San-Antonio
Les eunuques ne sont jamais chauves
LES EUNUQUES NE SONT JAMAIS CHAUVES
C’EST CE QU’AFFIRME L’ÉCRIVAIN KELCHAR HABIA DONT LE PÈRE ET LE GRAND-PÈRE ÉTAIENT EUNUQUES À TEMPS COMPLET.
« Celui qui poursuit la volupté lui sacrifie tout et pour commencer sa liberté. Voilà le prix qu’il paie pour satisfaire son ventre. Il n’achète pas la volupté, il se vend à la volupté. »
Sénèque
[1] Quel con, ce mec ?! Il a jamais baisé ou quoi ? Bérurier
* * *
Il n’est rien de plus triste qu’un footballeur qui se shoote.
San-A.
* * *
Bon et con, ça commence par la même lettre.
A.-B. Bérurier
* * *
Le gastronome se meurt.
Qu’il parte en pets.
San-A.
* * *
Les gens se divisent en deux catégories : ceux qui sont ineptes et ceux qui sont inaptes.
San-A.
A Albert BENLOULOU,
jamais perdu et cependant retrouvé.
Avec tendresse.
San-A.
PREMIÈRE PARTIE
L’AVIATEUR ROUMAIN
1
IL A UNE VOIX DE SOPRANO, PAULO
Blint feuilletait une revue porno, à l’intérieur de la Rolls. Il l’avait trouvée dans les toilettes publiques de l’aéroport. Elle était destinée à un lectorat gay et la couverture représentait un superbe éphèbe blond, déculotté, mais qui portait un impressionnant blouson de cuir noir zébré de fermetures Éclair.
Le sujet se tenait à califourchon sur une puissante moto aux chromes rutilants. Il possédait un sexe magistral — d’au moins trente centimètres, apprécia Blint — qui prenait ses aises sur la carène du bolide.
— Tu as vu cet objet ? demanda l’amateur de porno à son compagnon qui somnolait au volant.
Howard jeta un regard méprisant sur la photo.
— A quoi sert d’avoir un braquemart pareil, si c’est pour le foutre dans de la chose ! grommela-t-il en écartant le magazine.
Blint eut un petit rire gêné et glissa la publication licencieuse dans la boîte à gants.
— C’est ça ! fit le conducteur. Si tu l’oublies et que Monseigneur le trouve, ça fera un bon sujet de conversation.
Il tendit la main en faisant claquer ses doigts.
Docile, son acolyte reprit le magazine et le remit à Howard, lequel le coula hors de la Rolls dont il entrouvrit à peine la portière.
A cet instant, une sonnerie retentit. La circulation qui coupait la piste d’atterrissage de Gibraltar cessa rapidement et les deux bras du passage à niveau s’abaissèrent à plusieurs dizaines de mètres de distance.
De part et d’autre, les véhicules et les piétons commencèrent à s’agglutiner.
— Le voir ! dit Blint, en sortant de la voiture.
Il regarda scintiller l’appareil blanc et bleu qui venait du nord. Il évoquait quelque soucoupe volante car le soleil l’embrasait et lui faisait perdre sa forme allongée. Il décrivit une courbe somptueuse au-dessus de la mer et descendit rapidement vers la piste qui s’étirait au pied du légendaire rocher.
L’air était doux et des senteurs végétales se mêlaient à celles du kérosène. Lorsque l’engin fut très bas, les gens contenus par les barrières purent l’admirer à leur aise. Il s’agissait d’un avion à réaction ultra-perfectionné, d’une capacité d’environ quinze passagers.
Il se posa avec grâce et légèreté. Une voiture de piste, du genre Jeep, portant à l’arrière un panneau enjoignant Follow me vint le prendre en charge et le guida vers une zone de hangars.
Très vite, la circulation un instant interrompue reprit ses droits.
