Une petite clé plate pour verrou de sûreté.
Je regarde le morceau d’acier étincelant. Pour qu’Elia ait cru judicieux de le cacher dans sa poudre de riz, il fallait qu’il représentât un certain intérêt. Est-ce la clé d’un coffre ? Je me mets à sonder les murs. Ensuite je soulève les tapis histoire de vérifier que le plancher ne comporte pas de petite trappe. Mais tout est terriblement normal.
J’enfouille la clé et je sors de la chambre.
Katty est dans le couloir. Elle me regarde de ses gros yeux troubles qui ressemblent à deux raisins à l’eau-de-vie. Sa bouche est déformée par un rictus.
— D’où faites-vous ? demande-t-elle d’un ton hargneux.
— Je voulais voir la chambre de la patronne, fais-je. C’est un endroit que les chauffeurs n’ont pas l’habitude de fréquenter.
Je la laisse à la traduction de cette phrase et je quitte la baraque.
La Frégate attend docilement devant le perron. Je m’installe au volant et je démarre. Mais je ne vais pas loin car je sens du mou dans la direction.
Je descends : c’est un pneu crevé à l’arrière. Je râle ferme car crever avec des pneus neufs c’est vraiment un signe du destin. Ce doit être sur la route de la grève que j’ai ramassé un clou. Ce chemin était tellement mauvais !
J’hésite à changer moi-même la roue car je tiens à l’impec de mon costard, seulement, par ailleurs, pour expliquer à un garagiste ce que j’attends de lui ça va être un vrai turbin. Courageusement je pose ma veste et l’étale sur le dossier de la banquette. Puis je vais ouvrir le coffre afin d’y puiser le matériel de secours.
Drôle de matériel en vérité.
Dans le coffre il y a bien la roue de rechange, mais il y a autre chose également, et cette autre chose n’est autre qu’un cadavre.
Il est recroquevillé d’une façon incroyable. Je le touche et je me rends compte qu’il est raide. À bien le regarder, je vois qu’il s’agit d’une femme. Mais c’est pas réalisable d’office car le colis est tout ce qu’il y a d’informe, parole !
Je l’amène un peu à moi. Je le déplace légèrement sur le côté et je réprime un geste de surprise : la morte n’est autre que Gloria, la soubrette congédiée.
Je rabaisse précipitamment le couvercle du coffre, j’essuie la sueur qui me coule du front et je reste un instant vague et flottant.
Je sais bien que dans mon métier il ne faut s’étonner de rien ou alors qu’il est préférable d’aller vendre des moules, mais tout de même, à certains moments, on en prend de furieux coups dans les carreaux.
Un mystère de plus à ajouter à ma collection déjà copieuse.
Un mort !
Une question nouvelle !
Pourquoi Elia avait-elle congédié Gloria ? Qui a tué la soubrette. Et où ? Et quand ?…
Vous voyez que la nouvelle question se démultiplie aimablement, qu’elle est à rallonge comme les pieds d’un appareil photographique ou comme une chose de cheval.
Je réfléchis un peu. Je peux répondre tout de même à certaines de ces sous-questions. On a tué Gloria sur la plage ou dans le cottage perdu, presque en même temps que la Filesco. Elle est tout à fait froide et son décès remonte à une huitaine d’heures au moins. Or, depuis la dernière fois que je l’ai vue, c’est-à-dire depuis hier matin, je n’ai pas quitté la voiture, sauf évidemment au cours de la nuit. C’est donc pendant que j’étais dans les pommes que l’on a buté la pauvre môme et qu’on l’a planquée dans le coffre de la Frégate.
Comment se trouvait-elle au cottage de la grève ? Est-ce elle la femme qui a débarqué du mystérieux bateau ?
