Très intéressant, ce que me bonnit la mère Suzy. Tu ne trouves pas étrange, toi, que ce type équivoque se soit trouvé dans le couloir de la chambre à Brandt au moment où ce dernier valdinguait ? Eh bien moi, si, que veux-tu !
Je vais pour continuer ma petite interview quand le gong de la porte retentit.
Suzy s’excuse et passe dans la petite antichambre pour délourder. Je l’entends parlementer à voix basse. Curieux de nature, je risque un z’œil et bien m’en prend. La curiosité est un vilain défaut, mais souvent récompensé. Il convient de ne jamais craindre nos défauts, car, Seigneur, sans eux que ferions-nous ? Ils sont la suprême récompense de nos qualités.
Donc, je mate en loucedé, et qui vois-je, dans l’encadrement, bien honnête, bien smart ? L’Angliche qui nous a probablement sauvé la vie naguère en nous avertissant qu’il pleuvait de l’obèse.
La Suzy lui chuchote des trucs que ce gentleman écoute fort civilement, après quoi il a une inclinaison du buste et se retire.
La Jaunette revient.
Pas seule.
Car la porte du « laboratoire » vient écraser un éventail de soie contre le mur et la camarade d’atelier de miss Wrong se précipite, nue et plus souriante du tout dans la pièce où on fait la converse.
Elle cause vite et thaï, si bien que j’entrave que tchi. Mais l’arrivée inopinée du Gros éclaire ma lanterne sourde. Triquant comme mille étalons, il rameute la garde, criant à l’arnaque. Ne voilà-t-il pas que, contre toute convention dûment agréée, sa partenaire refuse de se laisser miser sous prétexte que mon ami est archi trop fort pour sa propre constitution !
— Non, mais ça va pas, les miches ! qu’égosille le mammouth. Une pute qui renâcle, on les voira toutes c’t’été ! Comme si j’y d’manderais la lune ! Juste son cul, faut pas chérer ! Et elle est marchande de cul, oui ou merde, cette jouvenceuse ? Si elle a le fume-cigare comme un porte-mine, faut qu’elle va changer d’turbin, merde ! Quand on n’a pas d’aptitude, on laisse aux autres ! L’vibro-masseur, c’t’à la portée d’n’importe quelle jeune fille d’bonne famille, merde ! Des guiliguili électriques su’la grosse veine bleue, une gamine de huit ans saurait si on lu montrerait une fois pour lu’montrer. S’l’ment, moi, je becquete pas qu’des z’hors-d’œuv’, merde ! Une séance sans embroque, salut madame, j’aime autant r’tourner à la Communale me pogner dans les tartisses du préau, merde ! Ça t’enfouille ton carbure au prélavable, d’accord comme quoi t’auras droit à l’enfourchement final par tout’la troupe. Et quand t’arrives av’c ta chopine, c’est « oh, non m’sieur, elle est trop grosse ! » Merde ! Quand on choisit c’boulot, c’est qu’on s’sent paré pou’les grandes manœuvres, non ? J’veux bien qu’les julots d’ici soyent montés comme des sapajous, mais faut songer au touriste, non ? Ou alors pas s’en mêler ! Merde ! T’affiches le calibre maximume admis su’la lourde avant qu’on entrera. T’écris en tout’lettres que çu qui l’a plus forte qu’un cigarillo peut s’l’évacuer ailleurs, merde ! Sana, toi qu’as un anglais légèrement plus éloquent qu’l’mien, tu vas m’dire à c’te mijaurée qu’elle dégote un pot d’vaseline si ça lu chante, é qu’é s’laisse fourrer princesse, bordel ! Qu’aut’ment sinon, je me file en pétard pour d’bon. J’vais lu donner des cours du soir d’enfilage sérieux, moi, espère. La démarrer à la banane verte, la continuer à la courgette pour la terminer à moi, moi ! C’qu’est payé est dû, pointe à la ligne ! Allez, esplique z’y ! Merde !
Miss Wrong, à laquelle je fais part des réclamations béruréennes, hoche la tête.
— Votre ami est un surmonté, elle plaide. Je n’ai jamais rencontré d’appareil de cette taille. D’ailleurs, je serais curieuse de l’essayer, pour ma documentation personnelle ; accepterait-il que nous permutions, Dolly et moi ?
