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Frédéric Dard: Ça mange pas de pain

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Frédéric Dard Ça mange pas de pain

Ça mange pas de pain: краткое содержание, описание и аннотация

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Moi, vous me connaissez ? Jouer les privés, ce n'est pas mon fort. Même si le Vieux me flanque sa bénédiction… Même si le client allonge douze briques sur la table de notre salle à manger… En matière de police, comme en amour, je suis professionnel jusqu'au bout des extrémités. On ne se refait pas. Tout ça pour vous dire que ces douze millions d'A-F me laissent de glace, comme disent les Lapons. Et pourtant, douze briques, hein…, ça mange pas de pain !

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— Je vais sortir, dis-je. Occupez-vous de lui comme s’il s’agissait d’un client ordinaire. S’il veut vous vendre quelque chose, dites-lui de repasser, votre associé n’étant pas là.

— Oh, de grâce, ne me laissez pas seul avec lui ! balbutie le numismate.

— Il le faut, vous ne craignez absolument rien : c’est un voleur, non un assassin ! Bonsoir, monsieur.

Et je sors.

Au passage je file un nouveau regard inquisiteur à Huret.

Il semble plus navré que sur ses photos. Il y a quelque chose d’affaissé en lui, de creux. Il inspire beaucoup plus la pitié que la crainte. C’est le pauvre bonhomme paumé dans l’existence et qui a dû, jusqu’à présent, s’accrocher à des habitudes, à la routine. Franchement, je pige de moins en moins son arnaque à grand spectacle.

— Tu as vu qui est entré dans le magasin, derrière moi ? demandé-je à Félicie.

— Non ?

— Mon type !

— Le voleur ?

D’instinct elle coule un regard dans la boutique.

— Ne regarde pas, m’man ! Écoute, tu sauras rentrer à l’hôtel toute seule ? Tu prends la troisième rue à gauche et après c’est tout droit, tu arrives pile dessus.

Elle hoche la tête.

— Naturellement, je saurai, mais ne puis-je t’accompagner, Antoine ? Qu’est-ce que tu vas faire ?

Question épineuse. Logiquement, je devrais alpaguer mon gars illico et l’emmener dans un endroit peinard : ma chambre, par exemple, pour l’interroger et récupérer la lettre de Basteville, en admettant qu’elle soit encore récupérable ! Pourtant quelque chose me conseille d’attendre. Mon flair de poulardin !

Je suis curieux de savoir où et comment il vit à Londres.

— Je vais le suivre, m’man.

— Et je te gênerais ? demande-t-elle d’un air contrit.

— Mais non, reste. Surtout ne dis plus rien. S’il entend parler français il sera sur le qui-vive ! Je me demande, au reste, comment il s’en tire pour parler numismatique avec le marchand…

En tout cas, leur entretien est bref. Au bout de trois minutes, Huret réapparaît. Un truc qu’on ne voyait pas sur les photographies, il est voûté. De silhouette, il fait le double de son âge, l’arnaqueur. Il y a du gris sur ses tempes. Ses pommettes sont en creux et il garde la bouche continuellement entrouverte, comme s’il souffrait d’asthme ou des végétations. Il porte un complet fané, gris jauni, luisant pour avoir été trop et trop mal repassé. Il glisse les deux mains dans ses poches, sans les y enfoncer complètement. Simplement l’extrémité de ses doigts en faisceau s’y trouve engagée.

— C’est un pauvre type, chuchote m’man, malgré que je lui aie demandé de se taire.

Georges Huret s’éloigne d’une allure traînante. Je le suis, Félicie à mon bras, en me disant que pour posséder autant de bol que moi, il faut avoir des actions (de grâce) avec le ciel. Songez, mes petits zébus, que la P.J. et Scotland Yard sont sur l’affaire. Vingt minutes plus tôt le camarade Mac Heckett avouait que ses inspecteurs au bout de huit jours d’enquête se trouvaient au point mort. Et v’là votre San-A. qui se pointe droit sur Huret, comme une ogive à tête chercheuse sur sa cible ! Du pudding, non ? Dire que j’ai chanstiqué le ménage et les vacances du Gros pour la peau. Au lieu d’investir les celliers angevins, il fait du porte à porte, Béru, en ce moment. Sa co-caravane s’éloigne en direction de l’Espagne et lui…

— On dirait qu’il va prendre un taxi, non ? observe ma brave femme de mère en voyant notre petit copain s’approcher d’une station.

— Pressons !

— Presse, mes choses ! dirait Béru.

