Mais j’ai beau regarder, la suite de mon examen est hautement confirmative. Lui, c’est bien lui ! En chair, en noce, en tas, en plein pied, de plein pied. A poil !
Un léger bruit.
J’avise la fille qui préparait le caoua dans la cuisine. Elle arrive, portant un grand plateau. En m’apercevant, elle pousse un hurlement, lâche son chargement de tasses et de pots et se carapate.
Coincé, qu’il est, le bel Antonio. Surtout que le cri de la gonzesse a tout de suite rameuté la garde et ça baïonnette-au-canon vilain dans la taule. Le poste de garde en effervescence. Et cette putain de radio qui raconte la reine et son Philipp-Dédain-Bourre dans les ovations de London.
Vive la reine ! Tu parles. J’en suis une autre.
J’ouvre une porte, c’est pour tomber sur deux gus qui jouaient banani-banana et qui, en entendant hurler miss Noirpiote, ont sauté sur leurs tromblons.
Oh ! pardon…
Putain de moi, si j’avais seulement un bout de flingue à ma disposition ! Trois fois rien, une babiole, le moindre. 22 long rifle… Pas à tortiller, faut que je déménage. J’entre sans frapper dans l’harem d’Amin.
— Hello, mister président, je lui lance courtoisement : it’s a long pipe to Tiperrarry, n’est-ce pas ?
* * *
Et alors, ma chère princesse, il s’ensuivit des choses bien cruelles qui me font peine à relater. L’incroyable personnage était là, nu et érectant, me regardant de ses yeux de buffle venant de traverser un mur dont le papier qui le couvrait représentait un champ de luzerne. Le regard du maréchal Amin Dada ressemble aux deux phares éteints d’une Dedion-Bouton ; ce qui est frappant, c’est leur proéminence qui les transforme en hauts-reliefs. Lorsqu’il cille, l’on croirait qu’on pose un béret sur une boule d’escalier. Il a, comme vous l’aurez remarqué, ma princesse, un nez d’hippopotame dont il se sert, non seulement pour respirer, mais aussi comme d’un moteur hors-bord quand il batifole dans sa piscine. Vous le savez, les dents du maréchal Amin Dada sont très recherchées pour la qualité de leur ivoire, bien supérieure à celle de la défense d’éléphant, son homologue chez les herbivores. Il est notoire que la denture, quand elle est exceptionnelle, révèle des destins d’exception. Napoléon I ernaquit avec une dent, Adolph Hitler ne possédait que des canines et des incisives. Amin Dada, lui, offre une particularité unique dans l’histoire humaine : ses dents repoussent. Il n’eut jamais de dents de lait, s’étant montré carnivore dès sa naissance, puisqu’il mangea au lieu de le téter le sein de sa nourrice. Cet être d’élite eut immédiatement les dents longues. Second phénomène à propos de sa denture : ses dents sont entièrement en ivoire : ni pulpe, ni émail. Uniquement de l’ivoire. Troisième phénomène enfin pour en terminer avec cette partie capitale de son individu : ses dents ne s’arrêtent de pousser que pour tomber. Lorsqu’il en perd une, celle-ci est reformée dans la semaine qui suit. Bien que la chose ne soit pas rendue officielle, l’on sait que le président-maréchal est sous contrat avec Cartier auquel il assure la totalité de sa production d’ivoire pur.
Il est toujours impressionnant, ma princesse, de voir de près un homme fameux, surtout quand la gloire de ce dernier repose sur la tyrannie. Aussi fus-je troublé par la proximité promiscuitante de cet homme remarquable, par son imminence, si vous me passez l’expression, vous qui me passez tant de choses, y compris la langue sur le filet.
Il était là, magistral. Beau comme King-Kong à la fin du film. Triquant toujours, mais pas aussi phénoménalement qu’on serait en droit d’espérer d’un gaillard pesant ses trois cent quatre-vingts livres comme une vache. Amin Dada n’est pas supermonté, ma princesse, et je puis vous assurer qu’il ne me vient pas à la cheville, tant au plan du diamètre que de la longueur hors tout. Mais là n’est pas le problème et vous n’êtes pas sans savoir, salope comme je vous connais, que la modestie d’un sexe n’ôte rien à sa fougue.