Je transmets sa proposition à Béru qui, instantanément calmé, sourit de bien aise.
— V’là une p’tite très méritante, déclare Sa Majesté. Qui r’chigne pas à l’épreuve. Explique-lui qu’j’serai délicat, Gars. J’ferai queue d’velours, av’c elle ; promis. J’entrerai su’la pointe des pieds, pas alarmer l’chat qui dort !
Il prend Suzy par la main.
— Allons, viens, ma beauté, tu l’as bien mérité.
— Minute, interviens-je. Chère miss Suzy, qui était le monsieur qui a sonné tout à l’heure ?
Elle hoche la tête :
— Un client de l’ Oriental qui m’était adressé par un employé.
— Vous le connaissiez ?
— Non, il venait pour la première fois. Je lui ai demandé de repasser plus tard.
J’acquiesce. Elle exit avec le surchibré.
Sa potesse tente de me justifier sa défaillance, mais j’en ai rien à fiche, moi, de son étroitesse de vulve. Alors je me barre, parce que je me sens gagné par une incommensurable nervouze. Une vraie pile atomique, parole !
Besoin de m’accomplir, comme on dit dans les articles sérieux des hebdomadaires.
Pour être franc avec toi : je sens des choses.
Et j’en pressens davantage encore !
Et alors, tandis que des éclaboussures d’eau me jaillissent, je me dis in petto, en catimini et autres, le gnagna suivant : « Mon Sana, tu files du very bad coton, ne t’en déplaise. Car enfin, enfin, enfin, te voici à Bangkok pour t’occuper de la disparition d’un gars de chez nous et au lieu de, tu ne penses qu’à la débalconnisation d’un vieux teuton de merde ! Ça manque de réalisme, mon cher. Même si on a trucidé ce Germain, t’en as strictement rien à branlocher, n’étant pas qualifié pour t’occuper des assassinats qui ne concernent pas la maison-mère. Et le fait que tu aies failli prendre le chuteur sur le coin de la gogne ne change rien au problème. »
Bon, très bien, je me récite ce petit compliment manière d’apaiser ma conscience ; mais il ne me retient pas de penser à cette affaire. Et, pour ne rien te celer, comme disait un marchand de cire à cacheter, je me suis installé dans la chaise longue qu’occupait l’obligeant Anglais ce matin. Et je contemple la vertigineuse façade de l’hôtel. Le soleil emplit chaque vitre de miroitements pourpres. Par-delà la rumeur joyeuse de la piscaille, me parvient celle du fleuve coulant au pied de la terrasse. Il a un nom bizarre, comme tout ici, pour nos oreilles occidentales. Il se nomme le Menam Chao Phaya . Ainsi soit-il. Et c’est fou la navigation sur cette large voie d’eau verdâtre ! Les embarcations pullulent. En général, elles sont étroites et très longues, pulsées par des moteurs dont l’arbre d’hélice mesure au moins trois mètres. Et je me demanderais bien pourquoi ils sont si tant tellement longs, ces arbres d’hélice, seulement, franchement, tu vois : je m’en fous comme de ta première culotte au jeu.
Alors, je ne me le demande pas, et c’est rudement mieux ainsi, car à vouloir connaître le pourquoi des choses, on en arrive vite à vouloir aussi en savoir le comment et dès lors tout se complique dans des proportions néfastes.
Depuis la chaise longue de l’Anglais salvateur, je considère le balcon du onzième où, tu vas te marrer, se trouve encore la ceinture du peignoir, telle une marque blanche chargée de signaler le point du drame.
Si ce gentleman a eu le temps de nous avertir du danger, c’est qu’il regardait dans cette direction. S’il regardait, il a fatalement vu basculer le Chleu. Et pourquoi, étant assis au bord de la piscine, lui tournait-il le dos, cet Anglais, à la piscaille, alors qu’il y avait tout plein de belles nanuches à contempler ? Et comment se fait-il qu’il aille visiter Suzy Wrong peu après l’accident ? Suzy Wrong qui se trouvait précisément dans l’appartement de la victime. Hasard ? Fume ! Les hasards, ce sont les pointillés qui remplacent les lettres dans les concours de mots sautés. Des solutions provisoires, en somme.
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