— Béruuuuuu ! m’écrié-je, affolé.
Il me rassure de la main.
— Tout au cœur, tu parles d’un flingueur ! Buffle-à-l’eau-bille ! L’choc m’a culbuté, Dieu d’ Dieu ! Reus’ment qu’Berthy m’a offerte c’délicat objet pour mon anni !
Il retire de sa poche intérieure un flacon d’argent, plat, destiné à contenir quelque remontant, mais qui, plus jamais ne pourra remplir sa mission, ayant écopé de quatre balles groupées.
Bon, et maintenant ?
— Eh bien, maintenant, ça chauffe dans la cour.
CHAPITRE XXIX
LA GRANDE FIESTA
Achille Parmentier se demande s’il est vraiment foutu. Une paralysie doucereuse le gomme par le bas. Il a l’impression que son corps plonge dans un bain d’acide et s’y dissout progressivement. Ce que sont ses blessures ne l’intéresse pas. Il est tendu vers une idée fixe. Alors, il se met à ramper, prenant appui sur les coudes ; mais il a de la peine à charrier son hémisphère Sud. Il est si faible, à la fois glacé et brûlant. Glacé du bas, brûlant du haut. Tête en feu, bouillonnante, le sang fait comme la lave d’un volcan sur le point de gerber. Mais Parmentier veut réussir. Il le faut. Une dernière satisfaction à s’offrir.
Il a vaguement perçu des coups de feu, en provenance de son entrepôt. Qui fait la guerre à qui ? Il s’en fout. Y a probablement des poulets dans l’histoire ; ou alors des bandes rivales, ou bien… Et merde ! Il n’importe. Lui, il a une bonne blague à faire avant de crever. Un baiser d’adieu à adresser à la foule. Toute sa vie, il s’est fait chier, Achille Parmentier. Un insatisfait congénital. Il a mené des études brillantes, mais qui n’ont débouché sur rien de très positif. A cause d’une femme qu’il adorait et qui, la salope… Air connu ! Tout le monde, peu ou prou. Chagrin d’amour ne dure qu’un moment… Tu parles ! Après le chagrin reste… le reste !
Bon, il faut qu’il contourne le fauteuil afin d’atteindre l’autre côté de son bureau. Chaque centimètre le mine. Il n’en peut plus, faut y arriver pourtant.
Après, O.K., il dira bonsoir. Monsieur Loyal. Boubouroche. Il a tutoyé le crime comme on entre aux beaux-arts, sans être particulièrement doué, en espérant que la fonction créera l’organe. Allez, Chilou : du cran ! La mort peut bien attendre un peu.
* * *
Stevena voit déboucher trois cow-boys, armes en main. Leurs gueules ressemblent à celles des héros galaxiques des bandes dessinées : géométriques, tout en ombres. Déterminés au-delà du possible. Il ne leur échappera pas. Ils ne défouraillent pas biscotte la fille, ou plutôt non : à cause de la valise. Ils craignent que ça se casse à l’intérieur.
Il ne va pas pouvoir goupiller son départ dans des conditions valables. D’autant que les coups de flingue rameutent les passants. Ça fait cercle alentour. La décarrade va pas être de la nougatine. Les trois grands méchants l’incommodent. Des Ricains, c’est signé. Tu peux pas trimbaler des frimes pareilles sans être made in U.S.A., impossible.
Il faut agir. S’il canarde, ils répondront et ça doit composter juste, ces G’men ; des pros ! Tiens, leur formation, en triangle. Tu croyais qu’ils étaient restés groupés, toi ? Fume ! Instinctivement, ils se sont déployés. Bon, alors ?
Une idée lui vient, diabolodiabolique.
— O.K., il leur crie en anglais, la valise contre ma liberté, sinon ça va être Fort Alamo, ça joue ?
Y en a un auquel il reste du sang jaune ; il paraît être le chef du trio. Il lance :
— O.K. !
Juste deux lettres, c’est bien pratique au lieu d’aller faire des discours à n’en plus finir.
Alors Stevena dépose la valise sur le pavé inégal de la cour. Plein de gens regardent à travers les grilles, passionnés, mais chiasseux, prêts à décamper si ça canarde.
Stevena fait un pas en arrière, puis deux. Les Ricains fixent la valise.
— Si vous bronchez avant que je sois parti, je défouraille dedans, annonce Stevena.
