Et je coule ma main le long du collant. Cul-de-sac ! Tu sais ma marotte ? La haine spontanée, je la connais par le collant féminin. Tu pars du genou, tu fais la bébête qui monte qui monte ; et puis tu décris un virage en épingle à cheveux (ou en fer à cheval quand la gonzesse n’est pas potelée à point) et tu redescends.
Dedieu ! Je chope Anny par les brancards et la tire en avant, jusqu’à ce qu’elle soit dans la posture d’une mitrailleuse. Elle n’a pratiquement plus que le dos sur le fauteuil. Et tu sais pas, son collant ? Avec les dents je le lui arrache ! Elle gueule parce que ça lui déplume le cœur d’artichaut, mais ma voracité la dédolore, en fin de compte. Je pars pour le bel exploit sans ambiguïté, grand service à la carte.
Il fait jour, plein soleil. Ah ! Phébus, ne rougis pas, et glorifie de tes rayons ce qui se perpètre.
It’s a long way to the bed ! Il nous faut vingt minutes pour gagner mon plumard, bien que deux pauvres mètres nous en séparent. Chemin de croix adorable ; chemin de cris, chemin de plaintes. Ainsi va la charrue dans la terre beauceronne… Et puis, la couche enfin, où notre amour s’allonge…
Jouez au bois, résonnez, bals musettes !
De feux en artifices et d’artifices en fesses.
Joie sans (et avec) mélange.
Et puis le dénouement. Le calme qui revient, la mer qui s’apaise. L’affreux jojo qui refait le modeste. Passant, ici repose un héros fier et doux, dont les nobles vertus égalaient le courage (épitaphe de Don Quijotte).
Epuisée, Anny se blottit contre moi et s’endort.
— Non, mon âme, fais-je en caressant tendrement sa joue avant de dormir, tu vas tout me dire.
Il est des mots qui réveillent l’endormant plus sûrement qu’un seau d’eau froide.
Anny rouvre ses jolis yeux cernés.
— Te dire quoi, mon amour ? balbutie-t-elle.
— Un doigt de vérité additionné de beaucoup de détails, chérie.
— Quelle vérité ?
Je caresse ses adorables hanches, bien fermes, veloutées, conçues pour des mains d’artiste, comme les anches (sans h) d’un saxophone.
— Tu connais la vieille, très vieille histoire du monsieur qui rentre inopinément de voyage ? Il trouve, en plein après-midi, sa femme nue dans leur lit, s’étonne. « J’étais souffrante », dit la dame. Le monsieur aperçoit alors des chaussettes rouges sur le tapis alors qu’il n’en a jamais possédé. « C’est celles de mon frère », répond la dame. Le monsieur avise un mégot de cigare dans un cendrier, or il ne fume pas. « C’est celui du tapissier qui est venu poser les rideaux », rassure l’épouse. Continuant ses investigations, le monsieur ouvre l’armoire et se trouve nez à nez avec un type à poil. « Qu’est-ce que vous fichez là ! » tonne le mari. Alors le gars murmure : « Ecoutez, si vous avez cru les explications que madame vient de vous donner, moi j’attends le métro. » Anny, ma chère âme, si tu penses que je trouve normales ta présence à San Antonio et tes relations avec Bob et Maggy, si tu crois que j’ai trouvé normale ta venue dans ma chambre de Berne, le lendemain de l’agression, si tu crois cela, ma chérie, je te donne ma parole qu’en ce moment j’attends le métro.
Elle sourit, noue ses mains sous sa nuque et se met à contempler le plafond, comme souvent les dames qu’on vient de baiser.
— A quoi bon finasser, en effet, dit-elle.
— Je te le demande humblement.
— Maman est anglaise.
— Il n’y a pas de sots métiers, la rassuré-je.
— Ç’a été quelqu’un de très actif pendant la guerre ; elle appartenait à l’I.S.
— Et tu as repris le flambeau ?
— Exactement.
— Marrant, il est des enfants qui reprennent le cabinet médical ou la charcuterie paternelle, toi tu as repris le fond d’espionnage de maman, c’est joli et quasi moral ; je la raconterai, plus tard, à mes enfants, après « Le Petit Chaperon Rouge ».
— Cela dit, j’appartiens vraiment à la Burnkreuse Petroleum Company.
