Maintenant, tout est silencieux, sauf qu’on perçoit des gémissements par intervalles irréguliers. Je me pointe dans le hall. Notre pauvre lion finit sa pauvre existence en héros, touché à mort par la balle qui a dû lui sectionner une artère ; il s’est vidé de son sang. Il halète. J’approche de sa bonne bouille une lampe électrique trouvée dans la main d’un égorgé. Il a les babines ruisselantes de sang, de la viandasse humaine entre les dents. Il parvient à se passer des coups de langue sur le museau ; son regard est vitreux, pourtant, j’ai l’impression qu’il peut encore me voir et qu’il continue de m’approuver. Il me remercie de lui avoir accordé une fin à grand spectacle, au lieu de le laisser s’étioler dans sa roulotte déglinguée. Je suis un pote. Son ultime providence. Ça valait le coup !
Je cherche Béru, il n’est nulle part. Je le hèle. Son mâle organe me répond :
— J’arrive.
Et il apparaît, en effet, tranquille comme la mer à la tombée du jour, massif, dominateur.
— Où en es-tu ? questionné-je.
— En ceci, rapporte l’Immense. J’ai trouvé une bioutifoule chambre avec deux gonzesses dans un plumard qui m’ont l’air assez friponnes. En tout cas, elles n’ont pas peur de moi. J’te signale qu’a une aut’ pièce d’ la masure qu’est fermée par un panneau d’acier épais comme çu d’un coff’. Ça doit z’êt’ une chambre forte où qu’on r’mise les valeurs.
Il ajoute :
— Slave dit, tout l’ mond’ ici, il est clamsé ou endormi, mises à part les deux gonzesses. Y reste pus qu’ les cadors, dehors, qui continuent d’ chocoter biscotte notre pote lion.
Je lui raconte que Vera est sauve, sinon saine pour le moment.
— Qu’est-ce tu croyes ? me demande l’artiste. On se taille ou on prend pension ?
— Je veux attendre le réveil d’un type que je viens d’endormir. Ça m’a l’air d’être le chef de l’organisation ; quand il sera réveillé, je le cuisinerai pour avoir des explications. En attendant, il faut ligoter les gardes de l’extérieur pour parer à toute surprise.
— C’est l’affaire d’ deux minutes, déclare le Gros, si tu permettrais, ensuite j’aimerais aller bavarder avec les migonnes de la piaule. S’lon moi, c’sont des exclaves, ou dans le genre, que le taulier se paie quand sa zifolette fait sa coquette. Quéqu’chose comme son n’harem, quoi. Y a pas d’ raison d’ laisser perd’ cette belle marchandise.
Quand il avait compris que sa résidence était investie, le Tout-Puissant avait actionné le système de sécurité qui transformait son appartement privé en fortin. Heureusement que le rideau protecteur s’actionnait à la manivelle, sinon, sans électricité, il n’aurait pu le baisser. Il avait dû tourner lui-même le petit volant logé dans une niche, derrière une tenture. La manœuvre ne nécessitait pas un gros effort physique, et pourtant elle épuisa le vieil homme. Quand il eut terminé, il goba une pilule, puis s’effondra dans un fauteuil. La lampe de secours allumée par Kriss au moment de la panne répandait une clarté blanche, un peu crue, qui éclairait trop durement ce qu’elle touchait de son faisceau, tout en laissant le reste dans la pénombre.
Le Tout-Puissant ne percevait plus aucun bruit. Il était coupé du reste du monde, faute de courant. Son système de phonie ne fonctionnait plus. Même le téléphone restait désespérément muet, inerte, privé de la moindre sonorité.
L’homme respirait difficilement, une main appuyée sur sa poitrine. Lentement, grâce au médicament, son souffle se rétablit. Il se sentit en pleine détresse. Il avait cessé d’être le Tout-Puissant. Il n’était plus qu’un malheureux bonhomme enfermé dans une pièce blindée.
C’est alors qu’il poussa un cri d’agonie en songeant à ses deux filles. Il s’arracha de son siège pour se rendre jusqu’au judas permettant de regarder dans la chambre voisine.
