Bien parlé, non ? Écoutez, les mecs, quand vous aurez besoin de quelqu’un pour préparer vos discours à l’occasion d’un mariage ou d’un enterrement ; pour torcher une lettre de rupture à votre maîtresse, ou une déclaration à la jeune fille qui vient accorder le piano ; pour remplir vos feuilles d’impôt ou vos devoirs conjugaux, pensez à moi. Je travaille à forfait.
Est-ce une impression fallacieuse ? Il me semble que mon interlocuteur a perdu de son assurance. C’est le moment de lui porter le coup décisif.
— Dites, cher ami, vous reconnaissez ceci, je suppose ?
Je lui montre le morceau de menu au dos duquel il écrivit ces fameuses lignes qui déclenchèrent le pataquès.
Il a un geste inattendu : il prend de grosses lunettes cerclées d’écaille, des lunettes Achard et regarde le papelard à distance.
— C’est votre écriture. Ça n’a l’air de rien, mais ça peut vous emmener beaucoup plus loin que vous ne le supposez…
Un silence. Il est nécessaire. Tout est question de dosage dans la vie, les marchands de vin en gros vous le diront.
— Ce billet a été trouvé en possession de Jean Brasseton, déclaré-je. Comme j’enquête sur sa mort, automatiquement vous êtes mêlé à l’affaire…
Nouveau silence. Je tète mon cigare. Après la police, le barreau [14] Le jeu de mot est très mauvais, mais intentionnel. Il est destiné à vous montrer combien sont bons les bons.
!
Il ôte ses lunettes, en écarte et en referme les branches comme une dame du trottoir ouvre et ferme les jambes. Puis il les remise dans la poche supérieure de son smok et demande abruptement :
— Alors ?
— Monsieur Van Danléwal, je vous fais remarquer un détail qui a son importance : je me trouve ici à titre officieux. Je puis donc me comporter d’une façon… officieuse ; prendre certaines initiatives que ne pourrait se permettre un policier en exercice dans son pays.
Il frappe l’accoudoir de son fauteuil.
— Accouchez, Bon Dieu !
— Tout de suite et sans douleur, monsieur Danléwal. Je vous propose ce morceau de papier compromettant contre la vérité.
Il libère un soupir de quinze mètres cubes et hausse les épaules.
— Qu’appelez-vous la vérité ? Je ne sais rien de ces morts, moi !
Je me paie un rond de fumée qui tenterait des chiens savants.
— J’appelle la vérité, votre vérité. Que faisiez-vous à cette soirée congolaise de Paris ? Que savez-vous de M me Vachanski ? Pourquoi l’avoir désignée à Brasseton ? Pourquoi Brasseton s’est-il fait appeler Hans Sufler ? Déballez, déballez, mon vieux, je vous écoute.
Je l’étourdis de questions. Il en prend plein le bocal, Van Danléwal.
— J’ignorais que Brasseton ait pris une fausse identité, vous devez faire erreur.
Je hausse les épaules, agacé.
— Je ne vous demande pas de me dire ce que vous ignorez, mais seulement ce que vous savez.
Et là-dessus je remise précieusement son billet compromettant dans mon portefeuille. En le voyant disparaître, Van Danléwal a une contraction faciale.
— C’est toute une histoire, murmure-t-il…
Combien de gens déjà m’ont démarré leurs salades par cette phrase « C’est toute une histoire ». Chacun s’imagine que sa vie est « toute une histoire », c’est-à-dire qu’elle n’est pas seulement la sienne mais qu’elle peut passionner les autres.
— Je me sens parfaitement en mesure de l’écouter.
— Vous le savez peut-être, je suis sous-directeur aux mines diamantifères ?
Je tique. Je savais qu’il était sous-diro des mines, mais je pensais à des mines de cuivre. J’oubliais que le Katanga produit aussi des bouchons de carafe.
— Beau métier, fais-je, ensuite ?
— L’an dernier, un diamant d’une taille exceptionnelle a été découvert. Une pièce inestimable, comme on n’en trouve même pas une par siècle.