— L’ami Rameau, il fait dans quoi, lui ? C.I.A., Guépéou, I.S., ou quoi d’autre ?
Elle secoue sa joie tête.
— Il fait dans le pétrole, uniquement. Votre rencontre a été tout à fait fortuite.
— A voir.
— Pourquoi te cacherais-je quelque chose, puisqu’on se dit tout.
— Tu collabores avec le général Blackcat ?
— Affirmatif.
— C’est lui qui t’a chargée de me… couvrir ?
— Affirmatif ; bien que ce soit le contraire qui se soit produit, ajoute la mutine en m’empoignant sans vergogne le tergiverseur d’ambivalence (Espagne) dans l’espoir avoué de s’en faire un tabouret.
— C’est toi qui m’as fait prévenir que je devais me rendre au Grossbitrhof , puis au Ran-Tan-Plan ?
— C’est moi.
— Et qui m’as averti que je devais me méfier du couple de Jaunes ?
— Toujours exact.
— Tu m’expliques tout de suite, ou bien je trouverai les réponses dans le prochain numéro du San Antonio Tribune ?
— Tu sais bien que dans mes occupations, on n’explique rien, disons que notre succursale suisse avait à l’œil une équipe de Nord-Coréens dont on savait qu’ils s’intéressaient à l’affaire Stone-Kiroul…
— C’était bien le colonel Müller qui devait me contacter au Ran-Tan-Plan ?
— Oui.
— Et Rameau a réellement joué au con, ou bien travaille-t-il pour une autre maison et a-t-il voulu me squeezer ?
— Il est génial dans son boulot, mais assez stupide dans la vie. C’est un scout qui a mal vieilli ; avec des problèmes métaphysiques, des fantasmes et une jugeote de serin. Il s’est flanqué sous les roues de ton enquête comme un aveugle sous celles d’une auto.
— Admettons. Je crois que l’I.S. s’est montré singulièrement cavalier avec moi. Depuis le début, les gars ont décrypté le message, mais ils ont feint de se fourvoyer en me faisant porter le balla afin d’avoir les coudées franches ici.
— C’est possible ; je connais mal l’affaire, je ne suis qu’un rouage.
A propos de rouage, elle est drôlement en train de remonter le mien ; elle va faire péter le ressort si elle continue à s’activer de la sorte ! Mince de vigoureuse ! Le champignon, médème, faut pas lui en promettre ! Avec sa pomme, tu peux pas te faire remplacer par une banane Chiquita. Et la voilà qui moule la converse pour me tutuyer l’invertébré ! A bout portant !
Je sors les aérofreins et le parachute de secours. D’un ton pâlot, je demande :
— Bob et Maggy, raconte !
— Mouaggy hé hune fouille wa naous ! consent-elle à expliquer laborieusement.
Merde, une femme de cette classe ! sa maman qui lui a mis le pied à l’étrier ne lui a donc jamais dit que c’était pas poli de causer la bouche pleine !
— Maggy est une fille à vous ? traduis-je de la pipe.
— Mwoui.
— Elle surveille l’équipe de France, si je puis me permettre un tel calembour au moment ou tu satisfais à la fois mes sens et ma curiosité ?
— Mrn-waoui. Hmmmm !
Comme l’a dit le grand Pierre Dac : « Il ne faut jamais faire le jour même ce que tu peux faire faire par un autre le lendemain. » Au lieu de pousser l’interrogatoire, je me laisse embarquer pour un deuxième tour de circuit.
En plein radada, si ce n’est pas honteux !
Au moment précis où j’exécute à Anny le coup du postier vaudois ! Une cuisse au-dessus de tout soupçon ! Au plus fort de la partie, alors que je mène quatre jeux à deux dans le troisième sexe après avoir remporté les deux premiers !
Elle est là, la pauvrette, emperlée de la plus radieuse, de la plus émouvante des sueurs, quand ma porte s’ouvre sans fracas, mais avec décision. Trois mectons sont laguches : le garçon d’étage qui vient de jouer son petit solo de passe-partout, un grand pustuleux à moustache de rat asthénique, captivé par la manière dont se pratique le coït franco-helvétique ; plus deux balaises taillés dans un bloc de fonte, et que tu croirais, l’un et l’autre, la caricature de John Wayne réalisée par mes trois chers mousquetaires Mulatier, Morchoisne, Ricord, les empereurs du dessin déformant.
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