— La principale étant ton besoin de fric ?
— Bien sûr.
— Tu t’es dit que cette affaire n’était pas catholique et que donc, il y aurait peut-être de la fraîche à affurer ?
— Plus ou moins, oui. Je pensais que quelque chose ne devait pas tourner rond du côté du comte et qu’il me serait alors plus aisé de l’amener à des sentiments généreux…
Malgré qu’il ait côtoyé le mitan, il s’exprime dans un français châtié, le Gaspard.
— Lors de ta petite virée solognote, tu n’aurais pas aperçu Léo, des fois ?
— Non, pourquoi ?
Tiens, voilà que je prends mal au cœur. Ces remugles d’éther, probable.
Je me lève, sentant que si je m’attarde encore je vais aller au refile.
— Vous partez déjà, commissaire ?
— J’ai école. Mais ne te tracasse pas, fiston : ça plane pour toi.
* * *
Je m’installe au volant sans que Riri ne s’éveille. Il est écroulaga au fond de ma chignole, derrière, en chien de fusil. Et il a retrouvé son petit bruit de clapet qui plaque mal.
Je le considère avec quelque envie. Qu’est-ce qui m’oblige à cavaler de la sorte ? Pourquoi cette affaire me tient-elle tellement à cœur ? On devrait guillotiner Gaspard, encore, je serais motivé, comme ils disent puis tous, ces cons insupportables que je me retire si bien et si définitivement d’eux ! Qu’enfin je crèverai probable sous ma tente, comme disait le cher Cocteau ! Ou comme le Montherluche qui s’en est filé un coup dans la poire, poum ! tant il cabrait devant la vieillesse ; ou encore comme l’Hemingway idem, poum ! poum ! Descendez, on vous demande. C’est l’heure de la grande roupille. Salut, dames et messieurs, bonne continuation !
Je te repose ma question : Qu’est-ce qui me mène avec tant tellement d’acharnerie ? Que je suis là, grelut et flageolard sur mes cannes. Mort de sommeil, branlant de fatigue. Mais avec l’appétit féroce de connaître la vraie vérité.
Je démarre. Tout juste si le sieur Henri, roi de Farce et de Navarin, modifie un peu sa ronflette, l’unissonne avec le bruit du moteur.
* * *
L’aube au sourire pâle (comme l’a écrit si bien Jean-Georges Revel dans son traité sur la façon de maltraiter les traités, ouvrage dans lequel les poils de cul sont écrits en braille pour que tu puisses les toucher) se lève sur la Sologne quand je me pointe dans la grande cour de l’auberge Saint-Hubert. Une tomobile fourgonnette ronronne dans la fraîchure [15] Oui : j’ai bel et bien écrit fraîchure, faites pas les cons, à l’imprimerie, de vouloir me rectifier l’orthographe. Cela dit, ça n’a aucune importance.
pré-matinale.
C’est le taulier qui se barre aux halles de Rungis-les-Bains. Il radine en poussant devant lui son haleine qui sent le café frais. Il est saboulé en chasseur, que tu le prendrais pour un de ses cilles.
Il méduse de nous voir radiner les deux.
— Mince, vous l’avez retrouvé ?
— Facile, vous voyez bien que ce n’était pas la peine de se faire une entorse à lui cavaler au fion !
— Il est en état d’arrestation ? demande le steak’s maker qui a lu Détective tout au long de son adolescence.
— Quelle idée ? m’étonné-je. Y a pas plus blancheur que lui.
— En ce cas pourquoi s’est-il sauvé ?
— Parce que c’est un émotif. Il appartient à cette catégorie de spectateurs qui sortent du cinoche au moment où le vampire passe sa main verte par l’entrebâillement de la porte.
— Vous n’avez pas besoin de moi ?
— Du tout.
Il baisse le ton pour m’apostropher en catiminette :
— Vous croyez que je peux le garder ?
— Comment si vous pouvez ! Vous devez, cher monsieur Moulfol. On ne congédie pas sans motif un employé modèle.
Rassuré, il opine.
— O.K., surtout que c’est un brave garçon. Si vous voulez du café, dites à Riri de vous conduire à la cuisine. Je vous dirais bien ma femme, mais Mado roupille jusqu’à huit heures.
