Moi, je délivre l’heureux bénéficiaire de ce singulier concours et l’invite à rejoindre ses compagnons.
* * *
Le malabar qui tient mal la barre me désigne une masse ocrée vers les confins.
— Le cap Griso-Nazo, señor !
Je chope les jumelles posées sur la carte et me mets à scruter le large dans le sens de la longueur. L’océan est vide. Pas plus de yacht à l’horizon que de pourboire sur la table d’un bistrot écossais.
— Personne ! marmonné-je.
— Il n’est pas encore arrivé, dit le malabar. Nous devrions approcher de la côte, señor commandant, et jeter l’ancre pour l’attendre.
Le conseil me paraît valable.
Aussi, le suis-je.
Bientôt, le vieux barlu se balance mollement dans la houle.
La journée s’écoule.
CHAPITRE ENGIN NEUF
DANS LEQUEL
J’AI UNE RÉVÉLATION
— Terre ! Terre ! qu’hurlait la vigie de Colomb, en apercevant les gratte-ciel américains.
Mon mataf de veille, lui, égosille : « Bateau eau ! Bateau eau ! » C’est la nuit chutante. Le soleil pique sa tronche rougeaude dans la flotte et l’univers marin devient sanguinaire.
Tout le monde regarde l’en direction qu’il désigne et, fectivement, on voit se pointer le beau yacht blanc battant pavillon san bravien. Il approche rapido : tu penses, un Rivello Chichman à turbine des chantiers navaux de Marly-le-Roi, ce serait dommage !
Nous assistons à son jetage d’ancre, toujours émouvant, à quelques encablures, comme on dit puis, de nous. Un pavillon représentant une tête de nœud sur fond d’azur est hissé. Une sonnerie de trompette retentit, biscotte le président procède à son changement de costard : il troque en effet son uniforme de grand amiral admirable de la flotte contre une tenue de yachtman : bermudoche à fleurs, polo blanc, panama léger, grand cordon de saint Brave, patron de la patrie (qui protégea les Espagnols débarqués au San Bravo contre l’invasion indienne).
Enfin, ces différentes et pour tout dire multiples opérations étant accomplies, un détachement de la marine nationale ayant rendu les honneurs après une forte absorption d’ipéca (quand on est con, on le demeure), nous voyons une vedette rapide se détacher du yacht (lequel se nomme El Sublimissimo Presidente ) et foncer droit vers nous. Un officier de marine (il se came en douce) est droit à la proue, la main sur la hampe du drapeau qui flotte au vent du soir. Il en prend plein sa gueule de raie que je ne distingue pas encore très bien, malgré mes jumelles, mais que je vais avoir l’occasion de regarder comme je te vois, d’ici un peu moins de pas longtemps.
Pour te parler franchement, et pourquoi non ? Nous nous pratiquons depuis assez de temps pour n’avoir à nous cacher que l’essentiel, s’il fallait encore faire des cachotteries avec le superflu, merde ! Pour te parler franchement et massivement, reprends-je, je suis profondément intrigué.
Drôle de micmac, n’est-il pas vrai ?
Le barbichu nous kidnappe et nous embarque à bord d’un vieux barlu, ce afin de nous emmener très au large pour y attendre le président Chiraco. Or, ce président nous a eus à dispose, dans son palais, dont il nous en a virés comme des malpropres. Cette conduite paraît aberrante, moi je te le déclare tout net. Et, malgré le danger sous-jacent, je désire en apprendre davantage.
On ne se refait pas, comme disait Notre Seigneur Jésus-Christ. Tiago Chiraco pouvait tout contre nous. Il pouvait nous faire : embastiller, écorcher vif, énucléer, écouiller (en ce qui me concerne), battre à mort, disparaître, cul-de-bassefosser, expulser, sodomiser, lire du Robbe-Grillet, manger de la merde ; il pouvait disposer de nos personnes à sa guise (qui est encore plus grande morte que vivante). Alors, pourquoi ce rendez-vous en mer ? Ah ! si le barbichu voulait bien parler… Mais, hélas (de trèfle) il possède cette richesse incommensurable que représente le silence. L’avenir appartient à ceux qui parlent, et le présent à ceux qui se taisent. Bien ma veine que d’être tombé sur une carpe et non sur une carpette !
