Béru vient d’actionner le commutateur et la lumière conventionnelle nous rend compte de la scène. Du grand tragique ! Ce mec cloué comme un insecte dans une boîte d’entomologiste fait peur. Je note qu’une autre flèche est fichée dans sa cuisse. Je suppose que ça a été le coup de semonce destiné à le neutraliser d’entrée de jeu.
C’est aussi ton avis ? Ah ! bon. Tu le savais déjà ? Hein ? Parce que t’as lu le début de la scène du meurtre ? T’as de la chance d’être lecteur. Moi, je suis que l’auteur, comprends-tu ?
— Il ne perd pas de temps ! murmuré-je.
— Qui cela ? demande Patapouf.
— Le zig qui a planté Jérémie.
— Tu croives que c’est lui ?
— Si ce n’est toi, c’est donc son frère. Le type ou son équipe progressent. Ils vont plus vite que moi !
Je me dirige vers la pièce voisine : la chambre à coucher du couple. Le lieu où le désordre culmine. Le linge sale est empilé de partout, sur les chaises, la commode, le sol, même !
La grosse Adélaïde gît sur son lit, à plat ventre, sa robe retroussée jusqu’à la taille. Son énorme dargeot est devenu blafard dans la mort. Une mare brune s’étale sous son bas-ventre et ses grosses fesses sont sanglantes. Je m’approche de la femme, le cœur soulevé de dégoût, cherchant la cause de sa fin. Un cri m’échappe. Pourtant moi, hein ? Ame trempée, merde ! Coutellerie de Thiers ! Pas froid aux yeux, pas plus qu’aux claouis. Loin d’être obsolète, l’Antonio.
Mais devant ce que je vois !…
La pointe d’une flèche sort du dos de la vachasse, entre deux côtes. L’assassin l’a fait mettre à genoux sur son lit et lui a enquillé le canon de son fusil dans la moniche. Un sadique ! Puis il a tiré. Le harpon a déchiré tout l’intérieur de la malheureuse avant de réapparaître sous son omoplate gauche (ou droite, si t’es du Front National).
Je commente pour Béru. Alors il blêmit, Pépère. Y a une larme qui perle à ses cils de cochon. Il porte sa patte à sa hure. D’un ton brisé, il murmure :
— Faut être le dernier des derniers ! Il aurait pu la chibrer au lieu de lu jouer c’ tour-là ! Promets-moi un truc, Sana : on va l’ retrouver, pas vrai ?
— Oui, réponds-je derrière mes dents serrées, oui, Gros : on va le retrouver.
— Et alors on lui f’ra sa fête, tu m’ promets ?
— Je te le jure, mon vieux pote !
— Faut qu’y va déguster, c’t’ ordure !
— On lui fera son gala d’adieu, promis.
Et j’étends la main au-dessus du corps d’Adélaïde pour ratifier le serment.
On se rend dans la cuistance pour un coup d’alcool. Béru, en véritable sanglier doué pour la chasse aux truffes, déniche une bouteille de scotch. Il la débouche et me la propose. Glou glou ! J’en entifle vingt centilitres sans respirer. Le Gros vide le reste.
Tandis qu’il s’arrose la voie royale, je réfléchis en stéréophonie.
— Curieux, l’écriteau sur la porte du bistrot, m’entends-je dire.
Je retourne fureter dans la chambre et j’y déniche ce que j’escomptais : un bloc correspondance et un stylo feutre.
— Il a fait écrire ça par la grosse, après avoir scrafé son mecton, hein ? murmure Béru qui m’a filé le train.
— Probable, oui. Il a voulu gagner du temps avant qu’on ne découvre le double meurtre.
— Y n’ recule d’vant rien, ce cancrelat ! J’espère qu’ les copains d’ Savoie auront parvenu à l’ sauter.
— En tout cas, soliloqué-je, il a trouvé ce qu’il cherchait.
— Biscotte ?
— Rien n’a été fouillé.
— T’as pas vu ce bordel ?
— Du désordre, mais pas une mise à sac, Gros. Utilisant les très grands moyens, il a obligé Adélaïde à se mettre à table. Elle lui a donné satisfaction, j’en suis convaincu. Il l’a butée ensuite pour neutraliser un témoin. Dans son cas, il y était contraint.
