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Frédéric Dard: À prendre ou à lécher

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Frédéric Dard À prendre ou à lécher

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On navet jamais vu ça. Ben maint'nant on l'a. Et croye-moi, on a eu chaud aux plumes. L'péril jaune, merci bien : j'sais à présent d'quoi t'il retoume ! Quant aux p'tites gonzesses de Bangkroche, tu r'passeras ! Pas une seule qui fusse t'à ma pointure ! C't'un monde ! Comme j'dis : « Quand on veut faire pute professionnelle, faut s'assurer au prélavable qu't'es capab' d'héberger l'aillent ; même quand y l'est monté comm' un seigneur, dont c'est mon cas ; qu'autrement sinon ça d'vient d'l'abusement d'confiance, moi j'trouve. Enfin, viens quand même av'c nous en Taillelande ; si t'aimes pas le bouddha, on t'fera faire des massages. Alexandre-Benoît Bérurier.

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San-Antonio

À prendre ou à lécher

— REMARQUABLE ROMAN –

Pour Jean-Jacques DUPEYROUX,

mon fraternel,

ce livre qui restera

pour moi le plus cruel des exploits.

San-A.

PREMIÈRE PARTIE

EN PISTE

Je sors de sous l’arcade.

M’avance vers la piscaille où ça trempette à qui mieux mieux.

Du cul en pagaïe.

Des beaux, des moches, des pendants, des indépendants, des en forme de poire, des en forme de cul ; des bronzés, des blafards, des grenus, des flasques, des celluliteux, des fluctuat nec vergetures , des qui te donnent envie d’avoir envie, des qui te donnent envie de gerber. Très very impressionnant, cet étalage. Y en a qui macèrent entre deux eaux, et des qui s’étalent entre deux zoos, au soleil plantureux de la Thaïlande.

L’hôtel Oriental est un établissement de grand luxe, impec, air conditionné, vue sur tout ce qu’il y a à voir, service de classe (15 %), des éléphants statufiés dans le hall, escalier majestueux, musique à partir de five o’clock , des San-Tantonio en vente au kiosque du fond ; partie ancienne conservée, colonial pur fruit (Siam).

Tout bien, je trouve. Je raffole les hôtels de lusc, moi, l’Antonio, de pourtant modeste extradition, et probablemently à cause d’icelle. La classe, je suis preneur. Les Chinetoques peuvent venir, ou les Popoffs, les Iraniens (qui ira le dernier), les Zoulous, Cubains, concubains, toutim, envahisseurs aux dents longues et au régime fakir, j’ai goinfré ma part de turpide confort, m’en suis vautré jusque-là : regarde où je mets ma main. Et plus encore. Tout profité de ce qu’était possible, tant qu’à faire, puisque j’étais là et que ces choses s’y trouvaient aussi, hein, non ? Vivre, ça rimerait à quoi-ce, autrement sinon ? Passer outre, c’est pour ensuite, quand on connaît, qu’on en a marre, qu’on dédaigne d’à force, tu comprends ? Pour s’engager dans l’ascétisme, faut subir les langueurs de la pré-cirrhose ; la morale intime découle souvent d’une crise de foie, ou d’une bricole vasculaire ; c’est la machine qui t’alerte l’âme. Quand la viande est en rigolade, la conscience ne se pose pas de problèmes.

Je te dis ça, mais t’en as rien à branler, pas vrai, l’arsouille ? Et t’as hautement raison, raison au point que c’en est dégueulasse. Et alors bon, attends, bouge pas, ça va commencer, mon petit fourbi.

Je sors de sous l’arcade ombreuse.

Béru me flanque.

Ça veut dire qu’il m’accompagne. Je suis flanqué de Béru, quoi !

Qu’en surplus, il me flanque la refouille, tel accoutré qu’il est, l’apôtre, d’un bermudoche à rayures jaunes et mauves et d’une sorte de casaque de toile blanche à poche marsupiale. Le blanc, c’est néfaste pour Béru, vu que ça n’est qu’un fond de sauce pour cézigue. Le temps du petit déjeuner, et voilà cet élément vestimentaire étoilé de jaune d’œuf, de côtes-du-Rhône, de café et de graisses variées.