L’obscurité enveloppait cette dernière, comme l’ensemble de la maison. Le Tout-Puissant comprit qu’il ne pourrait rien apercevoir tant qu’il y aurait de la lumière dans la pièce où il se trouvait. Alors il éteignit et retourna au judas.
A force de fixité, il finit très vaguement par distinguer des ombres très floues, grâce au peu de clarté nocturne filtrant par les stores fermés. Son regard avide s’installa dans les ténèbres, conquit un rien de vision qui lui permit d’apercevoir, de deviner plus exactement, la présence d’un gros homme à demi nu dans le large lit de ses princesses. Le gros homme paraissait faire l’amour à l’une d’elles. Il agitait son gros fessier en cadence.
Le Tout-Puissant blêmit. Il poussa un cri de pauvre et tomba à genoux, le front contre la cloison.
Chapitre XIV
LA KERMESSE HÉROÏQUE (fin)
Toujours concentrer ses forces.
C’est pourquoi j’ai amené Vera dans la chambre du « harem », puis le type en noir qui roupille comme un sénateur en séance.
Sa Majesté à l’appétit renouvelé, toujours disponible et perpétuellement en état de grâce, est en train de combler ces demoiselles. Il prodigue des mots tendres, tout en s’efforçant. C’est un poète, Alexandre-Benoît. Il laisse parler son âme. Il dit à la môme qu’il adore emplâtrer une babasse pareille, que merde, elle s’est entraînée avec des ânes ou des magnums de Dom Pérignon pour être aussi accueillante, Ninette. Qu’elle bat la pauvre dame Trabadjalamouk, laquelle cependant pouvait se payer les rois du chibre, pet à son âme ! D’ailleurs il pète, en hommage.
Il annonce que, pas de jalouse ! il va l’interrompre un peu pour entreprendre sa petite copine, laquelle semble vouloir sa part de trésor : qu’à preuve elle lui palpe les aumônières de façon pressante et reste collée à eux, la chérie. Allez, bye ! Ce n’est qu’un au revoir, ma sœur ; ce n’est qu’un au revoi oir… A toi, maintenant, fleur de gazelle ! Montre voir un peu le comment t’est-ce t’es conformée de l’entr’sol, ma poule ! Ho ! ho ! mais c’est encore plus pire que ta copine ! Alors là, tu bats le record du monde ! T’as fait la danse de la citrouille, ma gosse ! Si jeunette et déjà le frifri en porte de grange, merde ! Mais comment t’est-ce t-il qu’elles sont-elles, en Egypterie, les frangines ? D’accord, c’est le patelin des obélixes, mais on se demande quand même. On les prépare au berceau, non ? Y a des écoles d’harems, il devine, Sir Béru. Ils ont des cours de fignedé matin z’et soir. En sixième, c’est banana’story ; en cinquième, l’aubergine follingue ; en quatrième, la courgette vadrouilleuse ; et ainsi de suite. Il charge fringant, Messire. Toujours impec, son style. Farouche, appliqué, régulier, bûcheronnesque. La harde sauvage, en rase campagne. Ça se déploie en grand, en gros, en profondeur. Il investit scrupuleusement, sans rien laisser au hasard. Il exhorte la première de lui lâcher le rossignol d’amour, qu’autrement sinon elle va écourter la séance, le balancer dans les découillances précoces, Mister Bigbraque. Or, lui, il entend contenter ces belles. Les mener à bien, sur l’air de Monte là-dessus et tu verras Montmartre . Que chacune aye sa part de bonheur, il souhaite. Altruiste. Un égoïneur égoïste, il aurait pas de ces scrupules louables. Il virerait son mazout en pleine mer et démerdenzi !
— Franch’ment, tu veux pas m’accompagner un peu ? propose le Sublime entre deux ahanements. Si le cœur t’en dit d’un petit canter av’c la première ?
— Non, non, thank you very much , Mister Dunœud, pour vous tout le bonheur !
Bon, alors il pique des deux, rattraper son bref retard dû à sa civilité.
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