— Tout de même, il pouvait l’effacer autrement !
Je file un dernier coup de périscope à cette désolation sans nom. Dur métier que le nôtre. Y a des moments, on préférerait être berger et assurer la transhumance dans les alpages.
Je suis celui qui emporte
son nougat à Montélimar
et sa saucisse à Francfort.
Il a pas sa gueule pour calembours, l’ami Bavochard. Inrasé, le regard ternasse, avec dans la bouche un sale goût de mominette dégueulée, il fait un peu pitié en ce matin morose.
Nous sommes arrivés ensemble à la Grande Volière de Chambéry. Moi, venant de Grenoble, lui de sa chasse à l’homme dans la région Dauphiné où il est allé prêter main-forte à ses collègues de l’Isère. Bredouille. Il renaude vilain et en oublie ses « poils au nez » pourtant si facétieux dans une converse.
En plus, sa vésicule matraquée par la maison Pernod (l’alcool Pernod fils, comme il dit volontiers) déconne plein son sac menbraneux, ajoutant à la dure réalité de l’aube.
— Du nouveau ? je questionne.
— Le gars a filé entre les mailles du filet ! annonce-t-il, lamentable.
— Y a pas que mailles qui lui aille ? je propose, histoire d’engrener sa pompe à déconne, désamorcée.
Mais je n’éveille aucun écho dans sa délabrance. Bavochard est amorphe comme une biroute d’eunuque regardant la photo de Régine.
Il me raconte que le type a eu un galoup sur l’autoroute. Mais on me dit que t’as déjà lu l’anecdote plus haut, alors je m’écrase, pas me montrer répétitif, au prix du papier, de l’impression et tout le chenil. Ce que, paraît-il, tu ignores, c’est que l’homme à la Volvo jaune a réussi à se casser en prenant une femme en otage et en contraignant un tomobiliste de lui servir de chauffeur. Il l’a forcé à traverser la séparation médiane de l’autoroute et à revenir sur ses pneus (on ne peut pas parler de pas).
Si ? T’es au courant de ça aussi ? Merde ! Qu’est-ce qui me reste à te raconter alors ? Moi, je trouve que ça fait un peu doublon, cette formule. Tu le sais aussi qu’ensuite, le tueur a demandé au conducteur de se remiser très à l’écart sur une aire de stationnement. Il a endormi les passagers à l’aide d’une bombe de gaz et les a abandonnés, après avoir fermé les vitres et répandu un surcroît de gaz dans l’habitacle. Ça tu l’ignorais ? Ah ! tout de même ! On a appris la chose par le propriétaire de la voiture qui n’a recouvré sa lucidité que depuis une heure.
Le fugitif a franchi la clôture séparant l’aire de stationnement de la campagne. Un cultivateur l’a accepté en stop et déposé à Saint-André-le-Gaz où il a pris le train pour Lyon. Fin de l’épisode.
— En haut lieu, ça chie des bordures de trottoir, m’avertit Bavochard. On va ramasser, c’est certain ! Putain, ce qu’on va ramasser !
— Qu’est-ce qui vous donne à croire que c’est cet homme qui a poignardé l’inspecteur Blanc ?
— Sa Volvo jaune avait été remarquée par des gamins de Saint-Joice-en-Valdingue. Et surtout, on a retrouvé dans le coffre un étui de poignard auquel s’adapte parfaitement le ya qui a servi à assaisonner ton négus. Tu as de ses nouvelles, à propos ?
— Toutes fraîches : il va s’en sortir.
— Tant mieux, la médecine fait des miracles car lorsque je l’ai vu en réanimation, il manquait de look .
— C’est pas la médecine, c’est sa femme, mon vieux. Elle le soigne à la merde de je ne sais quoi et prononce des paroles cabalistiques autour de son lit pour filer la pétoche aux mauvais esprits ; son vieux est sorcier professionnel dans leur patelin du Sénégal.
— C’est bon à savoir. Si un jour je prends un coup de saccagne, je saurai à qui m’adresser.
Il me fait entrer dans son bureau et va droit à un placard mural pour extraire deux petits godets et une boutanche toute neuve de pastaga. Qu’ensuite d’après quoi il dévisse le couvercle d’une glacière portable et pousse un cri façon steamer en perdition dans les brumes boréales.
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