Le fabricant de remèdes allégua que cela tournerait à la bataille de palefreniers et que ces méthodes voyouses seraient indignes d’un homme de qualité. Sa Majesté objecta que c’était Dieu Soi-même qui avait mis ce type d’affrontement au point (voire aux poings). Mais le refus catégorique des bouffeurs de choucroute l’amena à proposer la lapidation. L’on amènerait de la grève une quantité de gros galets équitablement répartis. Chaque combattant, « enfermé dans un cercle » avec ses projectiles, les utiliserait jusqu’à épuisement du stock…
Bien sûr, les Teutons voulurent opposer leur veto, c’est alors que Mathias, qui n’avait encore rien dit, s’en mêla, fit valoir que le jet de pierres est une forme de combat remontant à la plus haute Antiquité, et qu’il figurait même dans la sainte Bible.
Comme il se signa en proférant ces mots, les adversaires, ébranlés, finirent par accepter.
Tous ces messieurs (les natifs de la rive droite du Rhin et ceux de sa rive gauche) louèrent la main-d’œuvre du cireur de lattes du palace pour rassembler des munitions dans un coin escarpé du littoral. Rendez-vous fut pris pour midi pile.
— J’croye qu’y faut qu’ j’fisse un brin d’toilette, rapport à une loufe dont j’ai dû craquer en louc’dé pendant la discutance et qui pourrait bien n’avoir eu un retentiss’ment dans mon bénoche.
Il ôte sa veste, son chapeau, ses pompes et se rend dans la salle de bains.
— Cette connerie de duel est grotesque, soupiré-je. Comme si nous n’avions pas plus urgent à faire que ces pantalonnades !
— Je suis tranquille pour toi, sourit l’Embrasé, car je sais ta technique au lancer de pierres ! À cinquante mètres, tu atteins une boîte de conserve ! À plus forte raison la gueule d’une tête carrée !
Je nous fais monter un petit déje confortant. La Vieillasse en concasse si ardemment que nous attaquons sans lui.
Tout à coup, des cris de trident éclatent dans la pièce voisine.
Irma surgit, nue, pathétique dans son effroi et son costume d’Ève magnifiquement taillé sur mesure.
Son triangle des Bermudes est couleur d’or jaune. Ses seins blancs, à pointes chercheuses ocrées, ressemblent, non pas à des poires, mais à un tableau de Botticelli (1444–1510), grand spécialiste des madones.
Elle se rue, hagarde, blottit son visage pathétique contre ma poitrine et éclate en sanglots que je n’hésiterais pas à t’affirmer « convulsifs » pour peu que tu me laisses lécher ta chatte !
Débouche alors l’Homme-au-Gros-Moignon. Personnage troglodyte s’il en fut, précédé de sa bitoune de quarante-cinq centimètres hors tout. La bestiole est en posture d’emplâtrage féodal et branle du chef quand il marche. Elle paraît à la fois pensive et déterminée.
— Voilions, voilions, mon p’tit cœur, tente de calmer le Phénomène, faut pas n’avoir peur d’un chibre, à vot’ âge ! Vous l’ dégustasseriez au lieu de n’enfuir comm’ de d’vant la montre du Loque Nénesse, vous comprendreriez qu’y peut deviendre un camarade de jeu pou’ vous !
Je m’emploie à rassurer ma gentille sous-officière, y parviens sans trop de mal. Après quoi, je procède aux présentations, en lui composant un slip avec ma main. Le Considérable s’écrie :
— Vous êtes flic et vous piquez un’ panique en voiliant un chibre d’honnête homme ! Mais ma p’tite puce, caisse ça s’ra l’jour ou un vrai méchant vous braqu’ra av’c un riboustin d’ pro !
Les choses rentrent dans l’ordre. Le Connétable de la Bérurerie se rapatrie dans son bénoche (le calcif étant hors d’usage, il en fait don au vide-ordures) et s’inonde de mon eau de toilette. Irma ma Douce s’attife et réapparaît, sublime, en sergente.