V’là que la chance qui me caressait le visage, suave comme une brise marine, me tire la langue, tout à coup.

Y’a qu’une seule voiture en stationnement, mes filles ! Et Huret s’y engouffre déjà.

Je regarde désespérément autour de moi, espérant voir radiner un autre bahut.

Rien ! C’est le semi-désert du samedi après-midi angliche. Alors la panique me prend. Laisser s’échapper cette proie que la providence vient de rabattre sur moi, ce serait trop glandu, quoi, merde ! Impensable ! Je cours… Une quarantaine de mètres tout au plus me sépare du taxi. Hélas il démarre. Je gesticule !

Je gueule des « Hep ! Stop ! Hello ! » qui n’arrêtent pas plus le chauffeur qu’un colimaçon n’arrêterait le Mistral en se plantant au milieu de la voie.

C’est pas vrai, bonté divine !

La face blafarde de Georges Huret se plaque à la lunette arrière. Son regard éteint semble surpris à la vue de ce beau gentleman [3] Que voulez-vous, j’ai toujours appelé un chat un chat ! qui fonce derrière sa voiture en gesticulant.

« Arrête, me dis-je. Tu te brûles, pauvre enfoiré ! Il est en train de te retapisser, le pilleur de coffiot. Il t’enregistre sur sa plaque sensible ! À présent, il sera aux aguets.

Alors je décroche net. C’est dur ! Je reviens vers Félicie, espérant rassurer le gus en chiquant le grand fifils à sa maman qui essayait de lui attraper un taxi en marche. Je prends le bras de ma vieille, en m’efforçant de regarder ailleurs.

— Mon pauvre grand, soupire Félicie. Mon pauvre grand ! Peut-être est-ce de ma faute ?

Faut toujours qu’elle endosse les vacheries de la vie, m’man. Qu’elle s’excuse de la misère des hommes. Personne autant qu’elle n’a jamais si bien avalisé le péché originel. La joue droite, ça la connaît ! Beaucoup de gens se croient chrétiens alors qu’ils ne sont que catholiques. Elle, au fond, c’est une vraie chrétienne. J’aurais pas été là, après la mort de papa, recta elle gerbait, en Afrique pour laver les nougats aux lépreux. C’est dans sa nature.

Écoutez, je vais peut-être vous faire gondoler, mais j’en ai les larmes aux yeux, de ma trop grande déception. Se laisser fabriquer comme un petit bleusaille, admettez que c’est indigne du nom que je me suis fait. Vrai ou pas ? J’ai l’air de pécher par orgueil alors qu’il vaut mieux pêcher à la mouche, mais je ne me cache plus ma façon de penser, depuis le temps que je me fréquente ! Le gars était là, à portée de ma main. Me suffisait de lui cramponner le bras pour qu’il flageole, se mette à table sans serviette. Il me rendait tout : l’enveloppe, les diams, l’or et le restant des écus, avec sa chemise en prime si je la lui demandais. Mais non, le San-A., toujours limier d’élite, a voulu jouer au greffier et à la souris. On en crève, tous autant qu’on est, de s’affabuler les trucs les plus simples. On les valorise en les compliquant. Pauvres de nous !

— C’est bête, hein ? lamente ma mère.

— Je ne me le pardonnerai jamais !

— Ne dis pas ça, tu le retrouveras, Antoine. Maintenant, tu l’as vu. Tu sais qu’il va voir les marchands de monnaies anciennes. Et puis, peut-être pourras-tu savoir où il habite par le chauffeur de taxi.

Exact, j’ai de qui tenir, non ? Elle a du chou, mine de rien, Félicie.

— Je vais alerter Mac Heckett ! décidé-je en cherchant une pièce de mornifle pour tuber dare-dare au superintendant depuis l’une des nombreuses cabines émaillant le parcours.

J’ai déjà virgulé six pences dans la tirelire du greloteux quand mon petit lutin intime m’interpelle à brûle-pourpoint.

— Oh, dis, San-A. ! il exclame, ça ne te réussit guère l’air de la Tamise. Si tu files un tuyau pareil au Yard, ce sont les archers de la reine qui alpagueront Huret, et tu pourras toujours te la mettre en berne pour ce qui est de la chioterie d’enveloppe.

Je dis adieu ma pièce de 6d.

Assise sur un banc public, m’man me contemple d’un air affligé.

— Tu ne téléphones pas ?

Je lui réponds par le vers (à pied) d’Edmond Rostand : « Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul. » J’ai toujours eu un faible pour les alexandrins, fussent-ils extraits de Cyrano de Bergerac.

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