Effectivement, il braque la valoche. De sa main libre, caché par la fille morte de trouille, il prend dans sa poche une sorte de kiwi métallique. Tu comprends : il lui fallait récupérer l’usage de son autre main pour agir ainsi, d’où le marché proposé Du pouce, il actionne un cliquet, assez pareil à celui qui actionne un briquet. Puis il compte posément ; dans sa tête :
— Zéro, zéro un, zéro zéro deux, zéro zéro trois.
Poum, servez chaud.
Il balance le kiwi de métal, pas de façon héroïque, non, benoîtement, à la joueur de pétanque : toujours éviter les gestes brusques. Qu’ensuite, il se fait tout petit derrière Marie-Anne Dubois (dont on fait les pipes).
Putain, cette déflagration ! Du concentré d’automate ! Si je devais, moi, l’auteur éminent, « écrire ce bruit », me faudrait tant et tant de points d’exclamation qu’il en resterait plus un seul pour mes confrères quand ils écriraient « bigre ! ».
Les trois Ricains morflent, la môme aussi.
Ça rougeoie, ça poudroie, ça merdoie ! Stevena lâche la môme, bondit sur la valoche, l’empoigne et, cessant de finasser, joue son va-tout, que tant pis pour la casse.
Un superbe garçon du nom de San-Antonio met le nez à la porte. Il voudrait tirer, seulement le nuage consécutif à l’explosion l’en empêche, et comme, derrière le fuyard, se trouve la populace en fuite, il risquerait de se produire une bavade. Alors, cet être chevaleresque renonce à son dessein.
Pendant ce temps, Stevena avec sa valoche a rejoint sa bagnole. Son démarrage, même dans Bullitt y a pas le même. Il fonce comme un dingue. Le sang dégouline de son cou, mais, ouichtre, il soignera cela plus tard. Il est très calme, souriant. Il a gagné. Tant pis pour Boris qui ne participe pas au triomphe.
* * *
Achille Parmentier est maintenant devant l’autre zone de tiroirs. Ce qu’il cherche se trouve dans celui du haut. Jamais il ne pourra se dresser suffisamment pour l’atteindre. Il n’est plus qu’une poitrine pourvue d’une tête et de deux bras. Le reste a disparu. Il va devoir renoncer. Oh ! Seigneur ! Si près du but. Il regarde ce putain de tiroir, tout goguenard, là-haut. Dressé sur ses coudes, Parmentier se sent plus dérisoire qu’un pingouin.
Il essaie d’élever le bras, mais il est loin du compte. Alors, quoi ? On ferme ?
Il tente de reprendre des forces, de rassembler assez de lucidité pour pouvoir bien cerner la situation. Il est français, Achille Parmentier. Un Français se doit de systèmeder dans les cas importants. Mais il demeure hébété. Ses yeux embrumés se posent sur la jambe de l’homme mort, toujours acagnardé contre le fauteuil dans une attitude hallucinante. Le pantalon s’est retroussé et il aperçoit un poignard très long, fixé contre le mollet dans une gaine spéciale. Parmentier avance sa main tremblante. Il palpe, il s’évertue. Finit par s’emparer du poignard. Voilà ce qu’il lui fallait. Il se rassemble contre le bureau, engage la pointe de l’arme dans la poignée chromée du tiroir supérieur. Puis il tire. Heureusement, dans ces meubles ultramodernes, tout fonctionne avec des roulements à billes. Un vrai velours. En anglais : velvet .
Docile, le tiroir coulisse, mais, parvenu à bout de course, il reste bloqué, formant une espèce de petit auvent ridicule au-dessus d’Achille Parmentier.
* * *
Stevena a levé le pied, comprenant que s’il continuait à cette allure, il ne tarderait pas à avoir des motards aux miches.
Son objectif ? Regagner Versailles, la grande maison où, à présent, deux cadavres sont en route pour la kermesse des asticots. Une fois là-bas, il planquera la valoche dans le jardin et téléphonera à Vienne. On lui enverra du dépannage ; on lui doit bien ça. Il exulte toujours, enivré par son fabuleux coup d’audace. Combien étaient-ils dans cet entrepôt de brocanteur à le canarder ? Une bonne demi-douzaine. Et il a eu raison d’eux, à lui tout seul. C’est même pas un mal que l’ami Boris y soit resté, son triomphe n’en est que plus éclatant. Il est déjà avenue de la Grande-Armée. Protégé par le flot des voitures, il pilote sagement. La valise brille sur le plancher de l’auto, côté passager.
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