— Tu es fou, et si tu te faisais piquer ?
— Alors je serais bien vengé… Tu te rends compte ? Je demanderais à parler à des huiles… Et naturellement je ne leur parlerais pas de mon mal !
Il est surexcité. Ses yeux ont un éclat fiévreux… Je comprends qu’il se tape une température de canasson. Oui, il vaut mieux l’évacuer de par ici… Si sa fièvre montait et qu’il délire, il pourrait faire un tour de ballot !
— Ça va, allons-y, tu m’expliqueras en cours de route comment se présentent les locaux…
Pendant qu’il se remet debout, je vais rejoindre ma conquête à l’étable. Elle est en train de traire son ruminant pour se faire la main. Je l’embrasse et lui affirme que je vais revenir ; seulement je dois évacuer mon blessé… Cette gosseline est plus crédule qu’un nouveau-né. Elle acquiesce docilement. Elle doit croire que je vais l’emmener avec moi quand je partirai et elle se voit déjà installée à Bruxelles, en train de brader des Manneken-Pis miniatures aux touristes.
Je suis à quinze pas mon pauvre Larieux. Depuis qu’il s’est fait ficeler la guitare, il se meut avec plus d’aisance.
Ses deux béquilles l’aident puissamment. La fièvre lui donne des ailes…
Nous marchons au clair de lune à travers les prés et passons au bas de la hauteur où se dressent les ruines d’une tour.
Larieux s’arrête au bout d’un instant et me désigne le ruban blanc d’une route.
— C’est le chemin du laboratoire… Tu vois les lumières du poste de garde dont je t’ai parlé ?
— Je les distingue en effet, près d’un bouquet d’arbres…
— Piquons par les marais…
— On va enfoncer !
— Penses-tu… Il ne s’agit que de contourner le poste, ensuite tu rejoindras la route et je t’attendrai…
Il n’y a pas à protester…
— Utilisons nos talkies-walkies maintenant, de nuit la voix porte…
Nous nous arrêtons pour sortir nos antennes et aussi pour respirer un chouïa.
— Allô, tu m’entends ?
— Oui.
— Bon. Tu m’as dit que les bâtiments étaient entourés de murs munis d’une barrière électrifiée ; et la porte, comment se présente-t-elle ?
— C’est un grand portail de fer… Un second poste de garde se trouve tout de suite derrière.
— Beaucoup de trèpe ?
— Autant que j’aie pu en juger, il doit y avoir une dizaine d’hommes en tout !
— Pas plus ?
— Pour quoi fiche ? Tout est électrifié… Les portes sont munies de signaux d’alerte, les fenêtres itou.
— De sorte que si on essaie de dégonfler un carreau, y a des sirènes qui crient papa ?
— Oui.
— Comment ça s’est passé pour toi ?
— Le jour, les signaux sont débranchés.
— Vu. J’aurais donc un intérêt à agir de jour ?
— Dans un sens, oui. Mais il aurait fallu que tu parles allemand, que tu aies un uniforme, un laissez-passer…
— Donc n’y pensons plus…
Je me perds dans un abîme de réflexions.
— Les savants habitent dans l’enceinte ?
— Oui, en retrait, ils ont un pavillon… C’est une maison moderne peinte en blanc avec des volets à chevrons.
— Et le laboratoire où tu as piqué l’ampoule, où est-il par rapport à l’entrée ?
Il réfléchit.
— En face du portail, il y a une allée principale… Suis-la, c’est le deuxième pavillon à gauche. La salle aux ampoules est la deuxième à gauche également dans le pavillon !
— Facile à retenir…
— À retenir, oui, mais pas facile d’y entrer, San-Antonio…
— Bon, je verrai… On continue ?
— Allons !
— T’es pas forcé d’aller plus loin, tu sais. Je suis certain que nos appareils peuvent se capter à cette distance-là…
— Non, j’ai dit que j’irai jusqu’au marais…
— C’est de la folie. Tu ne vois pas qu’après on soit obligés de déhotter en vitesse ? Comment tu ferais avec ta canne ?