— Quand nous reverrons-nous ? Et nous reverrons-nous ? me chuchote-t-elle dans le couloir où je suis venu lui rouler la dernière pelle (en anglais : the last shovel ).
— Vous m’avez laissé votre numéro de téléphone privé, croyez que je m’en servirai ! promets-je, sincère jusque entre les doigts de pieds.
Je la suis du regard.
Avant de prendre l’ascenseur, elle se retourne et m’adresse un petit signe.
Chérie ! Je sens remuer ma bête du Gévaudan dans sa tanière.
Franchement, cette fille constitue un morcif de roi ! Et comment, que je vais te la passer au composteur !
Non sans une pointe de vague à l’âme dans la région thoracique, je rallie mes compagnons.
* * *
Figure-toi une crique coincée dans la partie érodée d’une falaise. À peine plus grande que l’adorable place de Furstemberg. Elle est jonchée de papiers gras et de boîtes de conserve vides, consécutifs à des agapes en plein air. Nos munitions sont en place, à l’intérieur de deux cercles distants d’une quinzaine de mètres l’un de l’autre. Les trois Allemands arrivent en même temps que nous. Compassés, cons passant, raides et sévères.
Aloïs von de Kall a cru opportun de se loquer d’un blazer noir et d’un futal gris. Chemise blanche, cravate style régate à rayures. Ses tifs blondassous-grisonneurs plaqués à la Gomina, lui font comme quand tu t’enfiles un bas de gonzesse sur la tronche.
Mathias et l’officier en retraite tirent au sort le camp des combattants. Le mauvais côté me revient : j’ai le soleil en pleine poire.
Les quatre témoins s’alignent entre nous.
Le jet du premier projectile échoit à mon adversaire.
— Quand c’est qu’vous voudrerez ! fait le Gros.
Qui ajoute :
— Surtout, gaffe à ta gueule, Tonio !
Le propriétaire de la bassette en chasse choisit un caillou de la grosseur d’une pomme, l’assure bien dans sa main tel le joueur de pétanque et me regarde.
Je lui souris. J’ai les deux mains dans mes poches.
L’homme fait aller son bras d’avant en arrière et lycée de Versailles. Moi, tranquille façon Baptiste, je me dis : « Le tout, mon Sana, c’est de procéder exactement comme au tennis : ne pas perdre le projectile des yeux ».
— Hhhan ! ! ! hurle notre allié.
Son gadin passe à dix mètres de ma personne.
— À vous, mesieur ! me fait le zigus des produits pharmaceutiques.
Je secoue négativement la tête (tu remarqueras qu’on n’écrit jamais qu’on la secoue positivement).
— Je laisse mon tour, mein Herr ! réponds-je.
Cette déclaration jette un brin de confusion dans le camp issu de Germains. Les témoins se concertent. Nos « adversaires » se posent la question de savoir si ma décision est « korrecte ».
Alexandre-Benoît gueule haut et fort à la pinaillerie. Il dit que les Français sont chevalins (pour chevaleresque) mais qu’y faudrait point trop leur briser les couilles sous prétesque qu’la mariée est trop belle. Son argument l’emporte. Aloïs est donc invité à poursuivre sa lapidation.
À l’instant où il choisit son deuxième projectile, des aboiements retentissent et un drôle d’équipage débouche dans la crique. Il se compose d’un couple de hounds pure race : la « fifille » des Allemands et mon brave Salami. Les deux se trouvent unis par les liens provisoires, mais dans l’immédiat bloqués, de la copulation.
La chienne (comblée) s’avance vers son maître en haletant de bonheur. Contraint, mon cador la suit sur ses pattes postérieures. Il tient une boule de chiffon dans sa gueule et la dépose aux pieds de mon adversaire. Cette étoffe n’est autre que la culotte de Frau von de Kall.
Le lapideur la reconnaît et blêmit.
Il éructe de ces trucs dont les « Bourbines » ont le secret et qui, pour nous Latins, semblent appartenir à la robotique.
— Vasistas ? Vasistas ? interrogent les golfeurs.
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