Ce dont je profite pour opérer, au niveau de la ceinture, une diversion intéressante, pas qu’ils regardent plus haut. La bioutifoule petite friponne a passé elle aussi la vitesse supérieure ; elle brame comme jamais Amin Bourrique ne l’a fait bramer avec sa zézette de sous-officier de réserve.
Ma main n’est plus qu’à trois centimètres de l’arme. Va bien falloir manigancer sa petite affaire, cré bon gu ! J’ai le cerveau branché sur l’automatique. Plus besoin de tirer des coups sur la comète. Le plan, déjà programmé, se déroule tout seul.
En un éclair, mais, bénéficiant du majestueux ralenti subconscient, j’ai l’impression que les choses s’opèrent sur des années-lumière. Que je vieillis pendant leur accomplissement, deviens chenu, voûté, bancroche, ratatiné. N’empêche que, dans un premier temps, j’arrache le pétard de son étui pour cow-boy d’opérette ougandaise ; dans un second, je balance ma dame-étui à travers la foule (si je puis user d’un mot aussi conséquent) et que dans un troisième je bondis sur Amin Dada et lui applique le canon de sa propre pétoire sur sa nuque olidesque.
Pas un gusman n’a eu le temps de penser « ouf », voire d’émettre une simple exclamation de dépit.
— Alors voilà, dis-je très gentiment, tout en battant la mesure avec mon goume qui n’a pas encore été mis au courant du changement de programme (c’est lent à piger ces grosses bêtes), si quelqu’un a le malheur de broncher, je bute le maréchal.
Tout en menaçant, je me dis que, de toute manière, ce ne serait pas une mauvaise idée et que, dans certains cas, l’équarrissage a du bon. Une praline, et un peuple opprimé retrouve son indépendance. Je deviendrais dès lors un héros international, les pigeons du monde entier déféqueraient sur ma statue aux quatre coins de l’Univers.
Le gros lard respire comme un poumon d’acier dont le mécanisme s’est déréglé. Il bredouille des choses à ses hommes. Et alors, y en a l’un deux, un type très bien, grand, l’air dur, intellectuel puisqu’il a une pointe Bic dans la poche supérieure de son veston, qui lève la main pour demander la parole. Magnanime, je la lui donne.
— Si tu fais une chose pareille, dit-il, l’Ouganda déclarera la guerre à la France.
Allons bon : une de plus qu’on va perdre ! Y a de quoi méditer en effet.
J’enfonce dix centimètres de revolver dans les replis du maréchal.
— Cher président, fais-je, dites à vos pieds-nickelés de jeter leurs armes devant vos pieds.
Mais l’autre bredouille toujours des trucs incohérents. En pleine déroute. A cet instant, un léger grésillement s’élève dans le silence oppressant. Ça provient de l’énorme talkie-walkie. Il est encore fixé à l’épaule du cher Dada de cirque. Je n’ai qu’un mini geste à accomplir pour décrocher.
Ça cause africain. Je réponds anglais.
— De quoi s’agit-il ? fais-je sèchement.
La voix est grasse, spongieuse, nasillarde.
— Qui êtes-vous ?
— Le monsieur qui tient un revolver contre la nuque d’Amin Dada, réponds-je. Et qui va lui faire éternuer sa cervelle si on joue au petit pompier avec lui.
Un formidable éclat de rire me répond. Alors, là, franchement, je déconcerte. Je vois vraiment pas ce qu’il y a de poilant. Mon interlocuteur invisible hausse le ton et se remet à parler en dialecte ougandoche. Il s’adresse de toute évidence à l’assemblée. Qui se met à tu sais quoi ? Tousser ! Je pige que le gonzier leur a dit de tousser au cas où ils seraient sous la menace et n’oseraient parler. Et il continue la jacte.
— Parlez anglais ! hurlé-je, ou je coupe le contact.
Mais l’autre vocifère des trucs à en pulvériser le talkie-walkie. Alors je coupe. Hélas, le mystérieux personnage a eu le temps de dire ce qu’il fallait, car plusieurs blondinets téméraires dégainent leurs rapières en s’abritant derrière les filles du harem, et se mettent à nous praliner. Je me placarde derrière le maréchal Amin comme derrière un baobab afin de ne pas avoir trop bobo. Les balles crépitent dans la viandasse du gros qui se met à pisser le sang de partout. Il ne dit rien, mais geint. Et puis, tel un chêne qu’on abat dans le parc de Malraux, il choit lentement et moi avec sa pomme.