On s’arrête pour contempler la faune en barbotance, les gonzesses surtout. Y a précisément des mannequins de Paris venus présenter la collection d’hiver prochain aux Bangkokiennes et qui en jettent dans des prémonitions de maillots (on peut même plus employer le mot soupçon). Ces maillots soulignent juste ce qu’il y a à voir d’essentiel pour les gens pressés, ceux qui matent en hâte. Maillots deux pièces (avec cuisine) tellement inexistants qu’on leur voit la gnougnoute comme je te vois (et espère que le plus con des deux n’est pas celui qu’on pense). Des gus langourent de la bite sur des chaises longues en visionnant les naïades. Des vilains moches à frimes tibulaires et pas tibulaires, selon. Des ventrus, velus, vieux cons, variqueux, plissés soleil, qu’ont relevé leurs besicles solaires sur le front pour contempler en couleurs naturelles. Ils en bavent, les Kroums. Babines garnies de stalactites-branlettes. Le mâle, t’empêcheras jamais : il est convoiteur. Même fané de la zoute, faut qu’il s’énucle sur les géographies des donzelles.

Et alors mon attention vadrouilleuse est sollicitée par l’attitude d’un mec, le plus proche de nous, qui, loin de se déhucher les lotos, mate dans la direction opposée, c’est-à-dire la nôtre.

Un homme pas mal, bien que visiblement britannouille. Cheveux plats, raie basse, z’yeux indifférents, mâchoire en tiroir mal fermé.

Il tend un bras vers nous, fait claquer deux des cinq doigts qui l’aboutissent et dit :

— Vous devriez reculer, gentlemen !

Y a du péremptoire dans sa voix. Bien que de nature indocile, je l’obéis d’instinct, amorce un grand pas en arrière en contraignant Béru à m’imiter d’une rebuffée prompte.

Et j’ai eu raison d’agir ainsi, car à la seconde où nous achevons ce double mouvement, une masse sombre passe au ras de nos frimes et s’écrase à nos pieds, sur les dalles, avec un bruit malencontreux.

Il s’agit d’un gros mec habillé d’un peignoir de bain brodé au nom de l’ Oriental , lequel, je te le répéterai jamais suffisamment assez, est un palace de toute première catégorie qui mérite à lui seul le voyage à Bangkok.

* * *

La chiasse, dans ces circonstances, c’est les éclaboussures.

T’es là, pimpant, rutilant comme la vitrine Cartier, tu fais dans le play-bois, t’arbores, tu frimes, et puis un gros gonzier se défenestre et tu te retrouves, à l’instant même, moucheté comme un para.

Non, mais je te jure : tu verrais mon futal de toile blanche, ma limouille jaune pâle, mes tartisses de toile immaculées comme la conception, tu chialerais de les constater ainsi dépradées : des fringues made in de Blausse, à Cannes (06) ! Enfin, l’essentiel c’est la santé, non ? Comme disait l’autre : on aura beau dire, on aura beau faire, plus ça ira, moins on rencontrera de gens ayant connu Sarah Bernhardt (laquelle se nommait en réalité Rosine Bernard comme quoi tu vois, y a pas que les Blumenthal qui se font appeler Lafleur). Et moi, j’ajoute à cette assertion que plus ça ira, moins on rencontrera de gens capables de vous sauver la vie. J’en sais des chiées qui, à la place de l’Angliche, auraient contemplé le spectacle, ravis de l’aubaine ; attendant que le gros gnouf tombé du ciel nous choie sur les endosses, moi et Béru, nous déguisant en crêpes bretonnes ou hamburgers. Un Rosbif, ça cause peu, mais à bon escient, tu me diras pas le contraire. Net et précis, sans crier gare, alors que c’était le mot à lâcher. Mais il aurait crié gare, j’aurais cherché pourquoi et le temps de ramasser mister La Volplane sur la gueule, vrrraoum ! Non, lui, le gentil Britiche, il a tout de suite su la manière de nous éviter l’aérolithe : « Vous devriez reculer, gentlemen » Et nous avons reculé. Et au lieu que des gens nous forment le cercle autour pour examiner la flaque qu’on serait devenus, moi et le Gravos, c’est Mister Gras-Double et Monseigneur Moi-Même qu’on est au premier rang des spectateurs.

Le voltigeur s’est planté la bouille première, si bien qu’il a percuté du menton, et alors sa physionomie s’en est trouvée quelque peu altérée. Trace une ligne droite de ses arcanes souricières (comme dit Béru) à son larynx et tu pigeras que sa nouvelle tête ressemble à présent à un bonnet de bain, car il est chauve comme une carte de l’ American-Express , l’ami. D’une largeur inhumaine, bedaine étale, membres disloqués.

Les naïades poussent des clameurs, les vieillasses évanouissent ou font semblant. Un vieux crabe à tronche de sadique professionnel se met à tripoter dans la bouillie de visage, à gros doigts avides, comme un qui cherche ses lunettes dans la boîte à gants de sa bagnole.

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