La Chinoise continue de sourire.
— Ce serait volontiers, dit-elle, mais je dois vous avertir que je ne suis pas une spécialiste du plaisir et que je ne couche pas.
Galant, je sais dissimuler mon désappointement (c’est le mot). Je me dépointe donc et récrie bien haut.
Que va-t-elle penser là ! Mes intentions sont pures ! Ai-je donc la tête d’un suborneur ? Répondez franchement ? Ainsi, je viendrais à Bangkok-Soir chercher de la fesse alors qu’il y en a plein la ville et qu’il faut parfois faire une grande enjambée pour ne pas marcher dessus ? Allons, allons, voyons !
Elle est rassurée par mes protestations.
Et bon, d’accord, elle me rejoindra en fin d’après-midi. Elle me demande la permission d’apporter son maillot pour profiter de la piscaille après le dîner.
Je la lui accorde sous seins privés.
J’en suis donc là de l’histoire.
Nulle trace d’Héatravaire, mais je fais diffuser sa bouille à tout hasard.
Par ailleurs, j’ai failli être écrasé par un gros chleuh tombé du onzième.
Ceci relate ma première journée à Bangkok.
Laquelle est loin d’être terminée, tu vas voir.
On ne peut pas se figurer ce qui m’arrive dans un polar !
Tu sais que si je me relisais, je ne voudrais pas me croire ?
De retour au bienfaisant Oriental , je découvre deux choses en attente : Bérurier, et un télex du vieux contenant la liste des passagers Paris-Tokyo.
L’un est rond, l’autre long.
Triste figure, le copain Alexandre-Benoît. Ronchon, taciturne, l’air de regretter Paris, sa Berthe, son bougnat favori, le beaujolais, les andouillettes de chez Prin.
— T’as des misères ? le questionné-je, bourré à craquer d’inquiétude.
— Parle-moi z’en pas, dit-il : j’ai t’eu un accident de parcours.
— T’as pas pu embroquer miss Jaunisse ?
— Au contraire.
— Comment, au contraire ?
Il est terriblement penaud, masteur Tristemine.
— J’ai beau chercher, j’pige mal c’faux mouvement. D’alieurs, c’est pas t’t’à fait d’ma faute. C’t’à cause du tube d’vas’line dont sur lequel j’ai glissé. Juste au moment d’l’enfourchement, ta donzelle. Elle voulait à la Duc Dos-au-mâle, la sœur. J’l’avais posturée conv’nab’ement, la moniche bien d’équerre, assurée su’ses coudes. Les travaux préluminaires s’étaient pas mal passés. On savait qu’ça seraye pas du cousu-main, fatal. Qu’y faudrait un p’tit forcinge discret au moment d’la bénédiction nuptiale : l’coup d’reins autoritaire, quoi. Çui qui barguigne pas. Allez, oust ! Entrez, v’s’êtes chez vous ! Elle consentait. Une vraie valiante, c’te souris, j’admets. L’genre d’guernouille qui s’croye plus grosse qu’à Elbeuf.
