Des ondes concentriques se dégagent de ma coiffe. Brusquement je chope mon portefeuille et fébrilement je l’explore. Ce que je cherche s’y trouve bien : le mot découvert dans la basque d’habit de Bérurier et qui est en fait à l’origine de tout ce mic-mac. Je le place à côté de l’autre billet et je pousse un vagissement qui devrait exprimer simultanément : la stupeur, le triomphe, la joie et la volupté. Comprenez bien, bande de navets creux, oïez, pigez, entendez : c’est la même écriture ! Vous esgourdez ? La personne qui a passé le mot à Hans Sufler, c’est ce mystérieux Van Danléwal. J’avais cette preuve sur moi et je continuais à me cogner le bol contre les murs ! Pauvre locdu !
Je compose prestement le numéro du Consulat. Une voix de femme me répond au bout d’un certain temps. Je lui dis que je veux entretenir le consul pour une affaire de la plus haute importance. Mais c’est le genre de formule qui n’a plus l’air d’épater personne ici.
— M. le Consul donne une réception, dit-elle, et il ne peut pas venir au téléphone.
— Allez lui dire que c’est le commissaire San-Antonio des services spéciaux qui le demande, et faites vite !
J’ai dû trouver le ton adéquat, ou alors, c’est ma qualité qui l’impressionne :
— Ne quittez pas, je vais m’informer.
— C’est ça, ma poule, murmuré-je, après avoir obstrué l’émetteur avec la main, va t’informer et fais-toi cuire deux œufs…
En attendant la venue du premier consul, j’inspecte la bibliothèque, l’appareil téléphonique d’une main, le combiné de l’autre. Elle est meublée avec goût et opulence comme le reste de la maison (la cave par exemple !). Brasseton a une collection de sulfures-porte-perruques extraordinaires. Les livres rares abondent dans sa bibliothèque. Je tombe en arrêt devant une photographie posée sur l’avancée d’un rayon de bibliothèque et j’ai un haut-le-corps. Décidément je vais de surprises en surprises : mordez plutôt. La photo représente un homme costaud, vêtu de manière coloniale. Une dédicace est tracée au bas de l’épreuve : Pour ma chère maman, son Jean. Or, l’homme de la photo n’est autre que feu Hans Sufler, mort d’un coup de hallebarde, à la fleur de l’âge.
Tout autre que moi-même, autrement dit mézigue, en aurait la glande à curiosité hypertrophiée. San-A., lui, ne se démonte pas. Ce n’est pas un Meccano. Il se dit tout bêtement que l’affaire est encore plus compliquée qu’il ne le supposait. L’homme mort villa Dupont était le propriétaire de la maison : Jean Brasseton. Il avait pour des raisons qu’on ne peut encore qu’imaginer, pris une fausse identité.
— Allô ! fait la voix du consul.
Je rapproche le combiné de ma bouche et de mon éventail à libellule puisque effectivement il est combiné pour que soit synchrone cette double opération.
— Je m’excuse, monsieur le consul, il vient de se produire du nouveau. M Van Danléwal qui m’a écrit un mot de recommandation pour la police est-il encore chez vous ?
— Naturellement, riposte le consul. Ici les réceptions ne finissent qu’au matin.
— Il est indispensable que je lui parle ; je vais donc retourner au consulat. Mais je vous serais reconnaissant de ne pas l’avertir de ma visite.
Pas emballé du tout, du tout, le diplomate ! Je le soupçonne de ne pas aimer le poulet.
— Monsieur le commissaire, me dit-il sèchement, ma position à E-ville est très délicate, comme celle de tous les diplomates étrangers, et je ne puis me permettre de participer à des enquêtes extra-policières. Nous ne sommes pas en France, et sans vouloir discuter de la légalité de votre mission…
Je l’interromps, vite fait sur le gaz.
— Votre esprit coopératif sera connu en haut lieu, tranché-je.
— Mais…
— Je vous demande simplement de me faire appeler Van Danléwal au téléphone, sans lui dire qui je suis.
