Quand l’hymne ricain est fini, je comprends que c’est à mégnace-gommeux de jouer.
J’empare la médaille.
M’approche du magnat maniaque.
S’agit de trémoler un peu, pour créer l’ambiance. Que juste, il me vient un pouème que je te bénéficie dans la foulée :
Déroulède ?
Des roux l’aident
A dérouler
Des roues laides .
Aragon n’a jamais fait mieux, je m’excuse. Çui-là, faut que je l’adresse à quelqu’un en hommage. Tiens, à M. maître Rheims, pour le remercier de m’avoir offert un Grand Prix de l’Académie française du dix-huitième siècle en parfait état, juste une trace de monture et quelques taches de moisissure.
Ma petite médaille aux doigts, je m’avance jusqu’à l’hurluberlu pour déclamer, d’une voix de store (Béru dixit) :
— P. J. France, en vertu des pouvoirs qui ne me sont pas conférés, en mon nom et sans celui du président de la République Française, je vous fais Grand Officier de la Légion d’horreur.
Mffui mfuifff, deux bises dans la barbouze. L’orchestre, pas bêcheur, attaque la Marseillaise . Minute de toute beauté. Tiens, prends-la, elle est à toi.
Mister France a les larmes aux yeux. Si beau, avec sa barbe, sa veste à revers de soie, sa Légion d’honneur, son slip de bain, ses beaux pattounets pédicurés.
On doit être frais, tous, immobiles sous le ciel texan dans lequel monte la chanson de Rouget de Lisle.
Croquignolets.
La cérémonie prend fin, musicos et photographes s’esbignent.
P. J. tombe la veste décorée et va piquer une tronche dans la piscaille en compagnie de son camarade de franche connexion. Oh ! les jolis dauphins ! Comme ils s’ébattent bien, se frôlant, plongeant, jaillissant, geysérant à qui mieux mieux ; barbes irisées, ventres comme des bouées d’amarrage, rires déployés.
Deux larbines venues silencieusement les attendent, pareilles à des chauves-souris, en tenant de grandes serviettes de bain noires déployées. Avec leurs combinaisons noires idem, il ne leur reste plus que de se suspendre la tête en bas pour parfaire l’illuse.
Les deux gros messieurs se laissent sécher, bichonner. Puis changent de slip avant de passer à table.
Celle-ci a été amenée au bord de l’eau vert émeraude. Toute dressée. Et faut voir comme !
— Vous ne prenez pas un petit bain avant le lunch ? s’inquiète mon hôte.
— Non, merci, j’ai déjà batifolé dans la piscine de mon hôtel avant de venir, mister France.
— Deux bains valent mieux qu’un, assure Barbamorpions.
Et comme il déclare, son gros vilain julot de merde se rue sur ma pomme et d’un coup d’épaule forcené me propulse à la baille.
Je me retrouve dans la tisane comme un glandu, avec mon costar d’alpaga et mes mignons croquenots de chez Jourdan, le bottier qui me botte. Un brin furax, espère. L’envie me démange d’assaisonner la grosse gonfle à barbe, de lui savater la frime d’importance avec, en conclusion, un shoot terrifiant dans ses petites sœurs des pauvres.
Grabotteux, spongieux, ruisseleux, je m’arrache aux tentacules de la piscine. L’escadrin de bronze doré est dur à gravir, ainsi trempé.
Bien entendu, ces deux sagouins sont pliés en deux. Je découvre enfin le rire du giton qui ressemble à un piège à loup dans un tas de broussailles.
Alors moi, tu sais quoi ?
On ne se refait pas, que veux-tu… J’ai beau être invité… Avoir une mission au four…
Je chope la table chargée de verreries, porcelaine de Sèvres-Babylone, cristaux, argenterie, caviar, vodka, toasts. Et vlaouff ! D’une détente, la file au jus.
Ça tourne à la branquignolade, ma visite. Au Laurel et Hardy belle époque.
Le gars France cesse de rigoler, son julot aussi. Ils regardent flotter les assiettes creuses, un instant avant de couler, et la nappe se gonfler, et le caviar se délayer (une boîte de cinq kilogrammes !).
