Boris poussa la porte.
— Vous nous avez bien dit d’entrer ? demanda-t-il avec civilité.
Achille Parmentier sentit son courage dévaler au fond de sa personne et peser fort sur ses sphincters. La perspective de souiller son pantalon l’effraya et il fit un immense effort.
Les arrivants retirèrent les deux sièges dont les socles étaient coincés par les jambes de leurs victimes, ils les rapprochèrent du bureau de l’antiquaire, Boris plaça même le sien de l’autre côté du meuble, c’est-à-dire près de celui d’Achille Parmentier.
Un silence effroyable se développa, coupé par les ultimes râles des hommes foudroyés. Stevena et Boris ne perdaient pas leur hôte involontaire de vue. Parmentier déplaçait sa tête pour les contempler alternativement. Il se demandait de quel côté allait venir sa mort. Car il ne doutait pas de son imminent trépas. Ces hommes étaient d’une cruauté totale. La manière impitoyable dont ils venaient de liquider ses gardes du corps était éloquente.
Lorsqu’on abat quelqu’un avant de lui dire bonjour, c’est qu’on est déterminé à tout et que le pire est votre style.
— Eh bien, terminons-en, finit-il par articuler.
Il songeait au pistolet qui se trouvait dans le tiroir du bas de son bureau. L’arme lui parut dérisoire, aussi inutile que son stylo. Jamais ses visiteurs ne le laisseraient accomplir le moindre mouvement.
Stevena désigna Nonœil et Julien.
— Vos gardes du corps ont eu de la chance, fit-il : ils n’auront pas eu le temps de souffrir.
Le sous-entendu découlant de l’assertion mit de la glace dans le ventre du gros homme. D’accord, il allait crever. Il avait toujours eu cette perspective en arrière-pensée. Quand on fricote dans l’illégalité et qu’on passe son temps à arnaquer tout un chacun, y compris ses complices, il faut s’attendre à une telle finalité. Il se demanda, à cet instant, s’il n’avait pas, tout au long de sa vie, caressé cette tentation suicidaire : en finir violemment. Périr d’une rafale ou d’une balle dans la nuque. Mais il était allé trop loin. Il lisait sur les visages de Boris et de Stevena que « cela » allait être difficile, horrible, même.
— Vous devinez ce qu’on vient chercher ? demanda Boris avec son drôle d’accent.
Parmentier déglutit plus ou moins bien et balbutia :
— Oui, mais dites toujours…
— La valise, naturellement !
— Naturellement, admit Parmentier.
— Vite ! coupa Stevena.
— Vous pensez bien qu’elle n’est plus ici ! risqua le receleur.
— Vous pensez bien que si ! riposta paisiblement Stevena.
Son regard noir, intense, ressemblait à deux vrilles qui s’enfonçaient dans les yeux terrorisés du bonhomme.
— Ecoutez…
— Levez-vous ! l’interrompit Boris.
Parmentier se dressa, un peu en « Z » à cause de son fauteuil et du bureau. Boris retira le siège ; puis il glissa la main sur le ventre de son interlocuteur et se mit à dégrafer sa ceinture.
— Mais qu’est-ce que vous faites ? s’insurgea le bonhomme.
Sans répondre, Boris s’attaqua au pantalon ; il le lui défit complètement jusqu’à ce qu’il chût sur les chaussures de Parmentier ; après quoi, il tira sur son slip, dénudant un gros derrière pâle et velu, cloqué de cellulite.
— Penchez-vous un peu en avant sur votre bureau.
L’autre resta immobile.
— Je veux simplement vous faire sauter les couilles, annonça Boris, si vous ne prenez pas une position ad hoc, je vais tirer au jugé, tout votre fourbi partira et il ne vous restera plus rien pour pisser.
Parmentier murmura :
— A quoi bon ? D’accord, je vous donne la valise et tout ce que vous voudrez. Vous tenez tellement à me torturer ?
— Punition, fit brièvement Boris, vous ne deviez pas ergoter ; tout se paie.
De sa main gauche, il saisit l’antiquaire par la nuque et le poussa en avant.
— Minute ! fit Stevena. S’il s’évanouit on perdra du temps. Où est la valise ?
— Dans un coffre du magasin, il y en a plusieurs à vendre, des modèles anciens ; elle se trouve dans le noir qui a une corniche de laiton.