Les deux hommes de la Rolls abandonnèrent leur carrosse, non sans avoir assuré le verrouillage général et se dirigèrent vers l’endroit où s’était rangé l’avion. Ses moteurs étaient coupés mais il continuait d’être agité de légères convulsions.
Bientôt, la porte s’ouvrit et un homme portant une combinaison parut. Il avait une silhouette encore jeune, était d’une taille légèrement au-dessus de la moyenne et la manière dont il descendit de son poste de pilotage prouvait ses bonnes relations avec les exercices physiques. Son casque de radio avait dérangé sa chevelure. Le sentant, il fit un geste de la main droite pour l’aplatir. De la gauche, il tenait une grosse mallette aux formes géométriques.
Il vit le tandem Blint-Howard arriver sur lui et, à distance, leur adressa un salut de sa main libre. Puis sans davantage s’occuper de son « comité d’accueil », il passa à l’arrière de l’appareil afin de récupérer son bagage dans la soute : un énorme sac de toile noire. Celui-ci semblait si pesant que le pilote devait cambrer les reins pour le soulever.
— On va vous le porter, dit Howard.
L’arrivant lui sourit.
— C’est gentil, merci. Vous ne serez pas trop de deux.
— Moi c’est Howard, fit celui-ci, et mon ami s’appelle Blint.
— Tiarko ! se présenta brièvement l’arrivant.
Ils ne se serrèrent pas la main mais échangèrent des hochements de tête assez distants.
A pas pesants, ils gagnèrent la Rolls. L’homme n’eut pas l’air impressionné par le riche véhicule. Il prit place derrière après s’être assuré qu’on avait chargé son gros sac dans le coffre.
— Bon vol ? questionna le conducteur en reprenant sa place au volant.
— Avec un temps pareil et pour une aussi courte distance ce serait malheureux.
La luxueuse voiture quitta l’aéroport et prit le chemin conduisant à la nationale 340. Il faisait doux dans l’habitacle et il y flottait un léger parfum oriental qui suffit à déclencher l’allergie dont souffrait Tiarko. Peu d’eaux de toilette le laissaient insensible.
Quand ils atteignirent la nationale, ils prirent à droite en direction de Malaga. Des voitures françaises, plutôt vétustes dans l’ensemble, aux galeries croulant sous des charges hétéroclites, emmenaient des familles d’émigrés marocains au pays, à l’occasion des vacances pascales.
Le trajet fut bref ; quinze kilomètres plus loin, la Rolls abandonna déjà la grand-route pour prendre celle de Sotogrande.
Le pilote avait glissé son avant-bras droit dans la sangle de velours réservée à cet usage. Son regard clair restait mat comme de l’étain.
Le paysage se modifiait rapidement. Aux localités populaires bordant la route, avait succédé une forêt dont on mesurait l’immensité au fur et à mesure que l’automobile s’élevait.
Les voyageurs parvinrent à un poste de garde vitré placé au milieu du chemin où deux hommes en uniforme surveillaient les allées et venues. En reconnaissant le véhicule, ils levèrent le bras rouge de la barrière qui interdisait l’accès de ce qui s’avéra être un golf aménagé dans la forêt.
La Rolls poursuivit sa route sans que le conducteur eût marqué le moindre intérêt aux hommes chargés de la sécurité. Huit cents mètres plus avant, se dressait un second poste où le même rituel s’opéra.
— On arrive ! annonça Howard, décidément davantage loquace que son acolyte.
Effectivement, la Rolls déboucha sur une esplanade terminée par une gigantesque grille sommée de piques acérées. Un contacteur électronique en commandait l’ouverture depuis l’auto. Les deux parties du monumental portail devaient peser plusieurs tonnes chacune. Elles s’écartèrent avec lenteur. Lorsque l’espacement fut suffisant, le chauffeur s’engagea dans une somptueuse allée au revêtement rose, bordée de palmiers. La route enchantée montait en pente douce. A gauche comme à droite, entre les fûts des arbres, se développait une prairie irréellement verte, aux savants mouvements de terrain.
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