Il se dirige vers l’extérieur. Avant que nous franchissions le seuil, je l’avertis :
— Ne recommencez pas à me feinter, vous voyez que je suis prêt à tout. Vous ne soupçonnez pas les prouesses dont un homme est capable lorsqu’il se sait condamné à mort !
CHAPITRE X
Dans lequel je peux méditer sur la relativité du temps !
Nous marchons d’un pas égal dans l’allée centrale ; celle qui conduit au pavillon où j’ai déposé ma première cartouche d’ex-plosif.
La lune projette sur le ciment nos deux ombres inégales. Je redoute de voir surgir un garde. Évidemment je suis décidé à l’assaisonner, le cas échéant, mais un espoir tellement insensé m’habite que je redoute une anicroche de la dernière seconde…
Je veux vivre ! Vivre ! Dominer le sort, vaincre ce néant qui s’infiltre en moi comme l’eau d’un fleuve en crue s’infiltre dans les maisons.
Nous atteignons la porte du second pavillon. L’homme aux cheveux blancs sort une clé de sa poche et ouvre. Il donne la lumière.
Nous sommes dans une salle entièrement carrelée de faïence blanche. Entièrement nue aussi. Il la traverse et ouvre une seconde porte… Là est le principal labo. Je ne vous le décris pas car je suis effaré par les instruments qui s’y trouvent. Un vrai cauchemar d’anticipation !
Le professeur se dirige vers un coffre scellé dans le mur du fond et sur lequel on a peint une croix rouge sur un disque blanc. Cet emblème veut dire guérison ! Il est beau, noble ! Jamais je ne l’avais remarqué avant cet instant.
— Grouillez-vous ! grogné-je.
Le tic-tac de ma montre me vrille le poignet.
Vite ! Vite ! Plus que douze minutes !
La porte du coffre est à système. Mon mentor l’actionne. Je vois alors de petits casiers garnis d’ampoules… Il en prend une dans celui du bas et cueille une sorte de minuscule lancette dans un tiroir.
Je suis à ce point angoissé que je n’ai plus la force de parler. Je suis à sa merci, maintenant. Il peut très bien me faire une piqûre de n’importe quoi en prétendant que c’est la bonne came !
Heureusement, ces gens-là n’ont pas le sens du « carottage ».
— Prêt ? me demande-t-il.
Je serre les dents et mon âme élève une ardente prière vers le ciel : « Vous, là-haut, pas de blague… Compulsez vos registres, vous verrez que le gars San-Antonio y figure… Ne barrez pas ! »
— Soulevez votre manche !
J’obéis, sans lâcher ni ma grenade ni mon revolver.
Il fait sauter les extrémités de l’ampoule, maintient le liquide avec un doigt et me fait une entaille très large à l’avant-bras…
Il arrose la plaie avec le contenu de l’ampoule.
— Voilà, dit-il.
Je lui chope le bras et je retrousse sa propre manche. J’aperçois une cicatrice qui me rassure : il n’a pas bluffé.
— Parfait, maintenant il m’en faut une autre.
Il n’est pas chaud pour laisser sortir de l’établissement un échantillon de ses découvertes. Il fait une moue dubitative.
— Cela suffit, monsieur… Contentez-vous d’avoir la vie sauve ; on doit savoir modérer ses désirs, dans la vie !
Au lieu de lui répondre, je jette un nouveau regard à ma breloque. Plus que huit minutes, à moins que ma charge d’explosif soit mal réglée, ce dont je doute fortement. Dans huit minutes, le labo va éternuer fortement et ça sera le grand sauve-qui-peut chez messieurs les virus.
— Ça va, dis-je, je n’insiste pas. En somme, j’ai l’essentiel en ce qui me concerne.
— Déposez cette grenade sur cette table ! ordonne le Herr Machin !
— Mais comment donc !
Il darde sur moi ses petits yeux incroyablement bleus. Des yeux d’enfant sage !
Je dépose la poire de métal à l’endroit désigné. La volonté de cet homme est telle que c’est lui, l’homme désarmé, qui donne des ordres à l’autre !
Il paraît un peu soulagé. Je me retourne et lui souris.