— Au revoir, m’sieurs-dames !
J’adresse au couple un salut détrempé de la main. Et puis fais demi-tour.
Leurs regards me charançonnent le dos.
Malgré la chaleur, je claque des dents, because ma détrempe. Un gonzier fringué, lorsqu’il sort de l’eau, il trembille, normal.
Je quitte l’immense terrasse en me disant que ces deux zozos, merci beaucoup, ça finit par faire trop pour un seul homme.
Et je m’engage dans une allée bordée de plantes vives, très hautes. Elle oblique à droite. Je prends à droite. Ensuite, elle débouche sur une autre allée père-pend-dix-culs-l’air.
J’hésite, chope à gauche, mon agitation, ma rage m’empêchent de me concentrer.
Ce n’est qu’un bout d’un petit moment que je réalise la vérité : je suis paumé dans le labyrinthe.
Ça se sardaigne, non [4] San-A. très étourdi s’est gouré d’île. L’éditeur
?
Un labyrinthe, à notre époque, je vous demande un pneu ! Grotesque. Le Petit Poucet (il a beaucoup grandi) sans cailloux à semer avec un « x » au pluriel.
Je sais qu’il est inutile de paniquer, car tu ne fais que rendre la situation plus inextricable. Or, j’ai besoin d’extriquer dans les meilleurs délais. Déjà, je regrette mon coup d’humeur. Me fallait entrer dans la farce bien totalement et subir sans jouer les D’Artagnan. J’aurais fait cette visite juste pour décorer un fou et gâter un costar coupé impec.
Et puis me voilà perdu dans des méandres sans fin, prisonnier de haies d’épineux, teigneuses et infranchissables.
Je m’arrête donc pour me repérer au ciel ; mais le ciel est d’un bleu incommensurable et joue à te donner des notions d’infini. Seul le soleil me permet de situer approximativement les quatre points cardinaux (lesquels ne sont pas toujours pourpres comme le laisserait entendre leur qualificatif).
J’écoute, guettant un bruit de pas. Mais le sol est revêtu de faux gazon, comme on en pose autour de certaines piscines intérieures.
« Baste, me dis-je en aparté, malgré leur dinguerie, ces gens finiront bien par s’inquiéter de mon sort. Quand ils s’apercevront que ma bagnole est toujours là, ils enverront une caravane de secours. »
Malgré ce point de vue optimiste, une heure s’écoule sans modifier ma solitude ni la vanité de mes errances. Alors, merde ! je me mets à héler, bien que cette solution me paraisse peu digne de mon personnage. Il n’y a que les enfants perdus et les soldats qui meurent, pour crier « Maman ! » Voilà pourtant ton Antonio qui égosille des « Hello ! Ohé ! On peut m’envoyer un guide ? » qui n’ajoutent rien à son standinge.
Mais j’ai beau m’effilocher les cordes vocales, personne ne se pointe.
Je m’assois en tailleur au milieu de l’allée faussement engazonnée. Il s’agit de conserver la tête froide, Tonio chéri. Facile à dire, le mahomet à la verticale me cicogne le bulbe méchamment. Mes fringues sont déjà presque sèches. Manière de faire quelque chose, je sors le contenu de mes vagues : papiers détrempés dans le porte-cartes de croco à coins d’or, dollars mous comme des dinars, stylobille à agrafe de ferraille, je te le répète, lunettes de soleil, mon sésame (dérisoire dans cette prison sans portes), pochette d’allumettes que l’eau a rendues pâteuses, petite loupe pliante qui m’est souvent utile pour examiner des indices…
La loupe ! Ah ! la good idea ! Bravo, Santantonio !
Je me redresse et musarde le long de la haie, à la recherche d’une plante desséchée. Tiens, voici une branche de conifère morte, dont le brun foncé m’enchante.
T’as tout pigé : branche morte, loupe, soleil ardent ? Mes compliments. Faut dire que tu as ton certif ; on a beau critiquer, mais l’instruction stimule les fonctions cérébrales.
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