La grosse Doudoune au vilain jalmince ne veut pas accompagner un époux par qui le scandale est arrivé. Elle affirme qu’elle demandera le divorce ; veut absolument me soigner. Bien entendu, je refuse de convoyer la Teutonne en ses appartements.
Survenance de Béru, slipé à neuf ! Ses hauts cris quand il aperçoit le grand chef déguisé en quartier de London sinistré pendant le Blitz ! Il l’avait prévu ! Ses « prédilections » se vérifient toujours ! Il a la certitude que ma période cagateuse démarre s’l’ment. Va s’produire des « périphéries » mouvementées, il sent. La fameuse prémonience des Bérurier !
La Grosse Bertha, réalisant qu’il est mon ami, l’enveloppe de ses rets pour l’amener à sa raie.
Il me regarde, indécis.
— Va, lui dis-je, et sois heureux, assure haut et fort la réputation de notre peuple bien-aimé.
Alors, il ! Que veux-tu, la chair est faible ; la sienne surtout. N’a jamais su résister à un coup de rapière, Elephantman.
Sa presque partenaire, l’ayant jaugé d’un regard averti, il annonce avant de la suivre :
— J’t’vas lui faire « pince de crabe » : l’pouce dans la moniche, l’indesque dans l’œil d’ bronze, tout en y craquant l’clito. Si tu perçoives pas des échos d’ la manœuvre, c’est qu’elle est frigidaire !
Il disparaît. Moi, je vais bassiner mon lampion à l’eau froide. Las ! le miroir de la salle de bains me rend compte du désastre. Faut encore des points de suture.
Salami m’a suivi et, dressé contre le lavabo, observe la plaie. Il se met à gémir, m’explique que je ne peux rester en l’état. C’est pourquoi, sans plus attendre, je retourne à l’hosto de la veille. Y retrouve les mêmes gens.
— Vous êtes boxeur professionnel ? me demande l’interne.
— Pas encore : je fais des gammes.
Je ressors, pansé, mercurochromé, avec toutes les couleurs de l’arc-en-ciel sur le portrait et une pommette aussi grosse qu’un nichon de la dame von de Kall ; je me dis que l’homme est peu de chose, qu’un coup de poing fait passer de l’état d’Apollon à celui de Gorgone.
* * *
— Tu l’as entendue ? demande mon Volumineux, rouge, mais de satisfaction cette fois.
— On me recousait pendant que tu défonçais ta pécore.
— T’as tout raté, mec ! Sa goualante était si tell’ment forte, qu’la direction n’a envoilié quéqu’un voir c’qu’arrivait. Quand j’y ai déballé Misteur Braque, l’a failli évanouir ; fallait pas songer un’seconde à engager pareille bricole dans son cent’ d’accueil. Elles font toutes ça au début. J’doive les acclimater à la langoureuse : un grand bouffement intégral préalavement, n’ensuite un’ savonneuse à la Marie-en-Toilette. J’ finis toujours par driver Coquette à bon porc.
« Videmment, t’as l’moment incontournab’ où l’monstre entre en scène. Force et souplesse ! Tu doives y chuchoter des tendresses suaves, y dire qu’son gros pot d’vache va connaît’ l’estase. Que, d’accord, j’vas y craquer la bagouze, mais qu’ça s’ra bénef pour la sute. N’importe quel chibre d’âne pourra faire du tout-terrain dans sa moniche désormais. T’entrecoupes de p’tites languettes espresses, c’est surtout ta galanterie qui primordiale.
« Moive, la grosse, j’y ai fait l’coup du patriotisme : elle va pas renoncer à un’ bite qu’ toutes les Françaises raffolent, même les gamines du catéchisme. Ça veuille-t-il dire qu’un’ Allemande s’rait pas cap’ d’engouffrer un bidule que… »
À cet endroit, je me suis endormi, terrassé par une étrange fatigue. J’en ai eu quine, brusquement, de toutes ces giries et aussi de me faire tabasser la gueule par des quidams jaloux. Affronter des bandits, O.K., mon métier le veut. Mais se laisser causer des déprédations par des cornards, c’est décourageant.
Salami et Bérurier ont fini par m’imiter.