Le tir s’interrompt aussitôt. Je suis noyé dans le sang du gros Amin. On entend glouglouter son raisin, étrange bruit de source. Il spasme un peu, point trop, avant de s’immobiliser. Des mecs s’approchent de nous, revolvers à la main. On va m’assaisonner en plein, à bout portant. Mais le chef de l’escouade lance un ordre. Il rempare le talkie-walkie pour un message. L’appareil canardé est aussi hors d’usage que son maître. Alors le gus jacte, jacte pour les autres qui ne paraissent pas tellement émus d’avoir liquidé leur maréchal-président. Y en a même quelques-uns qui lui virgulent un coup de saton dans le bide, en douce.
Est-ce que la mort du tyran va changer l’orientation de mon destin ?
CHAPITRE XXVIII
L’orientation de mon destin ?
A la suite de cette scène sanglante, mon cher abbé, ces messieurs renoncèrent à me mettre à mort séance tenante. Ils me prirent, qui par un bras, qui par un pied et m’évacuèrent, ce qui était fort obligeant de leur part car, leurs salves m’ayant épargné, j’aurais fort bien pu me déplacer par mes moyens naturels. Il faut préciser toutefois que, rouge du sang de l’éminent chef d’Etat, je devais passer pour grièvement blessé.
Ils m’entraînèrent donc et je me félicitais intérieurement d’avoir eu la présence d’esprit de ramasser le revolver d’Amin qui m’était tombé de la main au moment de l’échauffourée et de l’avoir discrètement coulé sous mon aisselle, seul endroit propice à un relatif camouflage, compte tenu de ce que je me trouvais complètement nu, sauf votre respect, mon cher abbé. Toujours sauf votre respect, je me trouvais encore en état d’érection, et même d’insurrection sensorielle et, pendant mon transport (en commun), ma petite camarade Coquette semblait diriger la Cinquième avec la maestria d’un von Caravane grand concert. En la voyant passer, les dames présentes la regardaient d’un air ému, l’œil et la chatte humides, mesurant combien il était dommage de laisser se perdre dans les abysses de l’inemployé une vigueur à ce point bien conformée.
Imaginez des petits Biafrais regardant fondre une motte de beurre au soleil ; ou bien M. Chirac apprenant la démission du président de la République alors qu’il est en quarantaine dans une île du Pacifique pour y avoir attrapé quelque mauvaise peste plus ou moins bubonique.
Donc, ils m’évacuèrent, mon bon abbé. Et me descendirent jusqu’au sous-sol. Comme ils me véhiculaient sans grand ménagement, en cours de route, le revolver me chut de l’aisselle et ricocha sur les marches, ce qui m’amena à me traiter de con et à traiter le sort de fumier.
Décidément, ma position restait critiquissime ; le seul côté positif — ô combien ! — résidant dans le fait qu’ils ne m’avaient pas mis à mort.
Nous parvînmes dans un grand local voûté qui sentait la tourbe. Il avait de bonnes raisons pour cela, car une moitié de son volume était occupé par des briques de tourbe agglomérée, à la découpe plaisante, lisses et compactes. Dans la partie demeurée disponible se trouvaient trois personnes méchamment enchaînées.
En les voyant, mon sang ne fit qu’un tour. Après quoi, il continua, Dieu thank you , d’en faire d’autres.
Mais que je te dise, l’abbé.
* * *
Sur les trois personnes que je te cause, il y en a une que je n’ai jamais vue, mais comme il ne s’agit pas de la plus importante, je te la laisse pour ta collection privée. Il s’agit d’un bonhomme qui ressemble un peu à Spencer Tracy, quand il était vivant bien sûr. La seconde est une dame, celle qui jouait à l’infirmière chez les Aïlikitt et qui trucida si proprement le maître de maison. La troisième, tu l’auras deviné sans doute, à moins que tu n’aies déjà lu le paragraphe ci-joint, la troisième, mon chéri…
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