Frédéric Dard - Les eunuques ne sont jamais chauves

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Les eunuques ne sont jamais chauves: краткое содержание, описание и аннотация

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Le plus terrifiant bras de fer de ma carrière me met aux prises avec un tyran fou.
Il pleut des morts !
Partout le danger !
D'accord, je baise énormément pour pouvoir conserver le moral, n'empêche que je traverse une zone à hauts risques davantage semée d'embûches que la place de la Concorde.
Là où je vais, si tu veux revoir Paris, faut ouvrir l'œil et serrer les miches.
Seulement moi, tu me connais ?
C'est les poings que je serre et la porte de devant de mon bénard que j'ouvre.
En grand !
C'est bon pour la ventilation de mes aumônières.

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— Au breakfast de ce matin, répondit ce dernier.

— Très bien. Posez votre peignoir et allongez-vous sur cette table.

Le pilote obéit. Il était là pour ça. S’y était engagé formellement et sans réserve.

Son accompagnatrice s’assit sur l’unique siège de l’endroit. Celui auquel elle accordait le titre de médecin prépara une injection devant une table de marbre. Il s’activait à gestes courts, rapides et précis.

Les pensées du patient eurent tendance à prendre de la gîte, à s’égarer vers des souvenirs interdits ; mais sa volonté fut la plus forte et il redevint « lui-même » sans effort.

Il ne réagit pas au contact du tampon imbibé d’éther, non plus qu’à la fugace douleur causée par l’aiguille qui violait sa chair. Il resta impassible, son regard clair perdu dans les menus « accidents » du plafond. L’aiguille lui fut retirée, puis le garrot de caoutchouc.

— Ça va ? demanda l’Asiate.

— Ça va.

Le pseudo-médecin jetait au vide-ordures l’aiguille et la seringue qu’il venait d’utiliser. Tiarko entendit la fille demander à voix basse dans combien de temps « l’effet se ferait-il sentir ».

— Deux à trois minutes, laissa tomber le petit homme. Comptez cinq pour qu’il soit tout à fait opérationnel.

Shéhérazade se leva et alla chercher un magnétophone dans un placard métallique, un Nagra de professionnel qu’elle amena près du lit de leur patient. Elle développa le fil du micro, puis installa son siège au chevet de l’aviateur.

— Vous pouvez stopper cette musique de fond, Ti-Pol ? demanda-t-elle.

Il fit droit à sa requête et le silence s’abattit brusquement sur la pièce, créant une étrange oppression.

Tiarko sentait progresser en lui l’effet de la piqûre. Une espèce de langueur qui l’amollissait et amenait dans son esprit un détachement bienheureux. Pour résister à l’injection, il se récitait la phrase clé chargée de maintenir sa volonté en état de veille : « L’illusion est trompeuse, mais la réalité l’est bien davantage ». Ç’aurait pu aussi être le plat d’un menu de restaurant ou un vers de Shakespeare. Ce qu’il avait fallu, c’était « verrouiller » son cerveau par une phrase mille fois répétée. Pendant des jours et des nuits, il avait écouté cette sentence dite, redite et ressassée par le truchement d’un walkman. A cet instant, elle constituait l’îlot de lucidité sur lequel il avait bâti une vérité nouvelle.

— C’est sûrement bon, fit le Jaune.

Shéhérazade mit en marche l’enregistreur.

— Vous voulez bien me redire votre nom ? demanda-t-elle au patient.

— Gheorghiu Tiarko.

— Nationalité ?

— Roumaine.

— Vous êtes communiste ?

— J’ai feint de l’être.

— Pour quelle raison ?

— Afin d’assurer ma sécurité et ma carrière.

— Vous comptiez parmi les proches de Ceauşescu ?

— C’est exact.

— Il vous honorait de sa confiance ?

— Sa femme, plutôt ; mais comme il subissait son influence…

— Vous êtes devenu leur pilote personnel ?

— Je n’étais pas le seul, néanmoins, oui, on peut presque dire cela.

— Vous ne vous contentiez pas d’assurer la plus grande partie de leurs déplacements ?

— Je leur tenais lieu de garde du corps, éventuellement.

— Quoi encore ?

— D’homme de confiance, aussi.

— Dans quelles circonstances ?

— Pour neutraliser certaines personnes dont ils voulaient se défaire sans en appeler à leur garde prétorienne.

