San-Antonio
Les huîtres me font bâiller
OUVRAGE RECONNU D’INUTILITÉ PUBLIQUE
Six fois primé au concours de flatulences et borborygmes de Vichy.
Médaille d’or aux floralies hépatiques de Saint-Symphorin-sur-Coise.
Prix national des édicules bouchés de Dizimieu-les-Tronches.
Mention spéciale de l’Académie des Pétomanes aérophagiques.
Couronné par la Confrérie des Taste-burnes de Boulogne-sur-Seine.
Palme d’or de la Grivoiserie décernée par Mme la Comtesse de Paris.
En vente dans toutes les pharmacies et dans certaines librairies spécialisées dans ce que tu sais .
A Gilbert Coudene et Patrick Commecy
et à toute l’équipe de « La Cité de
la Création », ces magiciens qui font
de l’illusion une réalité.
San-Antonio
L’OBÈSE PERD SA QUEUE DE VUE.
PARTIE
DÉCLARÉE NULLE
ET NON AVENUE
PAR L’AUTEUR
— Oui, dis-je, il est là et je vous le passe.
Je brandis le combiné à l’intention de messire Béru par-dessus le burlingue. Il l’empare en questionnant :
— C’est qui est-ce-t-il ?
— Une dame, évasivé-je ; quelqu’un de bien qui rote en parlant et ne commet que trois fautes de français par phrase.
Le Gravos se met à nettoyer l’écouteur avec les poils qui lui jaillissent de l’oreille droite. Instantanément, sa face avenante se crispe.
— Caisse y t’a permis d’m’appeler, vérole ? demande l’Affable du village. Ne t’ai-je point-il dit qu’j’vous interdisais d’m’recauser jamais, toi et ton fumier d’mec ? J’vous aye avertis qu’si qu’on s’rencontrererait par hasard, j’lu r’ferais un’ tête d’un mèt’ cube carré comme la dernière fois qu’on s’est vus ! Et qu’à tézigue, j’t’enfilrerais vingt centimètes de ma godasse dans l’oigne, manière d’t’ dégager les voies respiratoires !
Lui qui ne sait parler sans tonitruer, voilà qu’il s’exprime doucement, d’un ton feutré. Visiblement, le cher homme est en proie à un terrifiant courroux. Une rogne souterraine, grondante, pour tout dire implacable.
Cette attitude m’inquiète. Béru papelard, Béru doucereux dans sa férocité ressemble aux prémices d’un séisme de forte magnitude. Je l’ai rarement vu drapé dans cette froideur vénéneuse. Elle annonce de puissantes modifications en cours. L’homme abrite des bouleversements annonciateurs d’extrêmes calamités.
Son interlocutrice place une tirade qui, sans doute, se veut plaidoyeuse, mais qui glisse sur la rogne du Gros comme une chandelle de foutre sur la cuisse d’une péripatéticienne. Lorsque sa correspondante s’interrompt pour approvisionner ses poumons en agent de la respiration inodore, incolore et sans saveur, mon sublime ami remonte au créneau :
— Que vous fussassiez dans la merde, toive et ton pourri, j’en aye tristement rien à cirer, la mère ! Pour bien t’faire comprende : j’vous verrerais étendus su’ la route, l’bide ouvert du sesque au menton, j’m’content’rais d’faire un grand pas pour éviter d’salir mes targettes, comprends-tu-t-il bien ? J’pourrais avoir pitié d’un cancrelat, à la rigueur porter s’cours à un’vipère qui s’est faite décapiter les pattes par une faucheuse ; mais lever l’p’tit doigt pour vous arracher d’une citerne emplille d’vitriol, c’t’hors d’question. Alors fais-moi plus chier et dégage : tu souilles un’ligne téléphonique pour erien !
Il s’apprête à raccrocher mais stoppe son geste, fasciné par la survenance d’une individue en laquelle je reconnais lady Berthe, sa femme bien-aimée.
Berthe en Majesté.
Isabeau de Bavière à la Foire du Trône !