— La clé ?
— Dans le tiroir du bas de mon bureau.
— Donne !
Le gros homme se baissa. Il se sentait calme, détaché. Un peu grisé par l’épouvante qui l’avait investi.
Boris restait toujours derrière lui. Il regardait les testicules offerts de sa victime et jubila :
— Il a des roustons comme des œufs d’oie ! Tu parles d’une omelette que je vais faire !
Parmentier saisit le pistolet endormi sur des paperasses. C’était du « tout de suite ou jamais ». Il n’aurait pas le temps de flinguer son vis-à-vis, trop aux aguets. Sa seule chance…
Il agit sans penser, d’instinct. Sortant vivement l’arme, il la coula entre ses jambes écartées, releva le canon et pressa la détente.
Il y eut un cri de fauve. Boris bondit en arrière. Une balle venait de le fouailler à l’aine et de s’enfoncer dans son ventre.
— Con ! fit sèchement Stevena.
Parmentier s’était jeté au sol. Il voulut se retourner pour tirer encore sur Boris, mais Stevena était déjà là, qui le mit k.-o. d’un coup de pied dans la tempe.
CHAPITRE XXVI
APRÈS LE PIED, LE PIED DE GUERRE
Les trois Ricains sortent de l’ascenseur ; un vieux carrosse hydraulique. L’ Hôtel Boxon , bien qu’il soit central, date de l’époque Fallières. Il appartient, dit-on, à une vieille Américaine qui avait marié un Suisse installé à Paris. Elle n’a rien voulu toucher à l’architecture des lieux, bien que l’infrastructure de sa crémerie ne corresponde plus du tout aux normes hôtelières actuelles. Elle veille à ce qu’il soit repeint et bien tenu, mais elle lui garde son rococo, ses fromageries plâtreuses, ses miroirs solennels, ses plantes vertes jaunissantes et tout ce qui contribue doucettement à le faire classer bientôt par les Beaux-Arts. Ce parti pris porte ses fruits, car les Ricains de passage se battent pour y loger, estimant qu’il exprime parfaitement la vieille Europe loqueteuse, et bavochante qui chie sous elle et que tu vas voir les Russes : Hop ! par ici le bon bortsch !
Nos collègues flanellent vachement des guiboles. On sent qu’ils ont fait leur vide pour un moment. Le ratissage opéré par les donzelles a été total. Ecrémés jusqu’à la moelle, les gonziers de la C.I.A. ! Sus aux vitamines, mes frères ! Beaucoup de viande rouge et de laitages pour eux !
Je leur confirme qu’on tient la piste fumante, la vraie, l’unique, la toute formide, celle qui va leur permettre de faire enfin une grosse bibise à cette valise fantôme.
Ils paraissent contents, mais sans plus. Pas enthousiastes. Leurs pensées traînassent encore dans leurs slips. S’ils me gratulent, ces cons, c’est pas pour l’exploit policier, mais pour les gerces bien somptueuses qu’on leur a fournies. Ils m’annoncent qu’ils vont les épouser rapidingue. Ils ont déjà, entre deux fringants coïts, tubophoné à l’ambassade U.S., qu’on prépare les papelards de ces jolies ravissantes, avec plein de tampons définitifs. Des occases pareilles, ils ne peuvent laisser passer, les abandonner sur la terre merdeuse de l’Europe en digue-digue. Y a bon Etats-Zunis, Floride is good for you ! Ils insistent pour que je me rende aux noces. Ils m’invitent aux frais de la C.I.A. Je promets d’aviser. Alors, bon, en route. Je les affranchis dans la bagnole, tandis que Béru, Pinuche et Lurette déjà sont à pied d’œuvre boulevard Gouvion-Cinq-Sires. Un forban antiquaire a piqué leur chère valoche. Il exige beaucoup d’auber pour la rendre, n’hésite pas à tuer. Seulement moi, je hume des complications inextricables, comme quoi d’autres pèlerins sont également sur le coup : ceux qui ont buté le motard et enlevé son équipier. Donc, on doit se pointer en force, les rapières à dispose et pas chichiter si ça castagne. Feu à volonté ! Ils rigolent à outrance. Me traitent de « French baby ! » La castagne, c’est leur spécialité. Le « French baby » leur pisse à la raie ; faudra les voir à pied d’œuvre, ces joyeux queutards.
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