— Mon cher commissaire, je voudrais que vous sachiez…
— Je sais. Et comme je suis pressé il est superflu de me faire un dessin téléphoné, j’attends.
— Soit, tranche ce digne homme. Je vous l’envoie.
Il s’éclipse. Je me reprends à mater le portrait de Jean Brasseton. Ce cliché a été tiré voici une dizaine d’années au moins, mais il est très ressemblant et je suis absolument certain de ne pas me gourer. Le gars qui pourrait me fournir la notice explicative de tout ce mic-mac serait accueilli par l’harmonie municipale et aurait droit à ma considération, plus à un tarif de réduction sur les chemins de fer.
— Oui, j’écoute ?
La voix qui intervient est basse, ferme. On sent percer un rien de curiosité dans le ton.
— Monsieur Van Danléwal ?
— Soi-même.
Un très léger accent belge.
Je me lance dans l’arène :
— Je suis un ami de Brasseton.
— Ah, bon ?
— Je ne sais pas si vous êtes au courant de ce qui s’est passé la semaine dernière pendant votre séjour à Paris ?
Son silence est crispé. On devine l’homme sur ses gardes.
— Allô ? fais-je, manière de donner une relance à l’entretien.
J’ai alors l’idée du siècle. Si je fixe rancard à cet homme dans un endroit neutre, il se méfiera.
— Je suis chez Jean, actuellement, il faudrait que vous veniez m’y rejoindre…
— Jean est avec vous ?
Je jette un furtif regard à l’image du colonial.
— Justement, Jean est mort !
— Quoi !
Je ne pense pas qu’il me berlure. L’exclamation est trop spontanée, trop véhémente.
— C’est pourquoi je vous appelle. Venez vite, il faut que nous examinions la situation.
— Très bien, j’arrive.
Il va raccrocher, mais il demande encore :
— Le guépard ?
— Je l’ai enfermé.
— À tout de suite.
Il raccroche et bibi aussi. Comme j’achève ce geste, je perçois un léger frôlement dans mon dos. Au moment où je me retourne, quelque chose siffle. Avant d’achever ma volte-face je fais un saut de côté, d’instinct. Et je prends sur l’épaule gauche un gnon terrible. Je regarde : la vieille cinglée est là, armée d’une barre de fer beaucoup plus conséquente qu’un bâton de sucre d’orge.
Son visage est révulsé par une noire fureur. Elle a les yeux qui lui pendent sur les joues, les chailles crochetées, la mâchoire tordue. Si je n’avais pas exécuté ce pas de danse je serai mort à l’heure qu’il est. Comme est mort James Hadley. Car maintenant il n’y a plus de doute : c’est la vioque qui se l’est fait. La voilà qui redresse la barre de fer pour essayer de m’assaisonner.
Malgré mon épaule endolorie (je ne sens plus mon bras gauche) je lui bondis dessus. La mêlée est confuse, la lutte ardente et noire. Cette sexagénaire est douée d’une force peu commune. Elle écume littéralement. J’ai toutes les peines du monde à lui arracher sa baguette magique.
J’y parviens tout de même et je balance la vieille dame dans un fauteuil profond.
— Ça vous prend souvent d’administrer des somnifères pareils, madame Brasseton ?
J’assiste alors à un phénomène étrange. Ce visage convulsé s’apaise ; ce masque de la fureur, cette statue de la haine deviennent peu à peu calmes et doux.
— Pourquoi vouliez-vous me faire du mal, madame Brasseton ?
Elle me sourit aimablement.
— Parce que je croyais que vous veniez voler le diamant de Jeannot, me dit-elle.
— Quel diamant ?
— Le diamant, vous savez bien…
— Non, je ne sais pas.
Elle chevrote un rire incrédule, puis tout de go, murmure :
— Vous prendrez bien quelque chose ?
— Merci, j’ai failli prendre et ça me suffit. Dites, madame Brasseton, si vous alliez au dodo ?
Читать дальше