Bon, v’là la vedette.
Tout immaculée dans la nuit tombante qui fait frissonner l’océan. Son officier fringué de blanc aussi, le regard torve comme une morve, il chafouine des prunelles et du sourire, l’apôtre.
Je l’accueille, très sobre, distingué même, sans vouloir en rajouter, en un garde-à-moi plein de prudence.
Il me salue militairement, à la manière des marins san braviens, c’est-à-dire en se prenant les burnes de la main droite et en s’enfonçant l’index gauche dans le rectum grâce à une fente astucieusement ménagée dans le fond du pantalon (le slip n’existe pas dans la marine san bravienne, il a été remplacé par la culotte Petit Bateau, à trous).
Il ne paraît pas surpris que ce soit moi qui l’accueille.
— Je viens prendre livraison des trois filles, Excellence, qu’il m’annonce.
Je réprime : une grimace, un cri de surprise, un sursaut, un borborygme et une mutinerie de mon cœur surmené.
— Elles sont ici (les Moulineaux), mon subcommandant, dis-je.
— Alors, qu’elles viennent (Autriche [13] Il est à noter que San-Antonio se complaît dans ce genre d’indigences. Elles abondent dans certains de ses ouvrages, comme celui-ci par exemple. Que le lecteur veuille bien nous les pardonner. Note des Editeurs.
), me répond-il sans machin, comment dit-on ? Non, pas sans jambages, mais sans aménité !
Et, avant que j’eusse le temps de faire un mouvement pour alerter mes poulettes, il ajoute :
— Où est l’homme qui les escorte ? Ici ?
Moi, tu me sais ? Dans les cas difficiles, je suis toujours à la hauteur. Tout autre, moins armé contre les débridances de la stupeur, répondrait : « C’est moi, mon père, si c’était un curé qui me pose la question, ou encore, « c’est moi, monsieur l’agent », s’il s’agissait d’un agent, enfin tu es trop féru d’Archimède pour ne pas avoir compris le principe [14] Vous voyez : il continue !
. Mais illico dare-dare, la pensée me vient que ce messager à gueule de forban pourri, et bravement vérolé de la queue et du mental, me prend pour qui je ne suis pas ; qu’à la manière, en outre, dont il a articulé sa question, il ne nourrit aucune sympathie pour « l’homme qui les escorte », et je m’empresse de rétorquer, agrémentant de l’inflexion, de l’œil et du sourire :
— Nous avons dû le neutraliser, mon superbe-commandant-beau-comme-un-paf.
— Montrez-le-me !
Docile, je-le-lui-le, en l’emmenant dans la cambuse où le ci-devant barbu est en train de gésir dans ses liens.
Ce que je fais là est culotté, car il se pourrait que l’officier de farine (il est en blanc) connaisse mon petit copain, encore que sa frime privée de poils et passablement noircie ou rosie soit difficilement identifiable.
— Ecce homo , fais-je sans sourciller, comme si je lui désignais un paquet de lessive, dont on vit l’époque, tu t’en rends bien compte ; à croire, quand t’ouvres la téloche, que l’ultime souci des humaines est d’avoir un linge « plus blanc » sans bouillir ni cracher dessus, miraculé d’enzymes (la boum).
L’envoyé de Chiraco acquiesce. Et alors, je vais te dire, mais surtout reste calme, panique-toi pas : il tire un pétard de sa ceinture et, posément, comme un postier oblitère les timbres d’un recommandé, il lui tire quatre bastos dans la carcasse : deux en pleine poitrine, deux autres en plein baquet.
Et bibi élève sa belle âme aussi haut qu’il le peut. Et il chocote à outrance en songeant que les matafs du bord vont probably se précipiter et raconter ma petite mutinerie. Par mesure de chose, je garde ma paluche crispée sur la crosse de feu se trouvant en ma pochession, prêt à perforer l’officier.
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