— Bref, vous leur étiez devenu indispensable ?

— Personne ne l’est ; disons que je leur étais utile.

— Ils vous rétribuaient largement ?

— Plus que largement.

— Comment avez-vous réagi au moment de l’insurrection qui a déclenché leur fuite ?

— Le président m’a chargé d’aller les chercher en avion sur un terrain privé, à une centaine de kilomètres de Bucarest.

— Et puis ?

— Je devais me munir de deux valises déposées en un lieu top secret.

— Et alors ?

— J’ai récupéré les valises, mais au lieu de prendre les Ceauşescu, je me suis posé en Italie du Nord, sur un aéro-club que je connaissais. J’espérais abandonner l’appareil après en avoir sorti les valises ; mais j’ai joué de malchance car la Digos s’est amenée avant que j’aie eu le temps de couper mes moteurs. On m’a embastillé pendant quelques jours.

« A ma libération, les autorités m’ont appris que l’argent était sous scellés en attendant d’être remis au nouveau gouvernement en exercice à Bucarest. »

Le pilote se tut. La fille au sari avait tiré de sa poche une fiche qu’elle consulta.

— Comment s’appelle votre mère ? demanda-t-elle tout à trac.

— Swetzla.

— Prénom de votre père ?

— Michael.

— Des frères et sœurs ?

— Un frère, mort accidentellement à l’âge de neuf ans ; une sœur, infirmière à Bucarest. Son mari a été tué pendant l’insurrection.

— Qu’avez-vous fait après votre bref internement en Italie ?

— Le gouvernement roumain a réclamé mon extradition.

— Ensuite ?

— Les Italiens n’ont pas donné suite à sa requête et m’ont refoulé sur la Suisse.

— Et de là ?

— Je me suis rendu en Angleterre, grâce à l’appui du frère de ma mère qui est installé à Londres depuis plus de trente ans.

— Son nom ?

— Carol Swetzla.

— Occupations ?

— Il est concessionnaire Mercedes dans la banlieue nord. C’est lui qui m’a aidé à redémarrer. J’ai trouvé un emploi de pilote dans une compagnie privée : la British Flag Fly.

« Au bout d’un an, grâce à l’appui financier de mon oncle, j’ai pu acheter un appareil pour faire de l’avion-taxi. C’est alors que les services du prince m’ont contacté. Et me voilà ! Avez-vous d’autres questions à me poser ? J’ai très sommeil. »

— Ce sera tout, fit Shéhérazade.

Une minute plus tard, le Roumain dormait profondément.

3

TU TE LA JOUES BELLE, ADÈLE

Il se réveilla dans sa chambre, sans avoir le moindre souvenir qu’on l’y eût transporté. Le jour déclinait et la lumière prenait des couleurs mauves. Il était simplement étendu sur le lit, avec le peignoir revêtu avant la séance de laboratoire.

Sa mémoire afflua, comme l’eau retenue par une vanne lorsqu’on ouvre celle-ci. Il appréhenda la situation avec une sorte d’impétuosité de la pensée et éprouva un sentiment d’obscur contentement. Dans le patio, un oiseau du crépuscule faisait entendre un trille teinté de mélancolie.

Tiarko souleva son bras gauche et constata avec satisfaction qu’on lui avait laissé sa montre. Elle marquait dix-neuf heures dix. La sensation de bien-être capiteux qu’il éprouvait devait provenir du produit injecté dans ses veines. Cela ressemblait à une molle euphorie. Il se sentit bien en lui-même, comme protégé de tous les dangers.

Il perçut un léger bruit sur la terrasse et se dressa sur un coude. Shéhérazade entra par une porte-fenêtre. Elle ne portait qu’un infime cache-sexe et ses seins épanouis, accrochés haut, se dressaient avec une sorte d’agressivité. Leurs bouts en étaient bleutés, ce qui incommoda Tiarko.

— Vous voilà réveillé, fit-elle d’un ton satisfait. Comment vous portez-vous ?

— Le mieux possible, assura le Roumain.

Elle s’assit au bord de son lit, souriante. Il nota sa minceur, le velouté de sa peau mate, son regard ardent de femelle qui devait toujours vivre entre deux désirs. Et quand elle n’avait plus de désirs, cela résultait de ce qu’elle les assouvissait.

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