En me voyant intruser, à l’instant héroïque où il s’abandonnait aux délires de son cheptel, il poussa un grognement de gorille dont la branche vient de casser. D’une bourrade gauche, il expédia trois de ses partenaires à l’autre bout de la pièce, d’une droite, il brisa la colonne vertébrale d’une quatrième ; se défit du reste par une ruade (on est Dada ou on ne l’est pas), puis, l’esprit en vigile, examina mes mains. Les constatant nues et humbles, il sut qu’il était le plus fort.
— Qui êtes-vous ? me demanda-t-il rudement, de cette voix qui n’est pas sans évoquer celle d’Armstrong quand le disque est gondolé.
Je mis un maximum de candeur dans mes prunelles, un autre d’innocence dans mes inflexions et je lui répondis, ma princesse, que j’étais le garde-champêtre du pays en tournée d’inspection. Une police étrangère impressionne toujours, même quand il s’agit d’un simple garde-champêtre, même si l’on est Amin Dada le Grand, dit le bienfaiteur des crocodiles…
Le fier personnage eut un léger flottement. Là-dessus, mes poursuivants survinrent, affairés, effarés, soumis, anxieux, déjà repentants de ce qu’ils n’avaient pas commis, comme le sont les courtisans d’un monsieur qui a droit de vie et de mort sur eux. Ils étaient nombreux, armés, méchants. Ils parlaient un dialecte africain que j’ignorais et n’eus pas le temps d’apprendre car ils me massacrèrent littéralement de la crosse de leurs armes qu’ils tenaient à l’envers, comme au restaurant, leur couvert à poisson.
Je crus périr, princesse, et si je ne périssas pas, c’est uniquement à cause de ma parfaite constitution. Mais, durant mon séjour dans le coma, ma pensée ne se sépara pas un instant du bon maréchal Amin Dada dont j’eus longtemps le mufle sur le visage. Sa respiration produisait le bruit des chutes du Niagara. Ce monsieur doit posséder une capacité thoracique équivalente à celle dont jouissait le regretté dirigeable Graf Zeppelin. Le déplacement d’air me tira des limbes. Je crus, étant donné la pagaie de mon esprit et les meurtrissures de ma viande, flotter contre la coque d’un cargo peint en noir. Mais c’était en réalité le corps athlétique du glorieux militaire qui remporta tant de victoires sur les tribus Zizipanpans, O’tmoualdouadla et Gnoufgnouf, grâce à la mitrailleuse lourde de son artillerie.
Son regard avait ce sérieux de l’ogre qui se demande s’il va te manger cru ou à la broche et attend une réponse de ses papilles.
Ah, oui, princesse, ce fut une expérience très terrible, car je n’étais qu’au début de mes peines.
CHAPITRE XXVII
Au début de mes peines.
Qui voit Pléven voit ses peines, disait-on sous la Quatrième et avant-dernière République.
Moi, j’ai de la veine de ne pas voir mes veines car elles doivent être dans un triste état. Je ne suis plus qu’une ecchymose !
Les sbires du maréchal Amin Bourrin m’ont dépiauté entièrement. A mon tour je suis nu. Ils m’ont ôté mon mercurochrome et ils vocifèrent en me désignant du doigt ; surtout la nana porteuse de café qui trimbale un pansement à l’épaule. Elle me paraît drôlement teigneuse, cette souris, et comme vindicative. Et puis voilà que je pige tout quand, au plus fort de ces gnagnagnades, elle désigne sa blessure. C’est elle qui est venue en compagnie de deux gonziers, dans ma chambre de l’auberge, l’autre nuit, avec l’intention de me marquer au fer rouge. Quand j’ai opéré ma contre-attaque à la lampe à souder, c’est cette splendeur sombre qui a dégusté. Elle s’en plaint amèrement auprès du grand chef et doit lui solliciter ma peau de sa haute bienveillance. Amin Canasson l’écoute en passant son énorme main d’anormal congénital sur sa face pour film d’épouvante de série C.
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