Les bergères de par là ont tendance à croire que nous détenons des formules ignorées des autres peuples pour faire mettre les doigts de pied en bouquet de violettes. Le plus formide, c’est que c’est vrai.
Arrivés at home, la veuve Fritzou m’invite à dîner. Inutile de vous dire que je ne fais pas de chichis. C’est accepté d’office ! On fait gober un café au lait à la vieille déplafonnée pour se débarrasser d’elle et je la roule jusqu’à sa chambre.
Tandis que la veuve Poinetch borde Moman, je vais dans sa salle à manger me servir un grand godet de chnaps. Je suis ici en terrain conquis. La radio joue en sourdine. Il fait doux. On est bien. Si j’avais un cierge à portée de la main, comment que je le ferais brûler à mon saint patron ! Dites, ça ne tient pas du miracle, mon aventure ? Quinze secondes de plus et je me faisais démolir… Et voici que tout s’arrange merveilleusement.
Ayant dégusté mon verre, je m’approche du poste de radio et je tourne le bouton. Si jamais la bonne dame écoutait les informations, elle changerait peut-être d’attitude envers moi.
Pour plus de précaution, j’arrache trois ou quatre fils dans la carcasse du poste afin de m’assurer de sa discrétion absolue.
Puis je me carre dans un douillet fauteuil et j’attends le retour de mon hôtesse.
Celui-ci ne tarde pas. La charmante personne en a classe de la daronne siphonnée et elle aimerait se consacrer un peu à moi.
Elle a eu le temps de troquer son méchant tailleur noir contre une robe mal coupée qui la fait ressembler à une poupée de foire. D’autant plus que, pour se rendre plus sexy, elle s’est collé sur la frime trois livres et demie de fards divers. Pour lui ôter ça, maintenant, faudrait un couteau à mastic. Si je l’embrasse, je suis certain de ressembler à Œil-de-Larynx, le célèbre chef indien de la tribu des Ma Lapri.
Elle s’excuse pour la vieille moman et m’explique que la digne dame a été percutée par un bombardement au cours de la gentille dernière. Elle a chopé une bombe sur la théière une nuit qu’elle dormait au troisième étage d’un immeuble. Quand elle s’est réveillée, la vioque se trouvait au rez-de-chaussée et le reste de la cabane lui servait de couvre-pieds…
Lorsqu’elle m’a affranchi, à grands renforts de gestes et d’onomatopées, elle se met à faire la dînette. Ma conquête me semble autant douée pour la cuistance que moi pour la détection des gisements de gruyère ! Je me dis que son bonhomme a eu meilleur compte de rester sur le champ de bataille. Mieux vaut finir d’un éclat d’obus que d’un éclatement du foie.
Vous dire le nom du plat unique qu’elle me sert serait un tour de force. Je crois bien qu’il n’a jamais été baptisé. Il se compose de viande hachée, de choux à l’eau, de crème battue et de lard plus gras que les Peters Sisters. J’ai tellement faim que j’en mange.
Le repas (il n’y a pas d’autres termes pour qualifier l’exercice auquel je viens de me livrer) terminé, la môme m’entreprend pour savoir ce que je maquille dans son pays. Je noie le poiscaille en lui montant un barlu équipé par les Messageries maritimes, comme quoi je gratte dans l’aviation et patati et patata… Mes explications vaseuses finissent par lui faire croire qu’elle n’est pas sur la bonne longueur d’onde, et elle décroche.
Le meilleur moyen de faire taire une dame, c’est, croyez-moi, de l’embrasser. Elles sont en général polies et n’ignorent pas qu’on ne parle pas la bouche pleine.
Ce n’est pas que cette petite boulotte rondouillarde m’inspire ; oh non ! Mais sa gentillesse à mon endroit, et même à mon envers, me donne envie de lui revaloir ça à ma façon. Oubliant qu’elle pèse trente kilos de trop et qu’elle est pourvue d’un strabisme divergent, je fais comme si c’était Marilyn Monroe mâtinée de Martine Carol. Un sofa déplumé, mais accueillant, nous reçoit dans ses bras. J’entonne la Valse des patineurs tandis que je lui joue un air de balalaïka à la jarretelle. La petite veuve (elle se prénomme Hildegarde) se croit du coup au palais des Délices. Pour me prouver que je ne suis pas tombé sur une ignorante, elle me découvre des voluptés orientales inconnues à ce jour : le Pipe-line-enchanté, Fez-en-joie et, surtout, un numéro vraiment avantageux : la Fumée-ne-me-dérange-pas.