Il se rend à mes raisons…
— Bon. Alors je vais t’attendre là ! Mais prends garde, San-Antonio !
— Je prendrai garde !
CHAPITRE VIII
Dans lequel je me prouve que l’amour de mon prochain
passe avant celui de San-Antonio !
Il s’assied au pied d’un arbre. Cette simple opération lui prend un temps infini. Il est visiblement à bout. Ce n’est plus qu’une ombre humaine ; une espèce de fantôme qui s’accroche à une apparence d’homme… Le bout du rouleau ! Cette expression traduit parfaitement l’état dans lequel se trouve Larieux… Son calvaire est effroyable. S’il n’était pas animé d’une ténacité hors calibre, il y a longtemps qu’il aurait fait camarade avec la mort !
Je surmonte comme je peux mon émotion.
Une fois qu’il est acagnardé à son arbre, je fais un geste.
— Sois sage, je serai de retour avant le jour avec ta potion calmante… Tu le reverras Paname, vieille noix.
Fini de jacter. Je descends mon antenne. J’ai grande envie de mouler mon talkie-walkie qui va m’encombrer, mais je décide de le conserver au moins jusqu’aux murs du labo, ne serait-ce que pour prodiguer des paroles réconfortantes à Larieux…
Les mains aux poches, je fonce en direction du marais… De temps à autre je me retourne pour faire un signe à mon camarade, mais c’est à peine si je distingue sa masse accroupie. Me voit-il seulement ?
Je suis à près d’une borne de son arbre, lorsque je l’entends crier. Que lui arrive-t-il encore ? C’est marrant, mais je ne le quittais pas de bon cœur. Quelque chose me disait qu’un nouveau danger le menaçait !
Je fais demi-tour et je reviens vers lui en courant. À mesure que je me rapproche, je comprends ce qui se passe. C’est un chien qui lui est dessus maintenant. Un salaud de gaille du genre berger allemand, bien entendu, et qui doit patrouiller pour le compte des gars du poste. Il a reniflé Larieux et il est en train de lui faire sa fête ! Ce roquet de malheur ne jappe pas… Il gronde avec acharnement et se fout en renaud après mon ami parce que celui-ci ne veut pas se laisser croquer… Mon premier mouvement est de lui tirer une bastos, mais je me retiens à temps. Si je le flingue, le bruit de la détonation ameutera les archers et tout sera foutu, y compris nous !
Je pense à mon couteau. Nouveau hic : impossible d’approcher… Je n’ai jamais lancé le couteau à l’instar des Kid Rafal et autres tordus habillés en cow-boy… Je sors mon ya et le chope par la lame, ainsi que je l’ai vu faire dans les super westerns d’Hollywood. Je le lance. C’est le manche qui frappe le chien. Il a un cri bref et continue de s’acharner sur Larieux.
Que faire ? C’est tout de même tocasson de laisser déchiqueter un homme sous ses yeux.
Alors ça se fait sans que j’aie à le vouloir. Une force irrésistible me pousse en avant. Oubliant toute prudence, abolissant mon rigoureux système de protection, je m’élance vers mon camarade. Il m’aperçoit et, repoussant un nouvel assaut du gaille, il me crie :
— Non, San-Antonio ! Non ! N’avance pas tu choperais la mort ! Arrête ! Arrête, nom de Dieu !
Je n’ai cure de ses paroles. Me voilà contre lui . Je cramponne le chien par son collier, heureusement il en a un. Un collier métallique souple. Je tords la chaînette d’acier et je tire le chien en arrière. Il se débat. Je suis aveuglé par la rage. Je sais que c’est ma vie que je viens de perdre et je tiens à la faire payer chérot à ce sale quadrupède ! Il a beau se tordre, se démener, je me sens armé d’une force implacable. Ma rage froide balaie toute faiblesse de mon être. Je tords le collier, toujours, augmentant ma pression sans effort… Bientôt le chien s’arrête de bouger… Je maintiens mon étreinte près de cinq minutes au moins. Quand je retire ma main, mes doigts sont comme soudés ensemble et le chien est mort !
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