Un silence luxueux nous environnait, rythmé par la grosse rumeur des vagues. Je pensais, en demi-teinte, à ma chère Félicie, lâchement quittée pour une gonzesse qui allait m’embarquer dans une ahurissante aventure dont je ne discernais pas le moins du monde les aboutissements. Y avait juste « les chevaux de la mer, qui arrivaient la tête la première »…
Eux aussi fonçaient à l’aveuglette.
Comme moi !
Pourquoi voulais-je attendre la nuit avant de retourner dans la maison « aux deux cadavres » ? Une idée fixe, comme ça.
On s’est payé un dîner soi-soi au palace. Des huîtres plates (je m’en ferais péter la sous-ventrière) et un jarret de veau aux pâtes, presque caramélisé. Une pure splendeur ; rien de plus royal que les plats simples quand ils sont cuisinés avec art. Le Mastard, homme de traditions, s’est cru obligé d’écluser du vin blanc avec les mollusques, moi j’ai préféré un bouzy bien frappé.
Je te raconte ces détails dont t’as rien à cirer, pour te montrer que la vie, faut toujours la tenir en main, pas la laisser vagabonder à sa guise, sinon elle te nique.
C’est après le gratin de poires au vieux calva qu’on est entrés dans le sérieux.
Béru me demande, à en brûler son pourpoint, après une exhalaison étrange venue d’ailleurs :
— J’superpose qu’on va usiner, maintenant ?
— On pourrait ! admets-je.
— C’est quoive, ton projet d’croisière ?
— Retourner « là-bas », évidemment.
— Tu veuilles dire dans la crèche aux macchabées ?
Acquiescement du fin limier à la frime malmenée.
— À c’propos, on t’a dit qu’on y a esgourdé de drôles de bruits ?
— Je suis au courant, assuré-je.
— Quand ça s’est produite, j’ai cru qu’un train entrait dans la baraque ! Pourtant y a pas l’métro dans c’ patelin.
— Il s’agit d’une maison hantée.
L’Obèse hoche gravement sa hure.
— Oh ! alors… Y a pas grand-chose à espérer. À Saint-Locdu-le-Vieux, on en a une aussi. Cel’d’la mère Ravinet qui f’sait guérisseuse. La noye, ses volets battaient si fort qu’l’plâtre d’la façade partait en sucette. On avait beau les attacher, rien n’y f’sait. Et puis on entendait des cris d’ trépassé ; on prétendait qu’c’tait l’âme d’ son grand-père qui la ramenait. Le vieux s’tait pendu jadis dans l’guernier après avoir zingué son clébard d’un coup d’douze dans la tronche, biscotte y s’résoudait pas à l’quitter.
Je le laisse égrener ses souvenirs ruraux. Une grisaille de mélancolie m’enveloppe. Je me sens à merci. De quoi ? D’un mauvais coup du sort, d’un rhume, d’un dérapage de mon destin ?
Plein de boustifaille et de tristesse, je donne le signal des opérations. Nous décidons de nous rendre à pincebroque sur les lieux des multiples étrangeries ostendaises.
Le Mammouth a cessé de jacter. Il va, les mains dans les poches de son bénouze, étrennant son slip neuf avec des vents de bonne espérance.
Salami trottine, négligeant les effluves proposés à son odorat.
Les artères sont encore très animées ; c’est joyeux, la Belgique.
Nous parvenons devant la demeure de la grande Astrid et nous apprêtons à traverser le boulevard lorsque nous voyons survenir une tomobile décapotable d’origine britannouille. Le véhicule freine et stoppe pile devant la grille de la villa « Look ».
Un type d’allure plutôt jeune, vêtu d’un blouson et coiffé d’une gapette en jaillit, sans seulement ouvrir la portière.
Il tire une clé de sa fouille et pénètre dans la maison.
— Qui peut-ce-t-il être ? interroge Béru, sans grand espoir de réponse.
Je note le numéro de la plaque minéralogique, laquelle est anglaise comme le véhicule, et referme mon calepin, quand une sorte de gros projectile m’effleure : Salami vient de bondir dans la Morgan 4 places dont le moteur soubresaute encore, bien qu’on eût coupé le contact. Il se positionne à l’arrière, s’écrase sur le plancher au point de se soustraire complètement à la vue des passants, voire à celle du conducteur.
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