« Moi, bon, tu m’connais la conscience professionnelle ? Je l’ajuste à la langoureuse, lui commence un rond de bide pour qu’elle octroye mieux du frifri. J’m’étais pavané l’glandoche à la vaseline, tout bien, reluisant comme un vrai p’tit prince d’Emile et une nuit ; tout vibreur, tout piaffant : Saumur ! J’comptais lu procéder par p’tits tagadas marteleurs, comm’ av’c le maillet d’un commissaire qui prise ; bien préparer l’circuit pour l’déboulé final. J’la grimpais en danseuse, les pognes z’en haut du guidon, aérien, zélé comme un amour. Et pis v’là-t-il pas qu’en actionnant, j’fous mon panard su’ l’tube de vaseline qui jonchait. Dedieu, j’dérape comme c’serait été sur une peau d’banane, et rran ! J’pars à dame, c’est le mot ! Juste que le signor Popoff s’trouvait à l’entrée des artistes, brandi communal barde. Pas moilien d’dévier. Et heureus’ment dans un sens, que sinon j’eusse risqué de me l’péter net contre l’coin de table. L’v’là donc qui télescope miss Réglisse sans escale, tout d’une traite ! Plaouff ! Enplâtre cette mignonne jusqu’aux sourcils, directo ! L’hurlement qu’elle a poussé, j’le garde encore dans mes étiquettes ! Comme une qu’agonirait. Ce travail, Dieu d’Dieu ! Ce travail ! Ah ! espère, ell’ est pas prête de r’tourner au rondibé, mam’zelle Miss ! Sa cramouille a esplosé, littérairement ! Un claqu’ment pareil à une courroie de transmission qui saute. Dès lors elle a tourné d’l’œil, la pauvrette. Y a fallu appeler sa potesse. On l’a ravigotée au scotch, ensute coltinée jusqu’à son bidet de famille, manière qu’elle dédolore, mais mon cul ! Les ravages étaient faits. Sinistrée à cent pour cent, la chérie ! On pouvait déclencher le plan Culsec sans coup fou-rire. Ç’a été l’toubib : un vieux Chinois tout jaune, à lunettes. Et après quoi l’ambulance pour la driver à l’hosto, qu’y z’y recousent l’échancrure, lu posent des points de soudure, tout ça. Y a à faire, croye-moi ! C’est pas d’main qu’elle retrouvera son berlingot d’ jeune fille, ta madone ! Merde ! Note qu’un fois ces p’tites tracasseries passées, elle pourra vraiment s’aventurer dans l’pain de fesse. Pacequ’enfin j’en r’viens toujours, mais si tu veux faire pute, faut t’au moins avoir l’orifesse apte, non ? Cantonner dans le zobuscule chinois ça mène où, tu peux m’dire ? Désormaux, ell’s’ra gratifiée en conséquence, la p’tite démone ! Ell’ pourra signaler su’ ses brèmes que c’est du tout terrain, sans limite d’tailles ; ell’ épongera l’curé d’campagne comme l’cosaque du legs. Là qu’est passé Béru, l’bulldozer peut passer aussi !
Il se rassérène en narrant, le Gravos. Raconté, l’aspect plaisant de la mésaventure se dégage. Il en est conscient et finit par sourire.
— Ce sidi, conclut mon pote, j’sus toujours pas dégorgé des amygdales, moi. Va falloir trouver du cheptel de remplacement. On d’vrait s’inquiéter si y aurait pas une pute françouze dans l’secteur. Dans l’fond, y a que ça d’sûr. Une prostipute de chez nous, t’es tranquille qu’elle a pas l’minou comm’ une boutonnière ! Elle peut aller aux asperges sans pied à coulisse pour des vérifications prélavables. Faut s’renseigner. Les putes françaises, c’est comme les restaurants italoches : y en a dans l’mont dentier.
— Tu t’arrangeras pour en dégauchir une ce soir, coupé-je, moi j’suis de sortie.
— Une gerce ?
— Ravissante.
— Masseuse ?
— Non ; il s’agit de l’unique jeune fille sérieuse de Bangkok. Du moins le prétend-elle.
Sa Majesté qui a une confiance aveugle en son supérieur ricane :
— Elle pourra plus causer comme ça quand c’est qu’elle t’aura quitté.
Je déplie le télex du Vieux.
Rien de plus fastidieux qu’une liste de blases orientaux. J’ai l’impression de lire l’autre, sauf que sur la ligne Paris-Tokyo il y a davantage de Français que sur celle Hong Kong-Bangkok.
— Tiens, dis-je au défonceur de pot chinois, tu vas m’aider.
— A quoi-ce ?
— Je vais lire des noms. Tu les chercheras au fur et à mesure sur la liste que voici. Si tu trouves l’un d’eux, préviens-moi !
Nous nous installons commodément dans deux fauteuils mitoyens et la nomenclature commence. J’efforce d’articuler au mieux ; pour les noms barbares, Béru me fait répéter et les récite lui-même en déchiffrant sa liste.
Les Wang Tu Hô, les Krash Chibrak, les Sumuzaki et autres Vajhiralongkorn ne manquent pas. Sa Majesté les cherche sur son faf avec une louable attention. Ne les ayant pas dénichés, il conclut chaque fois par un laconique : zobi ! qui est une fin de non-recevoir.
On se paie toute ma liste, et il en reste encore sur la sienne, car il y avait davantage de passagers de Hong Kong à Bangkok que de Paris à Tokyo.
— Raté, soupiré-je, déconfit.
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