Donc, la mère Brasseton ne débloquait pas quand elle prétendait vouloir défendre le diam de son fiston.
— Cette pièce formidable, enchaîné-je, vous l’avez étouffée en douce de la mine et, toujours en douce, vous l’avez vendue à Jean Brasseton.
Il est soufflé.
— Mais… Comment…
— Dans la police française j’ai une spécialité, dis-je : mon petit doigt. Il me dit des tas de trucs qu’on ne peut pas lire dans le journal ; après ?
Cette fois, il est dans l’état d’esprit idéal. Il décide de se confier à moi.
— En effet, j’ai… Vous savez, les actionnaires de la mine sont des ordures.
— Je ne vous chicanerai pas sur ce point. Je me fous éperdument d’ailleurs que vous fauchiez les diamants extraits sous vos directives.
— J’ai cédé cette pièce rare à Brasseton en qui j’avais confiance et qui voulait faire un placement. Il sentait approcher l’heure du soulèvement et tenait à grouper du fric sous le plus petit volume possible.
— Un gros diamant constituerait, en effet, le capital idéal. Vous l’avez vendu chérot ?
Ma question lui déplaît. Il a de la pudeur, ce brave homme.
— Oui, très cher. Mais pourtant au tiers de sa valeur.
— C’est l’inconvénient de la carambouille, fais-je en tapotant la cendre de mon Havane au-dessus d’un cendrier.
Il serre un peu les dents.
— Continuez !
— Ce diamant a été volé quelques mois plus tard à Jean.
— Où l’avait-il caché ?
— Dans sa cave.
— Ensuite ?
— Il s’est mis dans l’idée que j’étais à l’origine de ce vol. J’étais pratiquement le seul à savoir qu’il était en possession de ce caillou, comprenez-vous ?
— Bien sûr. La déduction s’imposait. Pourquoi dites-vous : pratiquement ?
Il hausse les épaules.
— J’avais fait la couennerie d’en parler à ma femme.
— Compris. Et madame a eu la langue trop longue, si je puis dire ?
— Exact. On croit pouvoir se fier à la compagne de sa vie, et vous voyez…
— S’il n’y avait pas les femmes, la police aurait moins de succès. Il est vrai que par contre on commettrait beaucoup moins de délits. Je vous écoute !
— Ma femme est Polonaise.
— Oh ! je vois… Et amie d’enfance ou quelque chose comme ça de M me Vachanski ?
— Voilà. Lors de son dernier séjour en Europe, Estella, c’est ma femme, a raconté à Maria Vachanski l’histoire de notre fortune, un soir qu’elles avaient porté trop de toasts à la Pologne. Je l’ai su par la suite…
— Alors ?
— Devant la colère de Brasseton, j’ai décidé d’agir. Vu les circonstances, il ne pouvait porter plainte, vous comprenez ?
— Bien sûr, comment parler du diamant sans mentionner ses origines ?
— Estella m’a fait part de son imprudence. Je suis allé en France, j’ai retrouvé M me Vachanski, sans me faire connaître d’elle, et je l’ai fait surveiller étroitement par un détective privé. Celui-ci m’a appris que Maria Vachanski fréquentait un type très douteux et qu’ensemble ils visitaient les grands joailliers de Paris. J’ai compris que c’était eux les coupables. J’en ai été tout à fait certain lorsque le détective m’a dit que le couple avait fait un séjour au Congo, incognito, à l’époque du vol.
— Je vois, ça s’éclaircit.
— J’ai prévenu immédiatement Brasseton qui m’a rejoint par le premier avion. L’ambassade congolaise donnait une grande soirée à laquelle j’étais convié. J’y ai fait inviter la Vachanski et mon ami. Et je la lui ai désignée ainsi que son complice. C’est tout.
— Ce complice, c’est l’homme mort d’en bas ?
— Oui.
— Qu’avez-vous fait ensuite ?
— Je suis revenu ici car mon absence aurait paru suspecte. J’avais été obligé d’invoquer la mort d’un proche parent pour pouvoir m’en aller.
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