan infernal retentit, comme si un attelage de trente tonnes venait de rater un virage et de défoncer la maison des Macheprot.
— La fiesta continue, bougonne mon Fidèle. C’t’fois, c’est plus important qu’à not’première visite. Qu’est-ce y peuve faire c’boucan ? Un’ nappe frénétique ? Pourtant ça r’ssemb’ pas à un bruit d’eau. Et même si, y aurait pas d’raison qu’y s’produisasse d’temps z’aot’ kif la chiasse d’eau des chiches !
Il dit d’or, l’Enorme. Il a du saindoux dans la boîte crânienne, mais celui-ci parvient à suppléer son absence d’intelligence.
— Tu connais les proprios d’c’t’ baraque foraine ?
— Elle appartient à une gonzesse que j’ai rencontrée en voyage. Une Belge de deux mètres d’altitude, chouettement portée sur le manche à burnes.
— L’y habite ?
— D’une façon sporadique.
— Tu croives que l’pavillon y sert pour des opés margoulines ?
— Non.
— Biscotte ?
— Si c’était le cas, elle n’aurait pas insisté pour que j’y vinsse, sachant que j’appartiens à la Grande Cabane !
— Mouais, gronde Taureau Fougueux, toujours duraille à convaincre. Tu penses qu’elle a des potes étranges qu’utilisent son clapier hanté pou’ des manigances plus ou moins glauques ?
— Possible.
— Mouais, tu t’mouilles pas !
— Parce que je n’ai encore aucune idée arrêtée sur cette question, vieux protozoaire.
À ce moment précis, un nouveau bruit nous fait sursauter, bien qu’il ne soit pas d’origine surnaturelle : la sonnerie du téléphone.
Au troisième appel, je décroche.
Une voix d’homme âgé, au fort accent germanique, demande :
— Stendley ?
Et Bibi mézigue de répondre dans un françouze d’une lenteur exaspérante :
— Quel numéro demandez-vous ?
Mon terlocuteur m’épelle les chiffres mentionnés sur le cadran.
— Vous faites erreur, mens-je d’un ton maussade, et je raccroche.
Quelques brefs instants passent, la sonnerie retentit derechef (comme dirait Edgard).
Je ne touche à rien.
Ça vrille à six reprises, puis le correspondant abandonne la partie, conforté dans la certitude qu’il avait auparavant composé un faux numéro.
— J’voye pas c’qu’ ça rime, ton manège, me fait l’Hippopotame. T’aurais engagé la converse, ça pouvait m’ner quéque part ; là, t’sais même pas l’blase du gazier !
J’oppose au Chieur-de-long la main fascisante du gladiateur.
— Il a demandé un certain Stendley, nom britannique. Le visiteur à la Morgan l’est ; il est clair que c’est à lui que le type espérait parler.
— Et alors ?
— J’ai relevé le numéro de sa voiture, ce qui nous permettra d’obtenir son adresse. Mais qu’as-tu, Alexandre-Benoît, tu sembles inquiet ?
— C’est rapport à mon nouveau slip. J’croive qu’ j’eusse dû l’prend’ d’un’ taille plus grande ; après la bouffe, j’ballonne, et y glisse jusqu’à mon zobinet.
Je l’assure de ma compassion et, le plantant là, j’entreprends de fouiller méthodiquement la crèche. Le conduit démoli fait désordre, surtout quand on sait ce qu’il recelait. En moi croît une question : les occupants de cette house , ainsi que ses visiteurs diurnes ou nocturnes, savent-ils quels hôtes s’y trouvaient cachés ?
L’Astrid m’y amène pour constater des phénomènes plus ou moins surnaturels. Mais voilà que mon cador déniche beaucoup mieux. Cinquante piges qu’un couple, fumé comme harengs, fait partie intégrante des murs. Qui pouvait supposer pareille chose ? Pas la grande fille, non plus que le garçon à la Morgan, nés longtemps après les faits…
Me voyant inactif et déconcerté, le seigneur à l’énorme bedaine surplombant une bitoune plus énorme encore, ronchonne :
— Si on irait s’torchonner, Antoine ? J’ commence à « flapir ».
— Rentre ! conseillé-je. Pour ma part, je compte passer la noye ici.
— Quelle idée grenue ! récrie le cosaque du beaujolais nouveau. T’espères quoi-ce ? Voir des spectres ?
— Qui sait…
— T’es complèt’ment à la masse, Sana ! Av’c leur boucan, on pourra pas fermer l’œil !
— Il m’appartient d’assumer seul mes initiatives tordues ; file à l’hôtel !
Mon féal écuyer ne veut rien entendre. Sancho Pança est farouchement décidé à partager la folie de son maître !
Nous bivouaquons dans le « dormitorio ». Je laisse le lit au Mammouth et me contente d’une bergère. Disposant toujours d’un nécessaire sophistiqué, je saupoudre le vestibule d’une espèce de poussière pareille à du poivre gris.
Me faut du temps pour m’endormir, car mes nerfs sont très sollicités, d’autant que les ronflements insoutenables du gros porc me concassent le bulbe.
Je passe par des engourdissements intermédiaires, flotte, tel un noyé du bon roi Louis XI, sur le cours nonchalant de mon sommeil, ressens de brusques accélérations du rythme cardiaque.
Un bruit surnaturel me ramène à la franche lucidité. Comme tout le monde, tu as vu des films d’épouvante axés sur le macabre. Des moments de bravoure fantomale où les gémissements des trépassés se mêlent aux rumeurs du vent ? Un truc de ce genre, je perçois. T’amènerais une môme de seize ans, vierge de partout, elle bicherait de telles chocottes qu’elle cramponnerait ton joufflu et s’époumonerait dedans pour appeler au secours.
En sueur, je me séante. Les vrombissements du Gros finissent par vacarmer seuls, le reste s’estompe. Putain de sa sœur, il y a fatalement une explication à ces phénomènes auditifs. Des années qu’ils se produisent, et ce ne sont pas toujours les mêmes ! Pour ma part, j’ai dû en percevoir trois ou quatre différents : camion, chemin de fer, avalanche, « nuit des trépassés » ! À qui pourrais-je raconter ces sornettes ? Qui donc les croirait ?
Vaille que vaille, la fatigue aidant, je replonge dans le sirop de dorme. Mais franchement, ce genre de roupillon ne me fait pas oublier les bonnes noyes campagnardes dans des maisons épargnées par les fantômes et non encombrées de cadavres à demi centenaires.
La grosse voix du flot me ressaque les étagères à mégots, tandis que des senteurs marines sollicitent mon appétit.
Je bâille une dizaine de fois consécutives, comme si j’assistais à une conférence sur la croissance économique de la république de San Marino.
— T’es toujours dans les bras de l’orfèvre, Béru ? cantonadé-je.
Pas de réponse.
J’appelle :
— Alexandrovitch, que dirais-tu d’un solide brique-faste à l’hôtel ?
La question ne provoquant aucun écho, je m’offre la verticale chère à tous les primates. Le lit voisin est vide. Il n’y subsiste que des remugles.
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