Elle porte une robe rouge sang, à manches gigot noires, agrémentée d’une broche aussi grosse qu’un projecteur, mais beaucoup plus lumineuse. Innovation sans précédent dans la saga béruréenne : la dame a sacrifié sa chevelure de jument poulinière pour suivre cette mode ridicule qu’un glandu de coiffeur a inventée à l’intention de connasses qui n’hésitent pas à pratiquer l’automutilation afin de se rendre (croient-elles) intéressantes. La nuque rasée est surmontée de tifs teints dans une couleur différente ; en l’occurrence, les cheveux rasibus du bas sont bruns alors que sont blonds ceux du haut. L’ensemble donne à la Bérurière l’aspect d’un vieux travelo obèse, probablement germanique, participant au carnaval de Francfort. Elle produit un maquillage en parfaite harmonie avec les extravagances que je viens de mentionner, à savoir que son fond de teint est d’un blafard crayeux de clown blanc, ses cils et sourcils d’un noir qu’avec ma hardiesse coutumière, je qualifierais « de jais », sa bouche d’un carmin si ardent qu’en l’apercevant, un toro de corrida en chierait dans son froc ainsi que le torero.
Ce n’est pas une entrée, c’est une apparition ! Il faut avoir essuyé un choc de cette force pour savoir si l’on est apte ou non à s’engager dans les Brigades rouges ou à épouser Madonna.
L’Opulente dégage, surtout quand elle est en mouvement, une odeur de boucherie africaine et d’œillets en décomposition avancée.
— Raccroche pas, Sandre ! fait-elle sourdement, je croive piger à qui est-ce tu causes !
L’époux demeure comme pétrifié par cette arrivée inattendue, si intense et singulière. Il est rarissime que sa bien-aimée se risque en nos locaux, auxquels elle préfère les hôtels de passe du quartier Saint-Lazare ou le salon de coiffure de leur ami Alfred, le Rital séducteur.
D’un geste délibéré, elle cueille le combiné dans la main plantureuse du Gros et le hisse jusqu’aux sièges de ses principaux sens.
— C’est toive, Grabote ? demande-t-elle. Moui ? J’en étais sûre, rien qu’à la gueule de Sandre. Tu l’as z’appelé un poil trop tôt : j’ai été r’tenue dans un hôtel d’la rue d’Provence où mon couturier m’a fait choisir l’tissu d’la robe qu’j’doive mett’ pour la communion d’Apollon-Jules. C’est l’plus grand modéliste d’Mantes-la-Jolie. Y travaille beaucoup à cause d’la promiscuité des usines Renault. J’ai choisi un modèle discret, très striste : un imprimé vert sur lequel y a des dahlias bleus et des potirons rouges ; tu croirerais un’chose esclusive pour la reine d’Angleterre qu’a tant d’goût.
« Pour t’en r’viendre à Sandre, faut qu’je vais lui parler. C’t’un homme emporté mais qu’a un excellent fond. Bon comme le saindoux ! Le cœur su’ la main. Y donn’rait son slip à un pauv’ s’il en porterait un. Impatiente-toi pas, j’vais y causer, y espliquer. C’est pas pace qu’vous avez fait des conn’ries jadis qu’y faut vous traiter toute la vie comme des pariates. Vous avez rédemptionné d’puis. L’moment est v’nu d’passer l’éponge. Hein, Sandre ? Qu’est-ce tu marmottes ? Qu’c’est dans la raie d’mes miches qu’tu vas la passer, l’éponge ? Boug d’dégueulasse ! Çui-là, la galanterie française, connaît pas. Dire qu’j’traîne ce gugus d’puis des temps immémorials alors qu’j’étais conçute pour l’grand monde.
« Fais-toi pas d’mouron, ma Grabote, j’les arrangerai, vos bidons. Puisqu’ ce gros sac à merde a sa tête de bois, qu’il aille se chier ! J’vas d’mander à m’sieur San-Antonio d’nous viendre en aide. T’as entendu causer d’lu ? Mouais : c’t’un héros dans son genre. L’plus grand flic de France, et, en tout cas du monde. Y t’va décortiquer vot’ sac de nœuds en deux coups de cuiller à apôtre, n’est-ce pas, Antoine ? Il me fait signe qu’oui av’c ses yeux charmeurs.
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