Pour la remercier, je lui apprends Potron-minette et un vieux truc qui n’a pratiquement plus cours à notre époque, on se demande pourquoi : la Balayeuse-municipale.
Ces politesses échangées, nous nous endormons sur son divan comme deux bons petits diables.
* * *
Je m’éveille au petit matin, avec les molt-bocks en coton hydrophile, et une gueule de bois en noyer massif ! Un jour fade entre par la fenêtre. Je bâille et, tout en ouvrant des yeux neufs sur le plafond crayeux, je me dis que ma partenaire de la veille doit être morte à cette heure ! Elle repose à mes côtés, immobile, sans vie. Mes crins se hérissent à cette pensée. Elle est morte pendant son sommeil et moi, épuisé, je n’ai pas eu la moindre conscience de son agonie !
Je crois que j’atteins le fin fond de l’horreur. Vous réalisez un peu le topo, bande de dévastés du grenier ? J’ai donné la mort (et l’amour, d’accord) à cette brave fille ; et puis j’ai ronflé à ses côtés, la laissant canner sans l’assister !
Ah ! c’est abominable !
Surtout qu’elle n’est pas ma seule victime ! La vieille noix à côté doit être scrafée itou… Et les gens que j’ai côtoyés dans les rues, hier ! Je suis un danger public ! Un fléau ! Si je suis encore un homme (et je crois l’avoir prouvé à Mme Choucroute-Garnie) il ne me reste plus qu’à me détruire moi-même pour épargner mes contemporains.
Je saute du lit. Je suis froid comme un nez de chien esquimau !
Oui, tout est fini pour moi. Je vais écrire une lettre au Vieux, un mot à Félicie et puis après… Après, j’espère qu’il y a le gaz de ville dans cet appartement !
Un bruit me fait sursauter. J’ose ce que je me refusais de faire : je file un coup de périscope dans le pageot. Et qu’est-ce que je vois ? La mère Hildegarde qui me sourit tendrement.
Je titube. Qu’est-ce que ça veut dire ? Elle est toujours en vie ? Je me précipite à son côté et je caresse son front. Pas la moindre trace de sueur, pas de fièvre. Elle respire normalement et elle paraît vachement heureuse d’être au monde et d’y voir clair.
Quoi ! Ne serais-je plus contagieux ? Enfin, j’aimerais savoir ! J’aimerais piger !
Je galope à la chambre de la vieille Zizi. Cette honorable dame dort encore. Le bruit qu’elle produit en ronflant n’est pas sans évoquer un turbot-réacteur (le poisson de l’avenir). Elle se porte bien… Vous allez me dire que lorsqu’on a chopé une bombe d’une tonne et un immeuble de six étages sur l’estom, on ne se laisse pas impressionner par des virus à la gomme, mais enfin, tout de même !
Je danse une gigue endiablée ! L’expression n’est pas de moi, mais il est plaisant d’user de clichés tout faits lorsque ceux-ci s’adaptent à une situation précise.
Je gambade dans l’appartement sous le regard angélique et fervent de ma belle de noye. Ce qu’il y a de merveilleux chez cette nana, c’est qu’elle ne cherche pas à comprendre. Je me livre aux pires excentricités avec elle, ça ne la fait pas sourciller d’un poil. C’est d’autant plus fabuleux que la plupart des bergères, vous ne l’ignorez pas, veulent toujours en savoir plus que vous n’en savez vous-même ! C’est un vice de plus chez elles !
Pas un poulet qui puisse leur faire la pige, sur le plan interrogatoire ! Les vers du nez ! c’est leur spécialité. Pour vous ponctionner les confidences elles ont des méthodes brevetées.
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