J’amorce un mouvement destiné à lui faire croire que je décarre, mais je décris une soudaine volte-face et je lui file un terrible coup de tranchant à la glotte. Méthode japonaise, les gars. Plusieurs siècles d’expérience ! C’est mon petit mikado de Pâques.
Le digne et glacé docteur Baisemakrup émet un râle qui n’est pas sans évoquer l’écoulement d’un évier. Il titube, cherche à se cramponner, mais il dit good night à la compagnie et se grouille d’aller déposer une plinthe au parquet !
Visiblement, il en aura pour plus de huit broquilles à reprendre ses esprits, c’est dire qu’il ne les reprendra jamais. Pourtant, comme je suis un mec consciencieux, je lui balance un coup de tatane dans le bocal pour l’anesthésier complètement. Ensuite je saute sur le coffre mural et je pique une ampoule dans le casier où il a crevé la mienne. Une brève hésitation, et j’en chope d’autres qui ne sont pas pareilles. Je les mets dans une boîte en bois à glissière qui se trouve à proximité et dont le capitonnage intérieur me fait penser qu’elle est réservée à cet usage. Ainsi lesté, je bondis au-dehors, non sans avoir récupéré ma grenade…
Me voici dans l’allée principale. Dans cinq minutes le truc va avoir le hoquet. Faut les mettre, les potes ! Les mettre en vitesse. Maintenant que je suis immunisé, ça me ferait mal aux seins de dérouiller un paveton sur la coiffe, ou bien de retrouver des parties de moi-même sur le peuplier d’en face !
Je gamberge sec. Si je m’annonce comme un brave, à la grille, avec mon seul pétard, pour intimider les pieds nickelés qui la gardent, j’ai autant de chances de sortir que le chanoine Kir en a de gagner le prochain Tour de France cycliste ! Je dois ruser, et ruser vite. Allons, pas d’affolement, San-Antonio. Cinq minutes, c’est court pour un gars qui a un rendez-vous d’affaires, mais c’est long pour le type qui n’a plus que ce délai pour sauver sa peau…
Du calme ! Pense doucement… Mords bien la situation pour l’avoir dans la rétine.
Ça y est. J’ai une idée…
J’arme l’une de mes grenades et, dans un formidable élan, je la balance par-dessus le bâtiment.
Elle va éclater de l’autre côté, entre le pavillon que je viens de quitter et le mur d’enceinte. Ça fait un baroud terrific. Pourvu que cette déflagration ne précipite pas le mouvement de mes deux autres cartouches ! J’ai le cœur qui se ratatine. Il devient plat et sec comme un porte-monnaie d’Écossais.
Gros chahut vers le poste. Et ça gueule, ça, madame ! Des bruits de bottes comme dans Les Carabiniers d’Offenbach ! Je vois passer une escouade de gardes qui foncent vers le lieu de l’explosion.
Je trotte alors jusqu’au bout de l’allée et j’arrive à la cour en forme de demi-cercle où s’élève le poste de garde.
Pas la peine de biaiser. J’y vais carrément. Les deux hommes qui sont demeurés là se tiennent devant la porte, les mains aux hanches, essayant de voir ce qui se passe en discutant ferme.
Je leur arrive droit dessus. Ils ont un mouvement pour dégainer leur appareil à éternuer du plomb ; mais plus rapidos, je file mon pied dans le bide de l’un, et la crosse de mon eurêka dans la ganache de l’autre. Vous verriez faire ça au ciné, vous diriez que c’est du trucage. Eux ne sont pas de cet avis. Ils s’écroulent, chacun de son côté, l’un en se cramponnant le bide, l’autre en ne pensant plus à rien…
Je leur administre des vaches de coups de latte, au petit malheur. En les voyant « out », je cours à la grande porte de fer. La clé est sur la serrure ; naturellement, cette bâtisse n’est pas une prison, le danger ne peut venir que de l’extérieur. Je tire le portail qui grince… Je fonce sur le chemin qui s’offre à moi… Maintenant ça va péter d’une seconde à l’autre… Il s’agit de faire le grand forcing. Tout mon être est contracté par l’appréhension. Chose curieuse, c’est maintenant que je suis hors du laboratoire que j’ai vraiment les chocotes.
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