— Continuez, Maria.
— Une fois en possession de la pierre qui est absolument remarquable, nous nous sommes crus tirés d’affaire. Mais il est malaisé de vendre une pierre pareille. Les joailliers sont gens méfiants qui posent trop de questions indiscrètes.
« Nos démarches furent longues et incertaines. Nous tenions à la discrétion, comprenez-vous ?
Elle tète goulûment sa cigarette comme si elle tenait absolument à enfumer l’intérieur de la Mercédès.
— Allez-y, je vous écoute.
— Je pense qu’elles nous firent repérer, malgré les précautions que nous prîmes. Toujours est-il que la semaine dernière, James Hadley reçut la visite de Brasseton.
— Bigre !
— C’était James qui détenait le diamant. Brasseton paraissait au courant de beaucoup de choses. Il menaça mon amant des pires calamités si celui-ci ne lui restituait pas son bien.
— Alors ?
— Alors James eut peur pour moi et il rendit le diamant.
— Fin du second épisode, fais-je, c’est plus passionnant qu’un film sur le torticolis de la girafe à travers les siècles, continuez…
— Lorsque James m’apprit qu’il avait cédé, j’ai cru devenir folle. Nous avions trouvé un acheteur pour la pierre. Il nous en proposait une somme astronomique et voilà que tout s’écroulait. J’ai décidé que nous repartirions à la conquête de cette gemme qui nous avait déjà coûté tant de tracas et d’argent.
— C’est alors que vous avez tué Brasseton ?
Elle se crispe et ôte lentement sa cigarette de sa bouche. Puis elle me détronche avec une application bizarre.
— Que racontez-vous là ?
— Je raconte que Jean Brasseton est décédé à son domicile parisien d’un coup de hallebarde dans le buffet, ma chérie, c’est même à cause de cela que je suis ici.
Maria secoue la tête.
— Mais, James m’a dit qu’il s’était renseigné et que Brasseton était retourné au Congo. Il prétendait même l’avoir vu à l’aéroport…
— C’est que James vous a berlurée, ma choute. Mais poursuivez, c’est trop captivant.
— Nous sommes revenus ici. Nous nous sommes renseignés pour savoir où était Brasseton, James a appris qu’il était à Stanley-ville.
Vous ne trouvez pas, vous autres, les décoiffés du bulbe, que le Hadley se comportait bizarrement avec sa souris polak ? Moi si. Elle continue pourtant.
— Nous avions décidé d’agir ce soir, mais vous êtes intervenu et j’ai pris peur.
— Au Guest House, vous avez dit à James d’aller fouiller ma chambre ?
— Oui.
— Et il vous a téléphoné pour vous annoncer que je n’étais pas franco.
— Il m’a dit que vous étiez un flic. Il a trouvé dans vos bagages des papiers de police.
— C’est ce qu’il vous a dit ?
— Oui.
— Alors il vous a menti. Les papiers de police je les avais sur moi. Ce qu’il a trouvé dans ma chambre, c’étaient de fausses pièces d’identité que j’avais prélevées sur le cadavre de Brasseton. Avez-vous entendu parler d’un dénommé Hans Sufler, Maria ?
Elle blêmit.
— Je crois que c’était…
— Oui ?
— Les faux papiers que James s’était fait fabriquer pour partir au Brésil. Il voulait faire peau neuve…
— La preuve qu’il vous menait en bateau est donc faite. Il n’a pas rendu le diamant à Brasseton et a tué ce dernier. Pour retarder les recherches, il lui a pris ses papiers et a mis à leur place les faux qu’il se destinait. De cette façon, la police, lorsqu’elle trouverait le cadavre, partirait sur une fausse piste et il faudrait du temps pour découvrir la vérité. Pas mal…
— Mais pourquoi m’a-t-il menti ?
— Je vais vous le dire, ma gosse : il voulait bien refaire sa vie, mais sans vous.
— Alors pourquoi est-il revenu au Congo avec moi ?
— L’Afrique est juste en face de l’Amérique du Sud.