Mado ! Mon guignol se met à chamader comme un branque. Mado la mollasse, Mado la fondante, Mado l’inerte, la passive, l’invertébrée. Mado qui continue de bouleverser ma pauvre vie de mammifère désorienté. Chérie, va ! Elle est là, toute proche, toute flasque dans son plumzingue, les nichons en cataplasmes, la gueule entrouverte, sûrement, avec son merveilleux air con qui doit subsister sur son visage au plus fort des sommeils.
J’en serre cinq au cornard.
Il grimpe dans sa fourgonnette et ses feux rouges se diluent bientôt dans cette nuit qui tourne en brume.
Riri est immobile auprès de moi, frileux, inquiet. Il comprime ses pets du matin, en homme de belle éducation. Sa chère maman peut être fière de lui. Elle en aura fait un gentleman.
— Vous voulez boire du café ? il demande, soucieux de souscrire aux directives de son patron.
— Pas tout de suite.
Je regarde les bâtiments endormis, un peu de jour flottaille sur les tuiles : un projet de jour. Ça ressemble à cette fameuse toile de Magritte intitulée l’ Empire des Lumières , où l’on voit une maison éclairée comme en pleine nuit et au-dessus c’est le grand soleil.
— D’habitude, c’est l’instant où tu vas rejoindre Mado, n’est-ce pas ?
Il aime pas lulure causer de ça, ce vieux voyou. Un timide, quoi. Comme on dit en Suisse : il se gêne. Tournelle détourne la tête.
— C’est où, sa chambre ?
Il me la désigne. Y a un balcon, j’aurais dû me gaffer. Roméo et Juliette. Un petit escadrin extérieur, dit de meunier, y conduit et fait tout le charme de la bâtisse.
— Tu passes par là ?
— Oui.
— Tu toques aux volets et elle t’ouvre ?
— Oui.
— Veinard. T’es un tombeur, toi, dans ton genre, non ?
— Oh, non… Seulement…
— Seulement t’aimes la baise et ces dames le sentent. Elles ont un flair terrible pour détecter les tromboneurs émérites. Propose-leur cent mecs beaux à chialer, si c’est un cent unième qui lonche le mieux, c’est lui qu’elles choisiront, quand bien même il serait vioque, chauve et stropiat. Le zob a des effluves que la raison ignore mais que le cul reconnaît.
Ça lui passe un chouïa au-dessus de la touffe, mais il rigole complaisamment.
— Bon, allons chez toi, mon vieux lapin. Je veux que tu me montres le fric que t’ont remis les deux mecs de l’autre jour.
Il me guide jusqu’à sa crèche, une grande chambre au-dessus d’une ancienne écurie, propre, blanchie à la chaux de pisse, avec un lavabo contre un mur, surmonté d’un miroir ancien, flanqué d’un porte-serviettes. Comme décoration, une réclame pour la Suze que ça représente un mec aux bras noueux occupé à déterrer de la gentiane dans les alpages [16] Je raffole cette réclame et je la place dans tous les décors possibles, si les mecs de Suze en ont une ancienne de rabe, ils peuvent me l’envoyer, je la ferai encadrer, pour mon burlingue ; sinon j’en mettrais une à Dubonnet.
.
L’ameublement se compose d’un lit, d’un placard mural, d’une commode, d’une table et de deux chaises dépaillées.
— Asseyez-vous, il urbanise, le Riton.
Au lieu de prendre une chaise percée, comme l’eût fait le premier Louis XIV venu, je choisis de m’étaler sur son pucier. Les ressorts fatigués musiquent sous mon poids comme une viole de gambe.
Si je ne m’écoute pas, je vais m’endormir.
— Alors, ce fric ?
Riri soupire un peu, pas trop. Il s’arc-boute devant sa commode et la hale sur un mètre. Ensuite il s’agenouille sur la partie de carrelage ancien mis à jour et, de la pointe de son couteau, descelle un carreau branlant. Sous celui-ci, une excavation. Et dans ladite un paquet exécuté avec du papier-journal. Deux forts élastiques mis en croix maintiennent le paquet clos.
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