Je rouvre le coffre afin d’examiner les chaussures de la morte. Je m’aperçois qu’elles sont pleines de sable. Donc, pas d’erreur, Gloria est la fille venue du large en compagnie d’un homme. Et cet homme a tué Elia, puis il a tué Gloria… À moins que ça ne soit le contraire…
Elia avait congédié sa femme de chambre et pourtant, elle l’attendait, cette nuit, car elle attendait ses visiteurs puisqu’elle a hissé le pavillon noir et m’a drogué…
Tout cela est vachement rocambolesque, vous ne pensez-pas ? On tombe dans le problème d’algèbre, ma parole. Or j’ai horreur de l’algèbre, moi !
Je me dis que je devrais prévenir Rowland de cette nouvelle phase de l’affaire. Mais l’idée qu’il va encore me questionner de son air trop calme, sous son ridicule chapeau de clown en vacances, me contriste. Après tout, si le pneu n’avait pas été crevé, je n’aurais pas découvert le cadavre avant un bout de temps.
Je ferme le coffre à clé puis j’abandonne la voiture, non sans avoir jeté un dernier regard au corps de la pauvre fille. Je ne sais pas de quoi elle est morte car elle n’a aucune blessure apparente, mais je me doute que ça ne doit pas pas être d’un rhume de cerveau…
En deux enjambées je regrimpe le perron. Je sonne et la grosse vachasse de Katty vient m’ouvrir.
Elle a le regard plus trouble encore que naguère. Elle est en train de se confectionner une sérieuse biture, la vioque ! Ce qu’elle ingurgite comme brandy pourrait saouler un régiment de Horse Guards…
— Quoi voulez-vous ? demande-t-elle d’une voix qui ressemble à l’accouchement d’une vache.
— Où habite Gloria ?
Elle comprend du premier coup. Son démarreur est au point.
— Pourquoi ?
— Je lui avais donné un complet à faire nettoyer, comme elle est partie sans me dire où elle l’a porté, il faut que je la retrouve…
Katty hausse les épaules.
— Chez père, fait-elle au bout d’un instant de silence. Liverpool Street ; one hundred and forty-six !
— Good !
Je m’apprête à me casser, mais le bigophone retentit. Katty, en soupirant, se dirige vers le bureau. Par une enfilade de portes, je la vois qui décroche. Elle pousse un grognement dans l’appareil et écoute son interlocuteur. Un nouveau grognement puis elle me hèle.
J’arrive et lui chope le biniou des pognes.
C’est Rowland.
— Vous êtes… le chauffeur ? demande-t-il.
— Oui…
— Comment vous sentez-vous ?
Surpris par cette sollicitude, je murmure :
— Mais… bien.
Il soupire.
— Voyez tout de même un médecin.
— Quelle idée ?
— Le laboratoire me communique son rapport au sujet du vin drogué.
— Ah ! oui.
— Il contenait un poison extrêmement violent. Je ne sais comment vous traduire le mot, il est déjà très compliqué en anglais…
Je sens la peau de mes précieuses qui se flétrit comme une laitue oubliée.
— Du poison…
— Oui… Sans doute n’en avez-vous absorbé qu’une quantité insuffisante…
— Heureusement.
— Autre chose, j’ai soumis votre verre et celui de la Filesco à notre laboratoire, il trouve deux empreintes labiales sur votre verre… Quelqu’un d’autre que vous a-t-il bu dedans ?
Je hausse les épaules.
Puis, tout à coup, ça s’illumine un peu sous mon chapiteau comme au cirque lorsque la cavalerie vient danser sur le grand air de Cavalleria rusticana .
— Oui, peut-être… Peut-être quelqu’un a-t-il bu en effet dans mon verre, cette nuit…
— En ce cas, fait Rowland, ce quelqu’un a dû être très malade.
— Je crois même qu’il est mort, dis-je. Venez jeter un coup d’œil dans le coffre de la voiture stationnée devant la porte de la maison.
Je raccroche sur ces mots et je me fais la valise. Au dernier moment, j’ai décidé d’affranchir Rowland sans plus attendre car il m’est apparu que Gloria s’était fait poivrer à la mort-aux-rats, comme mégnace. Mais elle a eu moins de chance et elle est restée au tapis pour le compte définitif…
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