Elle jette sa cigarette à demi consumée.
— Ce n’est pas possible !
— Un combinard, votre Roméo, Juliette. Il avait son plan, croyez-moi. Alors ce soir vous êtes retournés chez Brasseton.
Elle acquiesce et se masque le visage.
— C’a été affreux.
— Comment êtes-vous entrés ? Il y a le guépard.
— Il était enfermé lorsque nous sommes arrivés. Le domestique nous a ouvert. James avait un revolver… Il a…
— Il l’a fait monter dans sa chambre et l’a abattu ?
— Oui. Sans explication. Je criais, je ne voulais pas, mais il paraissait hors de lui. Et cette vieille folle qui jouait du piano pendant ce temps…
— Après ?
— Nous sommes descendus à la cave pour chercher le diamant, car c’était là que Brasseton l’avait caché la première fois…
— Et puis ?
Elle pousse un petit cri et des larmes se mettent à ruisseler sur son visage.
— J’ai compris.
— Il voulait vous y liquider, n’est-ce pas ?
— Il avait des yeux bizarres et m’avait fait passer devant…
— Alors ?
— Oui, maintenant je sais, vous avez raison, il avait son plan, il ne m’aimait plus…
Je la laisse pleurer, sachant combien ça soulage.
— Mais avant qu’il ne vous abatte, la vieille qui l’avait reconnu est arrivée avec une barre de fer et l’a tué ?
— Oui.
Comme c’est étrange, cette justice immanente. Un boomerang est venu frapper celui qui l’avait lancé. Ça me rappelle l’histoire de mon copain François Richard : « En Australie, un monsieur est devenu dingue parce qu’on lui avait offert un boomerang neuf et qu’il essayait de se débarrasser du vieux ! »
— Qu’avez-vous fait alors ?
— J’ai hurlé, j’étais folle de terreur. La vieille m’a poursuivie, puis, comprenant qu’elle ne me rattraperait pas, elle a ouvert la cage du guépard. C’était infernal. Si nous n’avions pas laissé la porte entrouverte en entrant, le fauve m’aurait rattrapée, je suis arrivée de justesse et j’ai juste eu le temps de tirer la porte.
Un long silence. J’allume deux cigarettes comme fait M. Gary Grant à l’écran, et j’en glisse une entre les lèvres décolorées de Maria.
— Merci, balbutie-t-elle.
— Comment se fait-il que James n’ait eu aucune pièce d’identité sur lui ?
— Il les avait laissées à l’hôtel.
Un gars organisé. Il ne voulait pas risquer de laisser traîner des indices.
— Et son revolver ? Il avait disparu lorsque je suis arrivé sur les lieux, quelques heures plus tard.
— La vieille folle a dû le prendre et le cacher.
Ça me paraît vraisemblable en effet. M’est avis qu’elle m’a tout vendu, non ? Il ne reste plus qu’à fermer pour cause d’inventaire.
— Très bien, dis-je. J’écraserai le coup en ce qui vous concerne, Maria. Et je laisserai la police d’ici se dépatouiller avec ces morts, mais à une condition.
— Laquelle ?
— Il faut que je récupère mes amis.
Elle secoue la tête.
— Comment voulez-vous ? C’est impossible.
— Non. Il faut aller vers les Noirs qui vous ont aidée et nous faire conduire jusqu’à la tribu à laquelle mes hommes furent livrés…
— Nous y arriverions trop tard.
— Peu importe. Je le ferai. Je les retrouverai morts ou vivants, mais je les retrouverai.
Ma foi, ma détermination, mon feu la gagnent.
— Vous avez raison, venez !
Une aube majestueuse, couleur de framboise écrasée, de confiture de groseille, d’épinard au naturel, de carotte râpée et de films français en couleurs s’étend sur l’Afrique Congolaise, comme de la pâte à crêpe sur une plaque chauffante [15] Si vous trouvez certaines de mes métaphores trop fortes pour votre inintelligence, dédoublez-les avec de l’eau.
.
Читать дальше